Page 193 - Mise en page 1

Version HTML de base

189
un fond de coquille d’œuf sur lequel il relaquait
des motifs décoratifs. Mais, ne voulant pas concur-
rencer Jean Goulden qui utilisait assez bien cette
technique pour ses propres œuvres, il y renonça
assez vite, d’autant plus que leur poids rendait ces
reliures extrêmement fragiles aux articulations.
Schmied, considérant qu’elles correspondaient
très exactement à l’idée qu’il se faisait d’ouvrages
précieux, continua à les faire exécuter chez
Dunand pour son propre compte, puis à les monter
dans son atelier de reliure en les enrichissant de
coquille d’œuf, de laque de chine et de burgau.
Dunand, quant à lui, toujours à l’af fût de nou-
veautés, essaya d’utiliser des reliures montées à
la façon janséniste pour en laquer tout le cuir
extérieur.
La reliure était exécutée seule avant d’être montée
sur le livre, laquée des deux côtés de chaque plat
et sur le dos pour obtenir des tensions identiques
sur chaque face. Il les enrichissait d’incrustations
de nacre et de coquille d’œuf qui étaient ensuite
relaquées en surépaisseur pour définir un décor
pratiquement en relief. Le montage qui s’ensuivait
devait être extrêmement soigné. Mais, ne disposant
pas lui-même d’atelier de reliure, il utilisait de
préférence celui de F.-L. Schmied qui était installé
au 74 bis de la rue Hallé.
Malheureusement, aussi soignée qu’ait pu être
l’exécution de ce type de reliure, elles finissaient
toutes, du fait de leur poids, par accuser une
certaine faiblesse aux articulations. De plus, en
séchant, le cuir perdait un peu de sa souplesse et
entraînait des fentes dans la laque qui, avec le
temps, finissaient par s’agrandir jusqu’à la
cassure. Peu satisfait de cette expérience,
Dunand renonça assez vite à cette technique
dont il n’existe que quatre ou cinq exemplaires.
Une autre tentative fut mise au point par Dunand,
consistant à utiliser de petites plaques de nacre
et à les fixer bord à bord en une fine mosaïque
moirée sur un support de galalithe en représentant
très précisément l’une des illustrations du livre.
La première fut réalisée en 1931 pour relier un
exemplaire de
Peau-Brune
, livre qui relatait la
croisière que Dunand et Schmied avaient faite sur
le pour tour du bassin de la Méditerranée en
1927, et pour un autre livre,
Paysages méditer-
ranéens
de Paul Morand, en 1933.
Une série complète, reprenant toutes les illustra-
tions de l’ouvrage, fut même commandée par
Schmied mais jamais montée, à l’exception d’une
dizaine d’entre elles.
Nombre de cartons fournis par Schmied étaient
dessinés par Gustave Miklos, d’après les indica-
tions de Schmied, à l’aide de croquis et photos
que celui-ci prenait au cours de ses voyages.
C’est un carnet de comptes extrêmement précis
décrivant toutes ces plaques, et découvert chez
Madame Gustave Miklos, qui nous a permis
d’établir ce fait. Deux ouvrages tirés à vingt-cinq
exemplaires chacun,
Histoire charmante de l’ado-
lescente Sucre d’Amour
et
Histoire de la Princesse
Boudour
, furent même édités par Schmied avec
des illustrations entièrement « laquées » sinon
« enluminées » à la main dans les ateliers de Jean
Dunand. Ce travail d’enluminure, s’il séduit
quelques amateurs de rareté, n’eut malheureuse-
ment pas de suite. Il s’agissait en fait d’un travail
exécuté avec des couleurs fines pour enluminure
plutôt que de la laque proprement dite.
Tous les bibliophiles de l’époque souhaitèrent
posséder une ou plusieurs reliures « Dunand-
Schmied ». Que ce soit Henri Vever, dont la col-
lection était de loin la plus impressionnante, mais
aussi Amédée Baumgar tner, Louis Bar thou,
Jacques André et bien d’autres.
La crise économique qui s’installa au début des
années trente devait malheureusement faire
disparaître ces extraordinaires mécènes et ré-
duire à néant ces tentatives luxueuses.
Comme, la plupar t du temps, ces reliures n’é-
taient destinées qu’à des ouvrages imprimés par
Schmied mais dont les textes plus ou moins
ésotériques ne convenaient pas à tous les con-
naisseurs, ces merveilles de bibliophiles furent,
après la guerre, complétement rejetées par les li-
braires d’ar t et les collectionneurs qui les trou-
vaient trop typées. Cette désaffection tout à fait
injustifiée ne fut heureusement que de cour te
durée et, dès les années soixante-dix, de nou-
veaux collectionneurs furent à même de les réha-
biliter, au désespoir de ceux qui les avaient
bradées.