Page 22 - cat-vent_aguttes28-06-2012

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118.
Baronne Hélène d’ŒTTINGEN
(1887-1950).
‘’
Modigliani ’’
Fille d’une comtesse polonaise elle arriva à Paris en 1902 avec son cousin le peintre Ser-
ge FÉRAT, après avoir divorcé d’Otto von Oettingen. Très fortunés, recevant des re-
venus importants de Russie, ils devinrent les mécènes de la bohème parisienne et jouè-
rent un rôle important dans la survie de la revue
Les Soirées de Paris
, créée par Guillaume
Apollinaire. À partir de 1913 elle accueillit dans son salon du boulevard Raspail l’essen-
tiel des artistes français et étrangers qui allaient rester les grands noms de la peinture et
des lettres d’avant-garde : fauves, cubistes, futuristes italiens et adeptes de l’art abstrait.
Après une liaison passionnée avec le peintre florentin Ardegno SOFFICI, elle se lia avec Léo-
pold SURVAGE, se faisant elle-même bientôt connaître comme romancière sous le nom de
Roch GREY, comme poète sous le nom de Léonard PIEUX et comme peintre sous celui de
François ANGIBOULT.
Manuscrit autographe signé
de son pseudonyme littéraire «
Roch Grey
», daté (Paris)
13 octo-
bre1920
,quifutpubliédanslen°6delarevue
ACTION
,dirigéeparFlorentFels,endécembre1920.
Le manuscrit
se présente sous la forme d’une suite de pages, réunies bout à bout, verticalement,
constituant un rouleau mesurant 142 x 17 cm. Écrit à l’encre noire sur des feuilles de papier
fragilisé, il comporte de nombreuses corrections et présente un manque partiel de texte dans sa
partie supérieure, sur 29 lignes.
Émouvant et très beau texte écrit et publié quelques semaines seulement après la mort d’Ame-
deo Modigliani, victime à trente-six ans d’une méningite et d’une longue accumulation d’excès.
Texte dans lequel Hélène de Œttingen retrace les différentes moments de l’existence précaire et
accidentée, mais combien créatrice, de cet ‘
’artiste maudit
’’, qui l’avait très vite fascinée et qu’elle
avait coutume d’appeler
Le Prince en haillons
.
Une vie de misères et de création, commencée en Italie, puis continuée à Paris, àMontmartre et à
Montparnasse : «  …
Fils d’une honorable famille juive de Livourne, peut-on savoir quelle collision
d’événements le priva de tout soutien matériel …A-t-il jamais connu d’autres paysages parisiens que
ces
deux boulevards noués en croix de toutes les expiations, au pieds du tumultueux café de la
Rotonde,
dont il était l’hôte le plus assidu
... ».
L’homme et le caractère : « …
Sa beauté le disposait à l’orgueil
, la surprise de se trouver sous la
couche de haillons a dû l’affecter comme un outrage : l’élégance de son esprit très élevé guidant ses
goûts, il craignait peut-être de se montrer en pleurs et préféra crâner en buvant …
».
En 1906, il rencontre Constantin Brancusi, et se veut alors plus sculpteur que peintre : «  …
au
216 boulevard Raspail … au bout de ce jardin, une baraque aux vitres brisées, servait d’habitacle et
d’atelier à Modigliani, encore sculpteur
… ». Mais bientôt des circonstances matérielles diverses
feront que : «…
brusquement il devint peintre exclusivement
».
La dérive vers l’alcool et la drogue : « …
Aucune des femmes ne sut, ne put transformer son désir
de stupéfiants en un amour-passion,
aucune non plus ne se révolta de son excès de négligence, car
sorti de la détresse, il continua à vivre comme un mendiant…
» .
Une jeune fille pour modèle, qui finalement porta son nom : «…
Petites ou grandes, les toiles de
cette époque la représentent, immobilisée dans une attitude presque hiératique, sorte de Joconde aux
traits d’une irrégularité séduisante que le pinceau de l’amant exagérait,
allongeant l’ovale, rétré-
cissant les pommettes, rapprochant les yeux
,
ainsi transformée en un fantôme
».
Il était resté attaché à son origine judaïque : « …
Rare entre les juifs de son milieu, il annonçait
avec fierté son origine et
aimait parler de sa religion, usages, rites
, s’attendrissant sur les particu-
larités de ses souvenirs…
».
Une vie brève, très souvent au bord du vide, et une fin tragique : « …
Tard dans la nuit, on en-
tendait des cris
, comme si quelqu’un appelait au secours : c’était lui qui déjà méconnaissable, s’exas-
pérait dans son ivresse,
ayant dépassé les limites du possible
… L’hôpital portant le nom glacial de
la Charité, devrait placer une éclatante plaque commémorative sur ses murs crasseux. C’est là que
d’un seul coup s’éteignit cette vie qui aurait pu être bonheur et gloire, aussi lumière éclairant de vas-
tes horizons - Les funérailles furent celles d’un homme illustre…
». Sa compagne, qui portait leur
enfant, ne voulut pas lui survivre. Elle fut mise en terre avec lui au cimetière du Père Lachaise.
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