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LA BIBLIOPHILIE EN FRANCE DU DIRECTOIRE AU SECOND EMPIRE
En France, les années qui suivent la chute de l’Ancien Régime ne sont pas favorables au maintien d’une activité
artistique d’envergure. Le retour à une stabilité politique va aller de pair avec un renouveau intellectuel dans
le domaine des arts du livre. Dès l’époque du Directoire, l’impression, l’illustration, la reliure trouvent à se
renouveler. Les saisies révolutionnaires enrichissent les bibliothèques d’institutions et des chefs-lieux des
départements. Beaucoup de livres anciens proviennent des bibliothèques d’émigrés largement dispersées, que
recherchent des libraires spécialisés au commerce actif, visités par les acteurs de la bibliophilie renouvelée.
Ces livres anciens sont recherchés pour l’intérêt d’un texte, les œuvres d’auteurs classiques de l’Antiquité par
exemple, ou la qualité de l’impression. C’est ainsi que de nombreux volumes voient leur habit se renouveler
pour de précieuses éditions aldines ou elzéviriennes, alors à la mode. Les relieurs, en nombre croissant, prennent
l’habitude de signer leurs travaux. En reliure de luxe, un changement radical s’observe. Le maroquin au grain
long est de couleur multipliée. L’ornementation consiste en filets, en un losange logé dans un rectangle et surtout,
pour la bordure et le cadre, en roulettes au dessin typique du style Empire mis à la mode par les architectes
Charles Percier et Pierre Fontaine. Les petits fers se font rares, à l’exception des dos envahis aux mille points.
Les armoiries sur les plats, une habitude de l’Ancien Régime, disparaissent, sauf pour les dignitaires des cours
impériale puis royale. Il en est notamment ainsi pour les livres de la bibliothèque de Marie-Caroline, duchesse
de Berry, bel exemple de la bibliophilie au féminin.
Vers
1820
, la production éditoriale s’intensifie, au moment où se développe l’usage de la lithographie, appréciée
des amateurs de livres qui sont de plus en plus nombreux. Quant à la reliure, elle change du tout au tout. La
palette des couleurs des couvertures s’accroît considérablement. L’utilisation des plaques pour l’impression des
décors, disparue depuis la Révolution, renaît. Changement radical encore dans le décor. La mode est le retour
aux modèles médiévaux ; c’est le néo-gothique, dit « décor à la cathédrale ». Les bibliophiles, exigeants quant à
la condition de leurs livres, trouvent dans les ateliers de reliure des façonniers au talent technique remarquable.
Le décor des plaques est fait encore d’éléments composites empruntés à l’architecture. Vers
1830
, des motifs
nouveaux apparaissent qui s’inspirent du style rocaille. D’autres évoquent ceux créés aux XVI
e
et XVII
e
siècles en France, ornant des éditions anciennes rares, des rééditions de textes anciens, voire des impressions
contemporaines. Au temps du Second Empire, des bibliophiles demandent aux relieurs d’exécuter, grâce à leur
brillant talent, des copies conformes de décors anciens. C’est le règne du pastiche dont toute originalité est
bannie.
Du Directoire au Second Empire, le livre va donc connaître un bouleversement considérable. En témoignent
les techniques nouvelles : que ce soit en typographie avec les procédés stéréotypes d’Herhan ou de Didot,
ou bien en illustration avec la lithographie créée par Senefelder en
1798
et la gravure sur bois renaissante,
après avoir longtemps été abandonnée. À ces nouveautés vient s’ajouter la découverte du papier vélin dont les
imprimeurs seront friands pour leur exemplaire de luxe. Des bibliophiles, plus que d’autres, sont sensibles à la
qualité de l’invention de l’ornementation extérieure de leurs livres, tels Antoine-Augustin Renouard, libraire
et bibliographe, ou Charles Nodier, écrivain, conservateur de la bibliothèque de l’Arsenal.
Tous les livres ici présents ont été choisis délibérément parce qu’ils sont recouverts d’une reliure décorée,
quasi toujours signée. C’est là une démarche singulière dans le domaine de la bibliophilie. En parcourant cet
ensemble, nous découvrons un panorama presque complet de la reliure décorée en France pendant la période
considérée. Cette partie de la bibliothèque de Michel Wittock, fondateur de la Bibliotheca Wittockiana, réunit
ici des reliures pour le moins représentatives d’une période dont s’apprécie la nouveauté.
Paul CULOT, membre du comité scientifique de la Bibliotheca Wittockiana