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Cependant côté théâtre, les choses bougent. Pagnol raconte à Gras, dans une
superbe lettre, sa fabuleuse rencontre avec De Max, qui considère
Catulle
comme un chef-d’œuvre, souhaite le jouer à la Comédie Française, et lui dit :
« Fais du théâtre. Tu es né pour ça. Tu seras un grand dramaturge »…
Paris 5
juin
. Reprochant à ce « Saligaud » de Gras de le laisser sans réponse, il lui fait
part toutefois de ses avancées théâtrales : « En ce moment, j’écris beaucoup.
Le Mariage de Peluque
et
La Petite Fille aux yeux sombres
sont enfin prêts, mais
[…] il y a toujours quelque chose à reprendre. Je rêve de grandes œuvres, pour
le théâtre »…Sa pièce
Catulle
sera refusée par le Comité des Français, malgré le
soutien de De Max, mais la pièce a beaucoup plu à Formentin qui lui propose
de la jouer au théâtre d’Orange…
Pagnol revient enfin sur toute leur brouille et l’histoire de
Fortunio
dans une
longue du
21/2
 : il lui rappelle la création de
Fortunio
par lui en 1913, puis
sa reprise à Aix, au prix de grands sacrifices, à ses propres frais. Il reproche à
Gras son machiavélisme, et l’accuse de l’avoir dressé contre Jean Ballard, ce
qu’il regrette vivement : « A cause de toi, à cause de tes diatribes contre Jean, je
l’ai détesté, sans qu’il m’eut jamais nui ». Il s’est donné « plus de mal que vous
tous réunis » pour
Fortunio
. À Paris, « tout seul dans la misère […] je reçois
Fortunio
 : la citation de
Catulle
est mise en page lamentablement. Gros chagrin
pour moi, rendu plus pénible par l’isolement. […] Enfin, le contrat est signé.
Dans cette revue, que je viens de ressusciter […] je perds tous les privilèges,
tous les droits que j’avais depuis si longtemps. Au profit de qui ? À ton profit ».
Depuis, pas de nouvelles, aucun envoi, hormis de vaines promesses : « Songes-
tu que depuis trois mois et demi mon rôle à
Fortunio
se réduit à zéro ? Et tout
cela par
ta
faute […] Quand je suis parti, je savais bien que l’absence était pour
moi un handicap terrible : […] il y avait fatalement entre Ballard et moi une
lutte continuelle, […] mais au fond amicale. […] Je comptais sur toi […] qui
disais que j’avais “du génie”, et qui te disais “mon disciple” ». Mais au lieu de
cela Gras s’est mis en tête de lui prendre ses prérogatives, et de diriger la revue
à sa guise… Dans la même lettre, il l’informe de ses travaux personnels : il
travaille d’arrache-pied, a refait
Le Mariage de Peluque
, a fini
Ulysse,
« qui sera
joué après
Villon
au théâtre Michel », intrigue toujours pour jouer
Catulle
au
Français ; « Nivoix se démène pour nos comédies, mais bien des projets et des
promesses lui claquent dans les mains, parce que
Boxe
et
La Jeune Fille sur le
divan
ont trop de personnages ».
Tonton
sera créé aux Variétés de Marseille…
Mais le ton monte toujours, et l’amertume prend le dessus.
8 juillet 1923
. Il
ne pardonne pas à Gras son silence épistolaire, le voit comme un hypocrite,
comme un traître : « Tu es un remarquable salaud, mais je ne me vengerai
pas de toi, à cause de notre jeunesse ». Il veut passer à autre chose : « fatigué
de l’actuel
Fortunio
, j’avais pris mes mesures pour un autre bi-mensuel,
soigneusement préparé. Pour le titre […] je propose “
Les Cahiers du Sud
”, ce
qui est tout à fait dans le goût du jour ». Il a déjà de nombreux abonnements,
un papier admirable, « (celui de la Nouvelle revue Française) », etc.
Leur correspondance, après quelques années de brouille, reprend en 1926.
4
mai [1926]
. « Je travaille beaucoup […] je me cherche, j’hésite.
Jazz
est reçu »
et sera créé à Paris et Monaco, puis partira en tournée à travers l’Europe : « il
faut travailler, et le succès vient tout seul »…
23 mai
. Tout heureux d’avoir
une réponse de Gras, il le félicite sur ses vers : « Tu es un vrai poète ! » ; il
va tenter de faire publier ces poèmes. Inquiet pour sa santé, il supplie Gras
d’oublier les médecins, « les pires agents de démoralisation », et lui conseille :
« Mange, dors, baise » ; il lui propose d’aller garder les chèvres avec son frère
Paul à la Treille pour se rétablir…
25 juin.
Exalté, il a écrit en 4 jours une
Orestie
 : « de ma vie je n’avais travaillé si vite, et avec une telle allégresse.
Trois actes en quatre jours ! »…
[Novembre]
.
Jazz
sera créé le 2 décembre à
Monte-Carlo, et le 10 à Paris. Il a pris au Lycée un congé illimité, et travaille
beaucoup : « je me cherche, je mûris […] et mon métier est plus sûr. Ma vie
matérielle est assurée puisque mes contrats me garantissent un minimum qui
atteint 8 fois mon traitement du lycée »…
Jazz
est un succès, les recettes ne
cessent de croître, mais Harry Baur quitte la pièce à la 72
e
représentation,
et il ne parvient pas à trouver un remplaçant convenable… Il travaille sur
plusieurs pièces :
Bien-aimée
,
La Belle et le Bête
,
Pirouettes
. Il tente de faire
entrer Gras au
Figaro
par Robert de Flers, qui a pris Pagnol sous son aile,
de même qu’Henri Bernstein…
19 mars 1927
. Il annonce la création des
Cahiers de Paris
, avec Nalpas, Théry, Georges Auric, Marcel Achard, et
Marcel Gras comme secrétaire général… Il tente cependant de le dissuader
de monter à Paris, où il n’aurait aucun avenir, aucune situation… Il travaille à
Topaze
, dont il a refait bien des scènes pour la publication : « les critiques qui
ont dit que c’était un vaudeville sont des
culs
. C’est une très bonne pièce, et
j’en suis content »…
[Juillet 1929]
.
Marius
est en pleine gloire, mais Pagnol,
désirant travailler au calme, est retourné à Marseille, où il fuit également
Orane Demazis. Il demande à Gras de jouer les intermédiaires et de protéger
sa retraite : « fini entre elle et moi. Je me connais. […] j’aimerais mieux ne plus
jamais rentrer à Paris que de revoir Demazis »…
6 juin 1930
. Ses rapports avec
Orane s’aggravent, et il laisse des consignes à Gras, au cas où il lui arriverait
malheur : « Ceci a l’air fort dramatique. Mais […] la démence et la bêtise de
Demazis autorisent en ce moment toutes les craintes »…
En 1934, Pagnol engage son ami dans sa société de cinéma Les Films Marcel
Pagnol pour s’occuper du secrétariat général (contrats, droits d’auteurs,
assurances), de la publicité des films, etc. Tournage d’
Angèle
 : « Le film avance
rapidement. Tout est magnifique, sauf Fernandel, qui a joué Fernandel.
Peut-être sera-ce cette erreur qui fera le succès du film »… Il a le projet de
tourner
L’Arlésienne
, mais le film ne se fera jamais, pour des raisons financières.
Mais bientôt une réorganisation de la société brouille à nouveau les deux
amis : Gras présente sa démission à Pagnol, outragé. Pagnol se défend, lui
rappelant : « C’est moi, et moi seul, qui t’ai fait gagner ta vie depuis plusieurs
années. Tu es entré aux Variétés à la remorque de
Topaze
. Tu es entré aux
Films Pagnol, où je t’ai payé de ma poche ; tu es entré aux Auteurs Associées »
(26.VII.1934)… En octobre-novembre 1934, Pagnol vend trois films qu’il
s’apprête à tourner :
Blanchon
[qui deviendra
Cigalon
],
Merlusse
et
L’Idiot du
village
… Mais le contrat est brisé et engendre un nouveau désaccord.
1935
 :
« J’ai vu mes deux films.
Merlusse
est mon meilleur film, et de beaucoup […].
Cigalon
–hélas – est un film drôle […]. Mais comme tu l’avais prévu, ce
n’est
pas un grand film
 ». Il envisage d’adapter au cinéma
Les Jardins de Murcie
. Il
désire retourner
Cigalon
et
Merlusse
avec Raimu, et projette de commencer à la
fin de l’année
Le Schpountz
… 1934-1935 : Dernière brouille de Gras et Pagnol
au sujet de la vente, de la distribution et des droits de
Merlusse
et
Cigalon
On joint un important dossier au sujet de leur dernière affaire et brouille
(Affaire
Merlusse
et
Cigalon
, 1934-1936) : 4 longs brouillons de lettres de
Gras à Pagnol, des notes autogr. de Gras, 2 attestations signées de Pagnol,
lettre de René Pagnol à Gras, copies polycopiées de leurs échanges de lettres,
télégrammes, lettres de tiers, pièces, ou copies, la plupart à Gras, au sujet
de leurs finances, de leurs accords, de contrats de distribution des films à
l’étranger, etc… – Une quarantaine de lettres d’admirateurs, de collègues, de
journalistes, ou d’affaires, adressées à Pagnol, programmes de
Jazz
(1926), de
Topaze
(1928), coupures de presse, etc. – Un gros dossier concernant Marcel
Gras : manuscrits divers, tapuscrits de contes, brouillons, notes, ébauches de
poèmes, etc. ; environ 180 lettres ou pièces à lui adressées, 1918-1967 (dont
Gabriel d’Aubarède, Jean Ballard, Louis Brauquier, Renaud Icard,
Gaston Mouren, Marcel Nalpas, Carlo Rim, Théo Varlet, Lanza del Vasto,
etc.) ; plus un dossier de lettres et documents divers concernant sa famille
et son père l’homme politique Philémon Gras, dont des lettres de Louis
Bertrand, Jules Guesde, Urbain Gohier, et 21 d’Émile Janvion, etc.
20 000 / 25 000