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Tableaux anciens - 23 MARS 2012 -
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Giovanni Francesco Barbieri, dit LE GUERCHIN (Cento 1591 – Bologne 1666)
Le roi David en prière
Toile
77 x 64 cm
Provenance :
- collection privée, Paris
50 000 / 70 000
Ce tableau appartient à la dernière période du Guerchin à Bologne (1642-1666), quand ses tableaux prennent un aspect intensément mystique, ses couleurs deviennent
plus saturées et sa facture plus libre et plus éthérée, surtout dans le traitement des arrière-plans.
Durant cette période, quatre tableaux ayant pour sujet le roi David sont consignés dans le
Libro dei conti
du Guerchin. Le premier, une étude anatomique de la tête et des
épaules du roi d’Israël, aujourd’hui perdue, a été peint en 1649 pour Girolamo Panesi, un noble génois, négociant et ami de l’artiste, qui a séjourné longtemps à Rome
1
.
Le deuxième, une figure entière peinte en 1651 pour le Bolonais Giuseppe Locatelli, était autrefois dans la collection des Comtes Spencer à Althorp House (Northamp-
tonshire) et est maintenant la propriété de Lord Rothschild, qui l’a récemment prêté à Spencer House (Londres)
2
. Le troisième, très probablement une figure à mi-corps, a
été peint en 1658, également pour Girolamo Panesi, avec trois autres tableaux, qui ont fait l’objet d’un prix spécial : il s’agit presque certainement de notre tableau
3
. Enfin,
le dernier tableau mentionné dans les comptes du maître représente la figure entière de David victorieux portant la tête de Goliath, peint pour Giacomo Ruffo en 1666 et
qui est, très probablement, le tableau conservé au Musée Fesch d’Ajaccio
4
.
Sur cette toile, la facture rude de la tête et des mains renvoie explicitement à la dernière manière du Guerchin dans les années 1660. Caractéristique, également, de sa matu-
rité est le caractère adouci des carnations, pâles et tellement humaines, qui contrastent singulièrement avec l’arrière-plan plus sombre. On lit cet effacement des formes
surtout dans la partie supérieure de la tête du roi David, sur les rides de son front, sur les boucles de ses cheveux et de sa barbe - tous ces détails joliment différenciés tant
dans la couleur que dans la texture. Peint avec une délicatesse extrême, le vêtement blanc qui recouvre le corps du roi, que l’on distingue à peine derrière les plis du lourd
manteau rouge, se distingue tout en subtilité sous le brocard brodé, symbole de majesté. La bordure de ce vêtement intime est brossée avec une liberté qui rappelle les
années pré-romaines du maître. En 1661, Guerchin tombe malade. Après s’être remis à peindre, son art se fait plus hésitant même s’il peut compter sur l’aide de ses deux
neveux, Cesare et Benedetto Gennari. Un an ou deux plus tard, il se plaint à un client important que sa main est instable et sa vue défaillante ; ce qui ne l’empêche pas de
recevoir des commandes importantes jusqu’à sa mort en décembre 1666.
En ce qui concerne la figure du roi David, on peut établir des parallèles avec d’autres peintures du Guerchin. Une des compositions les plus proches, tant dans la physio-
nomie que dans l’expression, est celle de Saint Apollinaire, évêque et martyr, exécutée pour l’église Sant’Agostino de Reggio Emilia
5
. Sur ce retable, Saint Apollinaire est
à genoux, face à un imposant décor architectural, le corps tourné vers la gauche et la partie supérieure de la
pala
, animée d’un ange et de putti. Bien qu’il soit tourné vers
la gauche et non vers la droite, comme c’est le cas dans notre peinture, et qu’il porte une mitre sur la tête au lieu de la laisser découverte, la physionomie des deux visages
est très similaire : la position du regard dirige les yeux vers le Ciel, la même barbe grisonnante et les mêmes yeux tristes expriment une peine insupportable.
Il existe à la
Galleria Sabauda
de Turin une copie d’atelier du
Roi David
6
. Cette copie montre une composition plus importante par ses dimensions. Au premier plan, à
droite, se trouve une table sur laquelle repose un livre avec, sur la page ouverte, une inscription
7
. À gauche, derrière l’épaule droite du roi David, on distingue nettement
une fenêtre. Autant d’éléments qui ne figurent pas dans notre composition. On peut donc émettre l’hypothèse que notre tableau, en raison même de l’absence de ces élé-
ments, a pu connaître au cours de son histoire un rétrécissement plus ou moins conséquent sur chacun des côtés qui le structurent.
Les représentations du roi David, en vieillard priant Dieu, sont beaucoup plus rares que celles où on le voit, jeune et fougueux, remportant la victoire sur Goliath. Dans sa
vieillesse, David est frappé par la mort de son fils Absalom qu’il aimait d’un véritable amour paternel, même si ce dernier avait cherché à usurper son pouvoir. Dans notre
tableau, les symboles du pouvoir ont été volontairement réduits à leur plus simple expression : le roi David ne porte pas de couronne mais sa majesté est soulignée par le
manteau pourpre, brodé à l’épaule d’un chardon écossais, inscrit dans une large rose Tudor.
L’acheteur du tableau commandé par le marchand Panesi à Guerchin reste encore inconnu. Néanmoins, on peut penser, en raison des symboles brodés sur le manteau du
roi, qu’il pourrait s’agir d’un catholique écossais qui venait de perdre un de ses fils lors de la Guerre Civile qui vit la victoire de Oliver Cromwell (Charles 1
er
d’Angleterre,
en 1649, perdit à la fois sa couronne et sa vie). C’est ainsi que des réfugiés catholiques, Écossais, Irlandais et Anglais ont afflué alors à Rome afin de se mettre à l’abri
pour échapper au chaos politique et social qui régnait dans leur patrie.
Nicolas Turner
1
B. Ghelfi (sous la direction de),
Il libro dei conti del Guercino 1629-1666
, Bologne 1997, p. 143, n° 413. Sur l’activité de Panesi comment marchand, et surtout pour ses commandes de tableaux du Guerchin,
voir : N. Turner, “Mola’s Caricature Portrait of the Genoese Collector and Dealer Gerolamo Panesi”,
Master Drawings
, XLVII, n° 4, 2009, pp. 516-519.
2
Ghelfi, 1997, p. 153, n° 442. Le tableau est reproduit dans L. Salerno,
I dipinti del Guercino
, Rome, 1988, p. 353, n° 283. Le tableau fut vendu par Althorp (Christie’s, Londres, 6 juillet, 2010, lot 7) et fut
acheté par Lord Rothschild.
3
Ghelfi, 1997, p. 182, n° 536. Dans sa note sur le n° 536, Ghelfi explique que Panesi a payé un prix légèrement inférieur que le tarif standard pratiqué par Guerchin pour une toile avec un buste et que les quatre
tableaux commandés - le roi David, une Assomption de la Vierge, Sainte Cécile et Sainte Véronique - devaient être légèrement plus petits que la taille habituellement proposée par le maître. Seuls les tableaux
de Sainte Cécile (Naples, collection privée) et le roi David que nous avons découvert dans une collection parisienne sont aujourd’hui identifiés.
4
Ghelfi, 1997, p. 199, n° 595 ; Salerno, 1988, p. 410, n° 534 ; et A. Brejon de Lavergnée et N. Volle,
Musées de la France. Répertoire des peintures italiennes du XVII
e
siècle
, Paris, 1988, p. 190 (repr).
5
Salerno, 1988, p. 398, n° 337 ; A. Mazza et N. Tourneur,
Guercino a Reggio Emilia. La genesi dell’invenzione
, Genève et Milan, 2011, pp. 150-153, n° 9.
6
La copie de Turin est reproduite dans N. Gabrielli,
Galleria Sabauda. Maestri italiani
, Turin, 1971, p. 148 et image 293. Les dimensions de la copie de Turin sont 105 x  82 cm, soit des dimensions légèrement
plus grandes que la taille indiquée pour la
Sainte Cécile
, qui a été aussi payée par Panesi en 1658 et qui mesure 89 x 67,5 cm. Des dimensions sensiblement supérieures à celles de notre tableau.
7
Il n’est pas possible de lire l’inscription qui figure sur la page du livre devant le roi David dans la reproduction de Gabrielli,
op. cit.
, 1971, image 293. Malheureusement, elle n’est pas transcrite dans l’entrée
du catalogue d’accompagnement.