Binoche & Giquello / Sotheby's - BIBLIOTHÈQUE R. ET B. L. - page 9

Quatrième partie de la bibliothèque R. et B. L., après les livres anciens, les livres illustrés modernes et les
livres Art nouveau et Art déco, cette vente, consacrée au XX
e
siècle, se présente comme un recentrage
magnétique sur le fait littéraire pur, l’œuvre, centrale, débarrassée de ses oripeaux aussi séduisants soient-ils :
illustration, fut-elle de génie, reliure, ornement ou prologue ici considérés secondaires et presque
superfétatoires. Laissant place à l’auteur dans sa vérité, dans son milieu amical ou sentimental, et à l’œuvre
évoquée dans son processus de création même, à travers lettres, manuscrits et premières éditions, exemplaires
en grand papier ou enrichis d’envois pertinents, ou portant des corrections dans lesquelles se révèle l’œuvre
qui s’élabore sans fin.
Se dessine ainsi un itinéraire tout au long du siècle, marqué par quelques génies et riche d’auteurs,
d’Apollinaire, et même un peu plus tôt, de Jarry à Céline, avec station devant Joyce, Proust, et Gracq ou
Malraux ou Cohen… pour s’achever aux Mots de Sartre.
Les autres, les rêveurs, les poètes, nous laissent les traces de leurs arabesques multiformes : Cocteau, Max
Jacob, Larbaud, Prévert, Radiguet, Reverdy, Saint-John Perse, sous l’éclat sans pareil de Cendrars et de son
Transsibérien.
C’est l’esprit nouveau qui se répand, foisonnant, dans des revues-manifestes à l’avenir incertain, dans
lesquelles flamboient les œuvres de demain des Jarry, Apollinaire, Cocteau, Reverdy, ou Gilbert-Lecomte.
Tout un monde en mots ou dessins, ceux d’Apollinaire, aquarelles ou calligrammes, de Cocteau, largement,
Malraux, et Proust, et Saint-Exupéry… Ou encore telles conjonctions, Jarry et Gustave Kahn, Apollinaire et
Lou et Marie Laurencin, Proust et Fernand Gregh et Anna de Noailles et Paul Morand, Saint-Exupéry et
Consuelo, Cocteau et Stravinsky, Éluard, Hugnet, Soupault, destins croisés que dessinent la valse lente des
envois et le secret des manuscrits.
Des Alcools d’Apollinaire à l’opium évoqué dans un manuscrit par Ségalen, ce sont encore les paradis
artificiels qui scandent la vie de quelques générations de trublions, tandis que d’autres semblent promis par
Sartre à La Nausée, au Sabbat de Maurice Sachs, ou aux amours terribles de Jean Genet.
Loin cependant de négliger Paul Bonet, Leroux, Martin ou Miguet, qui sont bien présents dans la collection,
leurs habits impeccables n’effacent pas la prééminence des grands papiers, précieux et rares, qu’ils
recouvrent, et des envois qui les magnifient plus encore. De même, une énumération des artistes serait
flatteuse, mais lorsque l’esprit du temps saisi à l’eau-forte par Picasso illumine un livre, c’est que la gravure
est faite pour les poèmes d’un ami. Et si l’on rencontre des bois de Derain, c’est qu’ils sont créés pour le
premier livre d’Apollinaire, ceux de Fernand Léger pour celui du jeune Malraux.
C’est à ce ballet incessant que se livrent les personnages évoqués, et bien d’autres, que nous connaissons, que
nous aimons, et qui nous dévoilent leur âme : et c’est toute la magie d’une collection littéraire.
Dominique Courvoisier
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