Ces bibliothèques qui font rêver les collectionneurs – Un monde secret et discret

Ces bibliothèques qui font rêver les collectionneurs – Un monde secret et discret

bibliotheque Pierre Berès (Voir les catalogues des ventes Pierre Berès entre 2005 et 2007) a comme transformé une fois pour toutes en une savante alchimie, appelée goût, cette masse de livres en apparence indistincte», expliquait l’expert Jean-Baptiste de Proyart, en 2005, lors de l’inauguration de la vente fleuve du fonds du célèbre libraire. Pierre Berès avait lui-même annoncé l’événement. La septième et ultime vacation en son nom, organisée les 12 et 13 décembre à Paris chez Christie’s, intervient alors que d’autres personnalités se séparent de leur prestigieuse bibliothèque. Jeudi, c’est un ensemble exceptionnel de livres Art déco réunis par l’un de ses meilleurs spécialistes, Félix Marcilhac (Voir le catalogue), qui étaient dispersés par Binoche et Giquello, à Drouot. Il y a quelques mois, c’était la bibliothèque surréaliste du libraire-galeriste niçois Jacques Matarasso qui, à 95 ans, avait décidé pour la troisième et dernière fois, de confier ses trésors à la maison Alde.

Ces dix dernières années, alimenté par d’importantes collections, le marché de la bibliophilie a explosé. Chaque saison a été marquée par des ventes mémorables de grands amateurs : celle de Pierre Leroy (3,1 millions d’euros, en 2002, chez Sotheby’s), Gwenn-Aël Bolloré (1,6 M€, 2002, chez Sotheby’s), Daniel Filipacchi (5,9 M€ en 2004 et 5,3 M€ en 2005 chez Christie’s), Charles Hayoit (1,3 M€, en 2005, chez Sotheby’s). Les vendeurs sont le plus souvent les collectionneurs mêmes. Comme Pierre Berès, Jacques Matarasso, Pierre Leroy ou Daniel Filipacchi, ils ont préféré disperser leur collection en vente publique plutôt que de les transmettre à des héritiers qui n’en apprécient pas autant la valeur. Certains ont d’autres motivations. Dominique de Villepin, amateur éclairé, a vendu son bel ensemble de livres sur Napoléon chez Pierre Bergé (Voir le catalogue) pour se lancer dans une autre entreprise.

UN MONDE SECRET ET DISCRET

«C’est un goût très français de collectionner des livres», note François de Ricqlès, président de Christie’s France. La plupart des collections ont été constituées à partir des années 1950-1960, comme celle de James Ortiz Patino dont la seconde partie avait totalisé plus de 3,5 millions de livres en 1998, chez Sotheby’s à Londres.

Peut-on encore composer de telles bibliothèques ? Pour le marchand et expert Jean-Baptiste de Proyart, «il y aura toujours de très grandes ventes de livres. Le marché est très solide, très établi et international». Anne Helbronn, vice-présidente de Sotheby’s France et directrice du département livres et manuscrits, est plus prudente: «Aujourd’hui, dit-elle, il faut des moyens énormes. Autrefois, on pouvait acheter des livres avec des envois autographes. Celui des Fleurs du mal adressé par Baudelaire à Narcisse Ancelle s’est envolé en 2009, à Drouot, à 775.000 euros. Trois ans auparavant, un précédent exemplaire, adressé à Delacroix, était parti à seulement 360.000 euros.»

Mais «les livres rares ont toujours valu beaucoup d’argent!», estime pour sa part Jean-Claude Vrain, libraire et expert de la vente de succession Pierre Berès chez Christie’s. Les bibliophiles s’intéressent aussi bien aux textes qu’à leur contexte. «Il faut être très riche et avoir le goût de l’écrit, insiste Jean-Claude Vrain. C’est un monde secret et discret. Il faut s’adresser aux bonnes portes, qui ne sont pas forcément les salles des ventes.» Souvent, libraires et collectionneurs «fusionnent» dans leur quête du livre rare. Dans les salles de ventes, les premiers lèvent la main au profit des seconds. Ainsi Jean-Claude Vrain participe-t-il à la collection du bibliophile «de toujours» Jean Bonnat.

Reste que face à l’avalanche des records, tel celui du Manifeste du surréalisme d’André Breton provenant de la collection de Simone Collinet, adjugé 3,6 M€, en 2008, chez Sotheby’s, il est de plus en plus difficile d’acquérir à bon prix des grands manuscrits littéraires. On ne devrait pas revoir de sitôt non plus des ventes fleuves comme celle de la bibliothèque de l’industriel et collectionneur Jacques Guérin, qui avait fait l’objet de huit dispersions sous le marteau de l’étude Ader-Picard-Tajan, dans les années 1980-1990. En France, les prochaines grandes bibliothèques attendues sont celles de Jean Bonnat, qui possède l’une des plus grandes collections de dessins anciens. Mais aussi celle de Pierre Bergé, qui a un amour particulier pour Flaubert, notamment une édition originale de Madame Bovary dédicacée à Victor Hugo.

Le Figaro – Par Valérie Sasportas, Béatrice De Rochebouet. Décembre 2012

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