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dans la peinture en bâtiment, mais il est rapidement renvoyé à la suite d’une erreur : « il a mal compris les ordres donnés, a peint
en noir un appartement qui devait être peint en blanc »… Il enchaîne les petits travaux de manutention : «  rien ne le rebute, rien
ne compte, aucune corvée ne lui pèse. Ce qu’il faut, c’est tenir, rester à Paris pour peindre, peindre cette ville magique ! »… Il
s’installe du côté de Montmartre et traverse une période de misère… Il rencontre l’occasion de dessiner des maquettes de meubles
modernes pour J
ansen
 ; elles sont acceptées, c’est un succès...
[Guus].
En 1898, retour en Hollande pour un reportage dessiné lors du couronnement de la Reine… Il y retrouve Guus, une
amie d’enfance, retoucheuse en photo, qui deviendra sa femme et le rejoindra deux ans plus tard à Paris… Lors de l’Exposition
Universelle, il sert de guide à ses compatriotes venus pour l’occasion : « Cela rapporte plus que la peinture »… Le couple vit
dans un logis minuscule, trop petit pour accueillir les toiles qu’il aimerait peindre : « Il peint avec n’importe quoi n’importe qui.
Papiers fleuris, journal, peau humaine (car il décorera les dos, les bras, les jambes de jolies femmes voulant être habillées par
Van Dongen »… Guus veut elle aussi s’essayer à la peinture et tenter de connaître le succès ; elle s’illustre dans les tableaux de
fleurs… Van Dongen est agacé par ce besoin d’indépendance… Il s’installe en avril 1914 Villa Saïd ; ils ont entre autres pour voisins
Anatole France, Abel Faivre, la cantatrice Mme Lucien … Jasmy s’attarde sur la description de la maison… Van Dongen y est seul,
car sa femme et sa fille sont parties en Hollande dès le début de l’année, « mais entouré d’un harem hétéroclite : femmes peintres,
danseuses, musiciennes, bourgeoises émancipées »…
[Leur rencontre]
. J
asmy
est amenée Villa Saïd par le peintre vénitien Gennaro F
avai
. Le peintre lui plaît. « Son charme de
Nordique, fait de nonchalance, d’humour, d’une brutale franchise tempérée par un vrai compliment. Parlant très peu, il est le
muet
, toujours attentif pourtant, ce qui est une garantie de succès auprès des bavardes, et lançant à propos le mot juste, cocasse.
Au physique, un beau gars de 40 ans, bien découplé, un torse d’athlète, épaules larges sur des jambes de coureur ; une attache de
cou de Dieu grec avec une toute petite tête, des yeux de marin bleu turquoise, sans cils, le nez petit, droit ; la bouche ourlée, très
rouge, et la barbe, satyre, forban, des mains grosses – évêque et paysan–, un cocktail très attractif »… Leur vie à deux s’organise
progressivement Villa Saïd… Il lui déclare : « Je ne peux rien faire tout seul, tu es celle que j’attendais ; ensemble nous aurons
tout : gloire, richesse, bonheur »… Sa démarche de divorce avec Guus traînera pendant la guerre et n’aboutira pas, car cette dernière
y renonce. Attirée par le succès de son ex-compagnon, elle entend réintégrer le domicile conjugal : « on fait une expertise des
tableaux ; un expert myope inventorie à tâtons ; quelques toiles de J. reléguées au sous-sol, dans les chambres de domestiques, sont
cotées par cet homme au goût calme, plus cher que celles du peintre. Le divorce n’est pas accordé ». Jasmy vit mal cette situation
à laquelle se résigne Van Dongen…
[L’hôtel de la rue Juliette-Lamber]
. « 1920. La paix signée – on veut leur vendre le 29 Villa Saïd mais V.D. est grand il trouve
la maison trop petite les ateliers manquent de recul pour ses immenses toiles – les portraits hauts de 2 m. au moins »… Le couple
cherche alors une nouvelle résidence, que Jasmy trouvera par hasard en se perdant dans le 17
e
arrondissement au retour d’une
course : « elle tombe en arrêt devant un énorme hôtel »… Van Dongen sera quant à lui immédiatement emballé… Ils s’y installent
en 1921 et décorent immédiatement les murs. Jasmy raconte : « la belle toile
Le Couple
ne trouve pas sa place dans une pièce intime.
Elle perd beaucoup à être accrochée au grand jour, dans un des deux ateliers. Elle disparaîtra finalement, rongée par le salpêtre
d’un mur humide »…
1921-1926 - Les lundis rue Juliette-Lamber.
« Tout
Paris – tout Londres – tout New York –l’Argentine – l’Australie … Chaque
lundi de mai, juin, juillet, après vernissage exposition, le Peintre et J. reçoivent dans cet immense hôtel [...]. C’est un casino ;
1500 personnes déambulent [...]. Tous les mondes, le grand, le demi, le Théâtre, la danse, le cinéma, les Lettres, les Beaux-
Arts. Quelques critiques, des conservateurs de musées ; peu de peintres, les vieux amis du Bateau-lavoir dispersés… »… Des
artistes, telle Suzy S
olidor
, y feront leurs premières apparitions… « On dansait tangos, shimmys. Le Peintre, fou de Danse, était
magnifique à voir serrant de près sa danseuse, sa petite tête rejetée en arrière, avec dans les yeux une telle allégresse dionysiaque.
C’était Pan. Il n’oubliait jamais les dames timides ; avant de faire danser la plus belle »… D’autres passages sont plus intimes,
comme une tentative de couple à trois, ou une nuit où elle partage le lit du peintre avec Hélène Gosset, la vie dans leur maison
de campagne du Louvard, etc.
[Sur la fin de leur relation]
. « 1927. J. s’ennuie. Ce fut une période déchirante pour tous deux. Cette belle association croulait.
Ils essayaient d’étayer les pans de mur qui tombaient de leur palais en ruine. Ils n’y parvinrent pas et ce fut la séparation 1930.
[...] Qu’est-il arrivé au juste ? Oui, évidemment, la première fissure ; le divorce non poursuivi ; l’indifférence de l’homme pour
la tranquillité de sa compagne, la lassitude aussi ; – dix ans de vie commune, cela fait du temps, ce temps qui arrange tout, qui
détruit tout aussi. Et cette solitude ! Être la femme d’un grand artiste, quel mirage ! Il ne vit que pour son art
Même quand je fais
l’amour, je regarde encore en peintre que cela peut faire un tableau !
Séparée de lui, elle n’est plus rien ; le monde acceptera de gré
ou de force la suivante de ces dames. Pour l’avoir dans un dîner, une fête, on invite la secrétaire, le modèle préféré, Miss Russie à
part. À l’ex Madame V.D. il ne restera rien…, de cette vie brillante, entre ses doigts ouverts les souvenirs fuient comme du sable ;
elle n’aura que des miettes ramassées dans le sillon de sa gloire, éclairée par le projecteur de son génie ; elle rentre dans l’ombre,
c’est une dame comme les autres, une bourgeoise anonyme. Plus ce nom qui claque, qui fait plaisir à entendre, à répéter. Ah ! C’est
amer ! Pourtant elle l’avait tant aimé son Kiki. Il était tout pour elle, amant, mari, enfant »… Elle raconte son caractère tyrannique,
maladivement jaloux, ses bouderies prolongées… « Rien à faire avec les femmes. [...] Il ne peut vivre ni avec elles ni sans elles. Il
est pourtant assez puissant pour se passer de tout, de tous, de toutes »…
1928-30, rue Juliette Lamber
. Ils continuent à vivre sous le même toit : « Période de souffrances pour tous deux [...] Dans
l’escalier on se dit bonsoir et chacun se retrouve solitaire »… Elle quitte souvent Paris pour fuir cette situation… Les années qui
suivent sont moins développées… Elle se mariera en 1931… Van Dongen papillonnera un temps…
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