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La laque adhère sur toutes sortes de matériaux,
outre le bois, comme les métaux, cuivre, argent,
étain, maillechor t, or, aluminium, mais aussi
comme la pierre, le ciment, le verre, le cuir, le
papier et même le pyrex. Cependant, pour bien la
faire accrocher sur ces dif férents suppor ts
of frant peu d'aspérités, elle a besoin de prises,
et l'on procède donc, sur certain d'entre eux, à
un sablage destiné à rendre la sur face moins
lisse. En revanche, elle brûle les tissus, exception
faite de ceux en soie naturelle.
Sur les matières qui supportent la chaleur sans
déformation, la laque est durcie par une cuisson
au four entre 150 et 250°C le séchage au four se
produisant également par polymérisation. Com-
mencé à 96°C, température où la laccase dis-
paraît, le durcissement de la matière donne,
jusqu'à 120°C, des laques de teinte claire alors
qu'à 180°C ses couleurs foncent de plus en plus,
jusqu'à prendre un aspect brûlé.
Jean Dunand possédait des fours pouvant
cuire
des
panneaux de deux mètres sur trois, nécessaires à
ses décors, mais un simple four de cuisinière
aurait pu suf fire. Ces laques oxydées à chaud
sont extrêmement résistantes et dures et c'est
par ce procédé que les Japonais décoraient
traditionnellement les armures ou les gardes de
sabre.
Sur toutes les autres matières, la seule manière
de faire durcir la laque est de la placer dans une
atmosphère humide et tiède où une fermentation
naturelle et l'oxydation de l'eau agiront peu à
peu. Une fois durcie, la laque n'est attaquable par
aucun dissolvant et résiste aux agents chimiques
de toute nature, tout comme elle résiste aux bac-
téries. Elle constitue d'ailleurs un excellent
isolant électrique et résiste à la chaleur jusqu'à
400°/450°C puisqu'elle ne commence à se car-
boniser qu'à 550°C.
En revanche, il s'agit d'un produit extrêmement
nocif et, à l'état liquide, il provoque chez certains
sujets un phénomène d'anaphylaxie. Cette
dermite super ficielle, si elle n'est pas grave, est
extrêmement désagréable et peut atteindre une
personne qui, sans toucher la laque, se penche
simplement dessus. Alix Dunand se souvient que,
enfant, elle en fit la terrible expérience en voulant
regarder un fût ouvert. Heureusement, la plupart
des Asiates ne sont pas sensibles à cette
réaction, encore que nombre d'entre eux se
détournent toujours lorsqu'ils traversent une
plantation d'arbres à laque.
Pour obtenir des laques naturelles transparentes
mais colorées, il faut baratter à la main, à l'aide
d'une palette en bois, la couche supérieure du
mélange décanté. Selon la durée de l'opération
et la vitesse de rotation, on obtient, au bout de
dix - douze jours, une belle couleur qui va du blond
clair au brun foncé. Dans le but d'éviter une
manipulation longue et aléatoire, Jean Dunand
mit au point une baratte électrique qui diminuait
d'autant le travail de la main-d'œuvre et permettait
d'obtenir des résultats pratiquement identiques
d'une opération à l'autre. Cette baratte était
constituée par une sor te de pale d'hélice dont
l'axe vertical était actionné par un moteur, sous
lequel on plaçait un récipient contenant la laque.
C'est cette laque ambrée naturelle qui constitue
le produit de base du travail de décoration du
laque.
La laque noire est un autre produit de base, sans
doute le plus beau. Il s'obtient également par
barattage de la laque naturelle, mais en utilisant
une barre de fer doux au lieu de la palette en bois.
Le récipient doit être en grès, et non en vannerie
comme il est d'usage pour obtenir la laque ambrée.
C'est l'oxyde de fer de la barre métallique qui, au
contact de l'air, noircit la laque transparente.
Quant aux laques de couleur, elles sont extrêmement
difficiles à obtenir. Le point de départ est toujours
la laque barattée de première qualité dans laquelle
on mélange et on broie des pigments végétaux
colorants en poudre. Le rouge s'obtient avec du
vermillon (sulfure mercurique), le jaune avec de
l'orpiment (sulfure d'arsenic), le vert en ajoutant
de l'indigo à l'orpiment, le blanc étant en principe
impossible à obtenir. Cela étant, il faut bien
comprendre que très peu de matières colorantes
conviennent à la laque, la plupart ayant pour effet
d'empêcher celle-ci de durcir, ou de la faire
tourner au noir au cours de son durcissement.
Ce dernier inconvénient peut d'ailleurs très bien
se révéler plusieurs mois ou années après que
l'œuvre a été terminée, d'où l'extrême prudence
avec laquelle un laqueur sérieux utilise les laques
Laque d’une hélice d’avion durand la Première Guerre mondiale
dans un atelier de l’Armée de l’Air