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PAGNOL Marcel.
64 lettres autographes signées et 5 lettres signées, 1922-1935, à
Marcel Gras ; environ 200 pages formats divers, qqs enveloppes
(qqs lettres incomplètes).
Exceptionnelle et très intéressante correspondance au
sujet de leur collaboration à la revue
f
ORTuniO
, puis à la
société des Films Marcel Pagnol, évoquant aussi les succès
théâtraux, cinématographiques et littéraires de Pagnol,
jusqu’à la brouille définitive des deux amis.
La correspondance débute en 1922, à l’arrivée de Pagnol à Paris, où il vient
d’être nommé professeur-adjoint au Lycée Condorcet. Il continue cependant à
participer activement à la revue
Fortunio
, en tant que correspondant parisien et
directeur littéraire, et va tenter de lancer la revue à Paris, imaginant même une
édition parisienne de celle-ci ; mais la distance et l’ambition de ses confrères
restés à Marseille l’éloigneront petit à petit de la direction de la revue qui finira
par lui échapper totalement, pour devenir en 1926, sous l’impulsion de jean
Ballard, les
Cahiers du Sud
.
Depuis Paris, Pagnol se dépense tout d’abord sans compter pour
Fortunio
,
et veut tout contrôler : il envoie articles, critiques, idées de publicité. Il
tient à s’occuper des rapports avec l’imprimeur, envoie la maquette d’une
plaquette publicitaire à imprimer à ses frais, pour lancer la revue à Paris, etc.
« Décidément, je resterai à Paris encore un an. Il serait bête de ne pas tenter
ici la chance de
Fortunio
. Car pour la mienne, il n’y a aucun doute. j’ai réussi,
oui mon vieux, parfaitement réussi : […] si j’avais en portefeuille une bonne
comédie
ou un roman bien dactylographié, je trouverais le succès immédiat.
C’est moins difficile qu’à Marseille.
Croyez-moi
. Le point noir, c’est que, sauf
Catulle
, je n’ai pas encore écrit une œuvre qui contienne quelque chose ». Il
rencontre de plus en plus de monde dans les milieux journalistiques, littéraires
et théâtraux : Henri Béraud, Paul Nivoix, l’acteur De Max, Marcel Achard,
PaulMorand, qui a vertement critiqué la couverture de
Fortunio
, et puis bientôt
André Antoine, Pierre Mac Orlan, Francis Carco, etc. Mais les efforts de
Pagnol n’ont pas l’écho escompté à Marseille, et il se retrouve bientôt écarté
de
Fortunio
, qu’il critique sévèrement, reprochant à ses collègues marseillais la
mauvaise qualité des tirages, des textes, une mise en page navrante, un choix
d’intervenants inconnus ou nuls, etc. « Au lieu de merdoyer comme nous le
faisons depuis cinq mois, au travail ! ». Il s’inquiète de l’avenir de la revue :
« Parbleu ! si elle continue à être ce qu’elle est nous ne risquons pas de réussir !
Mais avec un effort sérieux nous
devons
réussir. je n’ai pas encore rencontré
ici des types qui nous
vaillent
. Magre, rostand, Duvernois et compagnie sont
incapables d’écrire […]. à
Fortunio
nous avons du talent, et du talent sérieux,
solide, profond. […] Le succès nous encouragera. Si tu savais comme, en nous
serrant, nous pourrions arriver triomphalement ! D’ici deux ans, nous serions
tous les cinq
riches
; et nous pourrions fonder dans les collines provençales une
abbaye de Thélème où nous travaillerions six mois de l’année… pourquoi faut-
il que tu veuilles diriger
Fortunio
? »… Il reproche à Gras, ainsi qu’aux autres
collaborateurs, de le laisser dans l’ignorance et de vouloir le tenir à l’écart, de
gâcher les chances de réussite de la revue : « Le choix, l’ordre des matières, la
présentation du numéro sont extrêmement préjudiciables à notre réputation ».
Il propose de nouvelles formules, cherche des éditeurs, des abonnés, mais ses
idées restent sans réponse. Les brouilles et l’incompréhension s’enchaînent,
pour devenir de plus en plus fréquentes. Il réclame sa part de travail, refusant
d’être relégué « au rôle de membre du conseil d’administration et de gérant »,
et devient de plus en plus critique et déçu à l’égard de Gras : « tout ça c’est
de la mauvaise besogne »… « C’est le résultat de ta politique néfaste »… Il
l’accuse d’avoir bâclé la publication de
Catulle
dans la revue, de vouloir le
dépouiller de son rôle dans la rédaction : « Anarchie, anarchie, incohérence.
[…] ce n’est pas ainsi que nous avions conçu
Fortunio
. Certainement
non
. on
me propose de fonder des revues : j’en ai soupé : ça ne me réussit pas. je préfère
travailler à mon œuvre personnelle et je vous laisse pontifier inconsciemment
à Marseille »… on lui conseille de laisser
Fortunio
à Marseille, et d’entrer
dans une grande revue parisienne : « Le fiasco total de mes espoirs à
Fortunio
me rejette vers le théâtre et le roman. Ce qui n’est pas gai, c’est de songer
que Ballard et toi, vous êtes maintenant à millions de lieues de ma façon
de penser, que vous ne produirez […] plus jamais rien qui vaille »… Il juge
la revue de plus en plus mauvaise : « reçu dernier numéro. Mauvais. Pas un
abonnement possible avec un cahier aussi peu intéressant », etc.