Affaire Libri-Carrucci : L’académicien qui aimait trop les livres… Publié le 23/02/2014 Par J.-M. Van Houtte

L’affaire Di Caro de la bibliothèque des Girolamini (Naples) rappelle précisément celle de Guglielmo Libri, dont la bibliothèque de Troyes fut une des victimes en 1841 et 1842.

En 2012, l’Italie consternée découvre que le conservateur de la bibliothèque des Girolamini de Naples, conseiller du ministre de la Culture, a dérobé des milliers d’ouvrages précieux de ce fonds qui est l’un des plus anciens et des plus riches du pays. L’histoire trouve un équivalent retentissant au XIXe siècle en France.

Dans le cas de Guglielmo Libri, c’est de Troyes qu’est parti le scandale qui a mis un terme à ses rapines savantes mais vénales….

« Ces visiteurs opiniâtres… »

En 1847, le directeur de la bibliothèque de Troyes, Auguste Harmand, saisit le procureur général près la cour de Paris pour signaler la disparition de manuscrits précieux. «  Ils n’ont pu être enlevés que par un de ces visiteurs hardis, opiniâtres (…), qui arrivent munis sinon d’ordres, du moins de recommandations supérieures… », observe le bibliothécaire.

Parmi les visiteurs en question, se trouve un certain Guglielmo Libri.

S’il est italien de naissance, Guglielmo Libri-Carrucci Dalla Sommaja est loin d’être le premier venu en France. Mathématicien reconnu, il est membre de l’Institut depuis 1833 (section de géométrie) et professeur au Collège de France à la chaire de mathématique (1843-1848). Mais le comte Libri est également connu pour être un bibliophile averti. C’est à ce titre, sur la recommandation de Guizot, qu’il est nommé membre de la commission du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France en 1841.

Dès cette année-là, il est en mission à la bibliothèque de Troyes. Et dès juillet, il publie un compte rendu de visite. Il y déplore certes que, sous l’Empire, 3 500 imprimés et 477 manuscrits aient été arbitrairement soustraits pour être déposés à Paris, Dijon et la plus riche partie à la bibliothèque de la faculté de médecine de Montpellier. «  Bien qu’appauvrie, la bibliothèque de Troyes (contient) encore un grand nombre de manuscrits, dignes, à tous les égards, de l’attention des savants.  »

Mais, constate-il, «  comme l’accès de cette bibliothèque (est) très difficile, ces manuscrits furent (…) à peu près oubliés.  »

Ainsi, un de ses prédécesseurs, Haenel, dit-il, a dû faire un rapport à l’aveugle, sur la foi d’inventaires mais sans accéder aux ouvrages.

Lui, doit à la recommandation de M. Villemain, ministre de l’Instruction, de n’avoir « rencontré aucun des obstacles qui, à ce que l’on assure, avaient arrêté d’autres visiteurs… »

Un pillage en règle

En 1841 et 1842, Libri, note Harmand, «  a visité deux fois les manuscrits très particulièrement  ». Muni d’une lettre du ministre au préfet pour justifier ses recherches, il s’est fait ouvrir toutes les portes.

De la foi des employés de la bibliothèque «  les soustractions sont bien difficiles, car personne n’a la permission de prendre un seul livre sans le demander, et il n’y a dans les rayons du bas, à, portée des visiteurs, que des in-folio.  »

Libri a accès – seul – aux inventaires qui localisent les ouvrages et aux échelles qui permettent d’accéder aux «  plus précieux et d’un mince format…  » Pire, on le laisse consulter un fonds de «  trois mille manuscrits qui n’étaient pas encore catalogués…  » Impossible d’évaluer les pertes parmi les ouvrages non cotés. En revanche, la disparition de vingt-trois imprimés anciens est patente, dont quatre, c’est sûr, étaient encore en place en 1840, écrit Harmand au procureur général près la cour de Paris.

Après inventaire, les enquêteurs constateront que c’est dans le fonds italien que Libri a soustrait le plus d’ouvrages. «  Capitoli di p. Aretino », «   Cancionero de romances  », « Il pecorrone di ser Giovani Fiorentino  », « L’illustre et famosa historia di Lancilloto del Lago  », «  Homeri Ilias, in versus vulgares translata », etc.

Tous jugés rares ou très rares, lorsqu’ils apparaissent dans le catalogue qu’établit Libri de sa propre collection !

Comment revendre des manuscrits et des imprimés qui portent la marque de la bibliothèque de Troyes, une reliure identifiable, ou un ouvrage trop rare pour ne pas attirer l’attention sur le marché ?

Libri qui connaît les livres anciens sait y remédier.

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