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pour ne prendre que des planches taillées dans le
fil du bois. Il fallait veiller également à ce que les
joints des assemblages ne se trouvent pas placés
sur les surfaces à laquer, ni sur les parties planes,
ni sur les bâtis de la charpente du meuble. Les
assemblages, quant à eux, devaient être réalisés à
l'onglet, c'est-à-dire coupés chacun en biais à 45°
et collés bord à bord de sor te qu'ils soient
pratiquement invisibles sur les arêtes des meubles.
De ce fait, le jeu toujours possible de l'ajustement
résultant de la dilatation des panneaux devenait à
peine perceptible.
Pour résoudre certains problèmes d'assemblage
sur de grandes surfaces impossibles à obtenir d'un
seul morceau, Jean Dunand utilisait des joints en
sifflet. Cela consistait à aplanir en biseau chacune
des deux feuilles de bois et à les faire se recouvrir
en se chevauchant par des parties tellement fines
qu'à l'endroit du joint, le bois n'avait pratiquement
plus assez d'épaisseur pour se dilater. Ainsi, les
panneaux ne se fendillaient pas et les feuilles de
paravents gardaient leur planéité.
Une fois terminés ces assemblages, le meuble ou
les feuilles du paravent devaient être entièrement
poncés avec du papier de verre très fin, de façon
à ne présenter au laqueur que des sur faces
absolument lisses et impeccables.
Afin de justifier le prix relativement élevé de ses
réalisations, Jean Dunand expliquait avec raison à
ses clients que ses meubles étaient fabriqués deux
fois de suite. Une première fois par l'ébéniste qui
les réalisait aussi soigneusement que s'ils avaient
été en bois de rose, puis une seconde fois par le
laqueur qui y travaillait encore plus longuement.
Certaines réalisations demandaient jusqu'à deux
années avant de pouvoir être commercialisées.
Les premiers paravents ou panneaux de Jean
Dunand furent traités en technique de Coroman-
del. C'était au dépar t, pour lui, la façon la plus
simple de travailler les grandes sur faces dé-
corées tandis que, sur d'autres, il af fectionnait
par ticulièrement des couches de laque unie et
lisse sans aucun décor.
Pour chacun de ses paravents ou panneaux,
Dunand établissait lui-même une maquette à l'huile
ou à la colle de poisson qu'il dessinait générale-
ment d'après nature ou en reprenant un croquis
qu'il avait exécuté auparavant. Ensuite, il faisait re-
porter en grandeur réelle son projet, par des mem-
bres de son atelier, afin de pouvoir ensuite le
retoucher. D'autre fois, sa production devenant de
plus en plus importante, il se contentait d'en don-
ner l'idée ou le schéma tout en se réservant la pos-
sibilité d'intervenir en cours d'exécution.
Le nombre d'ouvriers variant en fonction des
grandes commandes, il fallait toujours donner à
ce personnel du travail à exécuter pendant les
périodes de calme, quitte à ne pas avoir de
clients potentiels pour leur vendre les œuvres
ainsi entreprises.
Dans tous les cas, il s'agissait de réalisations
originales, qu'elles soient exécutées par lui-même
ou d'après ses directives par ses élèves et ses
employés. En tant que chef de cette entreprise, il
ne pouvait pas assurer seul l'élaboration de tous
ses projets, et c'est tout naturellement qu'il se fai-
sait aider en période de grosses commandes, soit
par des amis, soit par des étudiants de l'Ecole des
Beaux-Arts ou de celle des Arts décoratifs.
C'est dans l'atelier de dessin que, par des collabo-
rateurs habiles, s'exécutaient les agrandissements
de maquettes, les calques de tracés ou les reports
de dessins. C'est là aussi que s'effectuaient les
relevés de décors exécutés directement sur des
vases afin d'en conserver le
développé
à plat sur
papier et de les classer ensuite pour constituer un
recueil de
modèles
dans lequel il était toujours pos-
sible de puiser pour indiquer un motif décoratif à un
client. Cela permettait aussi d'occuper un ou
plusieurs ouvriers pendant que Dunand travaillait à
autre chose. Pierre Dunand se consacrait plus
spécialement aux maquettes, tandis que Bernard
était chargé de la coordination entre les différents
corps de métier et assurait en même temps la
liaison avec les architectes qui avaient commandé
les installations ou les collaborateurs extérieurs
auxquels ils faisaient bien évidemment appel.
L'opération du laquage proprement dite consistait
d'abord à enduire au pinceau le support préalable-
ment préparé, en le recouvrant d'une couche de
laque naturelle. Pour ce faire, seuls des pinceaux
plats faits de cheveux chinois étaient utilisables
car des poils de petits-gris, d'ours ou de martre
étaient trop souples, tandis que le crin de cheval,
les soies de porc ou les poils de bœuf eussent été
trop épais et n'auraient pas manqué de
tracer des cordes dans la laque, en y laissant des
marques. Il ne faut jamais perdre de vue que la
consistance de la laque naturelle est assez
proche de celle du miel liquide et que la moindre
traînée de matière en surépaisseur se répercute
d'une couche sur l'autre. Par sa consistance, la
laque ne s'étend que très lentement et les filets
ne se tirent « qu'à la vitesse de l'escargot »,
comme le faisait remarquer Jean Dunand à ses
visiteurs. Ces pinceaux, que l'on faisait venir
d'Extrême-Orient, sont constitués de deux
plaquettes de bois entre lesquelles sont
enchâssés les cheveux sur une largeur de 1 à 6
cm et une longueur de quinze à vingt centimètres,
les tablettes de bois laissant dépasser un
centimètre de cheveux à l'un des deux bouts du
pinceau. Celui-ci, une fois usé, se taille comme
un crayon.