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Emmanuel MOUNIER
(1905-1950). L.A.S., 9 février [1940, à Francisque Gay] ; 12 pages in-8.
1.000/1.200
Importante lettre du philosophe, fondateur d’
E
sprit
, au directeur de
L’A
ube
, sur les chrétiens et la politique.
Il voit dans l’incident à propos d’un article de Pierre-Aimé Touchard plusieurs malentendus. « L’article incriminé par vous
reste dans votre pensée une arme dont la pointe perfide est tournée sur
L’Aube
. Pour Touchard, qui connaît beaucoup moins que
vous et moi, les milieux politiques d’inspiration chrétienne, et les abordait pour la première fois par vos rapports personnels,
la phrase qui pouvait vous être sensible n’avait pas de relief particulier »… La riposte de Gay a choqué Touchard d’autant plus
durement qu’il traverse une crise de dépression nerveuse : « vous avez failli, d’un coup, lui faire perdre des mois d’approche vers
le catholicisme »… Quant aux remarques de Touchard visant sommairement les « démocrates d’inspiration chrétienne », Gay
sait bien qu’ils sont extrêmement divers : «
L’Aube
en a toujours pour nous représenté le meilleur. Avons-nous jamais entrepris
une démarche auprès du PDP ? (quelques heureuses relations nous puissions tenir avec des militants du sommet et de la base).
La J.R. nous a trouvés aussi fort réticents envers un certain abus qu’on y fait de l’éloquence sentimentale et de l’idolâtrie
parlementaire »… Il y a aussi des malentendus plus lointains, et le directeur de
L’Aube
oublie trois choses quand il pense à
Esprit 
: « 1° Vous avez une tendance légitime, flatteuse, à considérer
E.
comme une sorte d’aile avancée, originale, courageuse
de la démocratie chrétienne. Or ceci ne répond pas à la réalité.
E.
comprend, dans une sorte de synthèse diverse qui s’y élabore,
des démocrates chrétiens d’une variété d’ailleurs qui ne coïncide pas avec toute l’espèce […]. Mais il comprend bien d’autres
éléments qui placent son centre de gravité en un tout autre lieu que la gauche de la démocratie chrétienne » ; et il cite comme
exemples Madaule et Lacroix… 2° : « Vous sentez une affinité spirituelle profonde incontestable entre vous et nous. Mais ni
L’Aube
ni
Esprit
dans la mesure où il mène une action dans le plan de
l’Aube
, ne se placent d’abord sur le plan de cette union. Ils
proposent des régimes de civilisation et des politiques. Sur les premiers, encore accord d’ensemble. Sur les secondes, divergences
nettes. Pourquoi nous le cacher ? Les fautes communes aux démocrates le sont aussi aux partis démocrates chrétiens. Ils ont
trop souvent compromis la subordination de la politique à la morale dans une sorte de moralisme dont nous sentons le besoin
de dégager aujourd’hui une spiritualité d’un côté, une politique de l’autre, l’une et l’autre plus nettes. […] Ni la spiritualité
commune, ni les amitiés personnelles, ne peuvent là-dessus contraindre notre réflexion »… Enfin les rédacteurs d’
Esprit
se
donnent entre eux des critiques autrement plus sévères que celles parues sur
L’Aube
. « Encore un exemple. Je ne veux pas
simplifier un homme, et je sais quelle grande “conscience” est Duhamel. Mais cette conscience gâchée, cette grandeur ratée dans
le plus parfait produit, le plus amorti, le plus douillet, de la sensibilité bourgeoise, vous n’imaginez pas combien ont été surpris
parmi nous de la place éminente que vous lui donniez en tête de vos manifestations les plus diverses »…
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