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sprit du passé, du présent et de l’à-venir ou Jacques disait...

Papa aimait à rappeler que le mot religion tient son

étymologie du verbe latin religere qui signifie relier ou, en

d’autres termes, créer des liens, être le maillon d’une chaîne,

faire communiquer entre eux deux éléments distincts, pour

lui croyant, l’homme et Dieu.

Une autre source étymologique qui lui venait à la bouche est

celle même du mot bibliophile – byblos en grec d’où sont issus

les mots bibliothèque et Bible. Les Musulmans ne désignent-

ils d’ailleurs pas les Juifs et les Chrétiens comme les gens du

Livre tout comme eux aussi y sont rattachés, reliés ? Ecritures

et spiritualités….

Papa aimait à chercher et trouver des sources pour assouvir sa

soif de connaissances et abreuver sa quête spirituelle. C’est la

raison pour laquelle sa bibliothèque dénombre dictionnaires

et autres classiques. C’est également la raison pour laquelle elle

inclut force ouvrages portant sur l’humanisme avec Thomas

More en figure de proue de sa barque voguant sur la Somme.

Mais Papa pistait aussi le beau – une belle reliure ajoutait à

l’attrait de tel ou tel ouvrage. Reliure, un autre mot à mettre

dans la besace de ce chasseur de sens qui voulait tant re-

lier les gens et les époques. Reliure, une activité qui reliait

Maman à lui puisqu’elle avait appris cet art. C’est la raison

pour laquelle la bibliothèque de Papa voit figurer un certain

nombre d’ouvrages que Maman a amoureusement reliés, liant

ainsi encore davantage leur couple.

Toutefois, relier n’est pas synonyme d’enchaîner.

L’indépendance du relieur/ de la relieuse face à l’éditeur, au

lecteur, au collectionneur et, en remontant dans la genèse

d’un livre, à l’auteur, devrait être pleine. En pleine peau s’il

s’agit d’un vellum – autre source étymologique réitérée par

l’amoureux des livres qu’était Papa. Ici,je ne résiste pas à en

ajouter deux autres, si jolies : le mot français livre, issu du

latin liber qui désignait la pellicule entre le bois et l’écorce

sur laquelle on écrivit après avoir utilisé le papyrus (d’où

le papier…) et, l’anglais book, apparenté au mot bark qui

signifie l’écorce. Inutile de l’aboyer sur les toits pour autant,

me dira-t-on….

Cependant, les aboiements étaient un chant qui avait servi de

fond sonore à bien des journées de chasse au bord des quais de

Seine à Paris ou dans les petites rues et grandes avenues de la

capitale où œuvrent des libraires passionnés comme Papa, de

chasse aux gibiers de tous poils et plumes. C’est la raison pour

laquelle sa bibliothèque compte encore quelques-uns de ces

ouvrages dont son grand nez de limier bibliophile avait décelé

le fumet. Quelques ouvrages de chasse seulement car il s’était

déjà séparé des autres pour qu’ils trouvent d’autres maîtres,

pour qu’il puisse être passeur et non pas possesseur.

« Passeur de joie » ainsi s’intitule son dernier ouvrage personnel

mais, être passeur c’est aussi re-lier. Papa se sentait aussi lié,

relié, attaché librement, à une terre, celle de Picardie et plus

particulièrement la ville de Péronne, celle de sa famille. C’est

la raison pour laquelle sa bibliothèque est émaillée d’ouvrages

sur ces lieux, ouvrages pour une poignée rédigés en Picard -

l’Picard, mon ch’tieu père, aimait bien le cancanait un peu

avec les canards des étangs.

Papa a passé sa vie à lire, à aimer les livres mais, de tout le

matériel, il s’était déjà dé-lié en esprit et c’est avec joie qu’il

peut voir aujourd’hui passer ses ouvrages dans d’autres mains

qui sauront sûrement à leur tour faire le lien entre le passé, le

présent et l’à-venir.

Carole Mulliez