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Ça ne me va plus »… Les affaires sont difficiles, les acheteurs sont frileux… Un certain
K
ahn
l’a abordé la veille pour lui acheter des tableaux : « Je voudrais bien décrocher une
bonne affaire pour te prouver que j’ai raison de rester à Paris », car jusqu’à présent il n’a
que le remords de ne pas l’avoir accompagnée : « Il y a trop de “danseurs professionnels” à
Cannes et tu es dans l’âge critique et je ne veux pas te perdre »… Aussi espère-t-il que Mme
Jenny l’emmènera bientôt à Beaulieu et que ce séjour au soleil lui donnera « la force et la
santé suffisantes pour supporter les manies et les sautes d’humeur de ton petit chéri adoré
(je me figure toujours que c’est moi) »… Il a des projets de tableaux, mais ne souhaite pas
lui en parler : « je préfère attendre ta critique »… Au sujet de son régime : « Je mange peu je
mincis je redeviens beau »… Il termine : « Mon dieu mon dieu que je suis malheureux – et
que j’aimerais être dans les bras de ma volupté, té-té-té-té ».
Ce mercredi [12 mars]
(à côté de la gravure au cavalier bleu,
dessin
où il se représente
au lit en train de lire en fumant la pipe, légendé : « C’est Kiki qui lit au lit »). « Rencontré
hier au bois la lapine qui m’a donné de tes nouvelles c.à.d. elle m’a dit que tu as bonne
mine »… Il se lève tôt car l’hôtel mitoyen est en pleins travaux… « Je m’appelle Kiki Jasmy
et ma mère m’a abandonnée. C’est une gourgandine »… Déjeuner avec des Américains :
Mme H
avemeyer
, Mac Cormick… Il est content d’apprendre qu’elle a reçu des nouvelles
de Mme Jenny et va bientôt la rejoindre. « Tu n’es pas fait pour la vie de Casino. Tu es fait
pour coucher dans mes bras »… Il termine : « Je te gobe mon Kiki ».
Vendredi soir [14 mars]
(gravure au cavalier bleu). Il a reçu un appel de la cousine de
Mme Jenny qui l’informe qu’elles viendront la chercher dimanche… « J’ai fait un petit
portrait de Guitte qui sera peut-être bien. Je suis comme un petit chien qui a perdu sa mère
et qui pleure »…
Ce samedi [15 mars]
. D
essin
de chien, commenté : « Voici mon dernier modèle c’est
un petit copain, abandonné comme moi par sa mère, et qui mange dans le même petit
restaurant que moi. Il est sale, plein de poils et tire la langue comme moi. Nous menons
ensemble
une vie de chien
 ». Il a été au Bullier au bal pour les Russes, et y a rencontré
beaucoup de gens : Violette M
urat
, des journalistes, le peintre F
oujita
« en Amour »,
Georges M
ichel
 : « Tu vois moi aussi je vais dans des dansinges ». Nouvelles d’amis… Il
est désaxé par son absence mais pense que cette cure leur fera du bien à tous deux… Il
pense faire un portrait de C
asseus
d’après des photos que ce dernier lui a montrées, « en
costume de gala de diplomate broderies d’or, décorations un sabre et un chapeau de garçon
de recette […] Mais n’en parles à personne. Je vais me déguiser moi aussi en homme du
monde et essayer de faire mon nœud de cravate tout seul […] Je t’embrasse sur ton petit
derrière et sur ton devant »…
Ce dimanche soir [16 mars]
. D
essin
de phonographe, d’où sortent (5 fois) les mots « et
le thé ? », avec la légende : « La voix du maître ». « En fait de thé je n’en ai plus pris depuis
ton départ ». Détails sur son emploi du temps… « J’ai déjà minci tu verras quand tu seras de
retour j’aurai 20 ans, et comme tu as un faible pour les tétards j’espère que tu m’aimeras »…
Résumé d’un film où joue une guenon extraordinaire. Récit d’un thé chez Gabriel V
oisin
.
« Je me suis ennuyé toute la soirée car décidément
la Prisonnière
c’est peut-être bien beau
mais […] Lire c’est bon pour cinq minutes mais après on n’a plus rien à faire. […] j’espère
que tu as toujours tes petits bras attendrissants dans lesquels je voudrais bien dormir. […]
J’ai pris ta place dans le pieux là où il y a un creux, et je ferme tout doucement les yeux
en disant tais-toi ma q… […] toujours pas encore de grosse commande »… Il travaille au
portrait de Mme Jenny [S
acerdote
], « celui qui a un fond de jardin. Je ne m’inquiète plus
naturellement de la ressemblance j’essaie d’en faire un beau tableau et à chaque séance elle
rajeunit. Je t’embrasse je t’aime et je suis furieux. Ton petit homme ».
Ce mardi [18 mars]
. Il a reçu sa dépêche de Beaulieu : « Peut-être est-ce un télégramme
de remords – peut être faut-il le lire ainsi : Vais bien tendresse – mensonge suit ? […] Tu
sais comme je suis tyrannique et bête. Et je suis tout le temps furieux »… Il relate sa colère
contre une dame qui lui demandait des nouvelles de Mlle Léa Jasmy : « cette Beaumachin
qui croit qu’on reste mademoiselle – quelle pisseuse »… Les affaires ne reprennent pas :
« La dernière crise du franc a arrêté tout et les Allemands qui commençaient à venir à
Paris à cause du change maintenant que le change s’améliore – Enfin tout cela c’est de la
politique ». Il espère cependant pouvoir s’acheter une auto « pour les petites fesses de mon
amour ». Il a terminé son envoi pour le Salon : « Le portrait de Guitte va bien et j’ai fait un
petit portrait de mon ami Tobby le chien du “Rendez-vous des Autobus”. […] Je voudrais
être à Beaulieu, avec toi dans ce grand salon tout en or et plein de soleil »… Il signe : « ton
tout petit Kiki ».
… /…