Lot n° 119
Sélection Bibliorare

BALZAC (Honoré de) - [Lettres à Louise]. 23 lettres autographes (la dernière est signée Walter), sans date [février 1836-début 1837] montées sur onglets par Françoise Picard vers 1930 dans une reliure demi maroquin rouge du XIXe siècle, dos...

Estimation : 40 000 - 60 000 €
Adjudication : 68 750 €
Description
orné.
Les célèbres lettres à Louise.

►Très précieuse et intéressante correspondance intime révélant plusieurs facettes de l'homme et de l'écrivain qu'était Balzac.

►En tout 23 lettres sur 65 pages de formats divers, dont 2 ne contenant qu'une ligne. La dernière lettre, signée Walter, pseudonyme anglais qu'utilisait Balzac, porte un cachet à l'encre et au dos l'adresse «à Louise». Ces lettres sont précédées d'une notice autographe de 3 pages à l'encre bleue, signée de P. Nivard, datée 16. 4. [19]42, relatant l'histoire des originaux de cette célèbre et curieuse correspondance.
▬Relié à la suite, un feuillet ancien avec la mention :
•26 Lettres doubles ou simples / Lettres de Balzac (autographes). 32 pages imprimées (extraites de la Correspondance générale de Balzac, éd. Calmann-Lévy, 1876), portant de nombreuses notes manuscrites d'une écriture non identifiée et rétablissant le véritable texte, sont également reliées

En janvier 1836, Balzac débute une correspondance avec une femme, dont il ne fera jamais la connaissance et dont il ne connaîtra que le prénom «Louise». Elle se prétendait comtesse et lui écrivait en anglais. Balzac lui dédiera sa nouvelle Facino Cane et correspondra avec elle jusqu'en 1837.

L'identité exacte de cette femme n'a jamais été découverte. On a longtemps pensé, à tort, qu'elle s'appelait Louise Lefèvre. Jean Savant a proposé Louise Breugnot (dite de Brugnol), et, plus récemment, Graham Robb l'a l'identifiée avec Atala Beauchêne; mais aucune de ces deux hypothèses ne semble vraiment fondée.
Balzac se confie librement en évoquant surtout ses souffrances et sa solitude. Assez défiant au début, l'écrivain finit peu à peu par se livrer davantage, trouvant là un moyen d'échapper à sa solitude et au travail effroyable auquel il se sait condamné.

Sorte de petit roman épistolaire. Il souffre de ne pas en savoir davantage sur cette inconnue qu'il souhaite rencontrer, mais qui se dérobera toujours. Balzac ne se résignera jamais et finira par se lasser d'un tel monologue. Ceci explique peut-être la brusque interruption de cette correspondance.
Pourtant, comme l'a remarqué Maurice Bardèche dans sa biographie du romancier, le ton singulier de ces lettres témoigne, chez Balzac, d'un «rêve disparu». Il aurait voulu se lier avec une femme du genre de Mme de Berny, morte en août 1836 «qui venait seulement se poser près de lui, le consoler, le comprendre, sans lui prendre de temps, sans exiger de soins». Peine perdue : «Louise ne comprit guère...» (M. Bardèche).

Bardèche qualifie ces lettres de véritable «quête sentimentale».
Louise ayant souhaité d'emblée l'incognito, Balzac accepte, car, pense-t-il, un tel secret favorise les confidences : Vous seule, peut-être, saurez les douleurs d'une lutte inconnue, sous lesquelles je finirai bientôt, exténué, lassé, dégoûté que je suis de tout, fatigué d'efforts sans récompense directe, ennuyé d'avoir sacrifié mes plaisirs au devoir, désolé d'être méconnu, présenté sous de fausses apparences par des envieux que je ne connais pas... (lettre 1). Il est écrasé de travail:... Je suis condamné pour trois mois au moins à ne pas sortir de mon cabinet, et toute correspondance est prise sur mes heures de sommeil... (lettre 2).

Sans doute flatté par la curiosité de sa correspondante, il dresse un autoportrait extrêmement intéressant : Sachez... que ma sensibilité est féminine et que je n'ai de l'homme que l'énergie; mais ce que je puis avoir de bon est étouffé sous les apparences de l'homme toujours en travail; mes exigences ne sont pas de moi, pas plus que les formes dures auxquelles me contraint la nécessité; tout est contraste en moi, parce que tout est contrarié (lettre 2).... Je ne suis rien moins qu'un homme à la tâche, travaillant dix-huit heures sur les 24; j'y suis obligé, mon temps n'est pas à moi... (lettre 3). Je suis dans mon cabinet, comme un navire échoué dans les glaces (lettre 3). Louise désirant le connaître mieux, Balzac allègue sans cesse son travail; il élude de la même façon les questions sur les véritables inspiratrices de certains romans. Lorsque l'occasion lui est donnée d'en savoir plus sur Louise par un ami commun, il refuse net:... je sais d'avance combien la poésie de la vie dont tout le monde a soif dans notre époque plate, est rare (lettre 6). Cependant, il n'hésite pas à lui envoyer spontanément le manuscrit autographe d'un de ses ouvrages, manuscrit précieux aux yeux de ceux qui m'aiment et dont je suis avare (lettre 5). Et, lorsque Louise le laisse sans nouvelles, il s'inquiète. Ailleurs, il lui reproche sa défiance à son égard : votre manque de confiance est désolant! (lettre 9).

Dans un intéressant passage, Balzac évoque sa liaison avec Mme de Castries : Il a fallu cinq ans de blessures pour que ma nature tendre se détachât d'une nature de fer; une femme gracieuse, cette quasi duchesse dont je vous parlais et qui était venue à moi sous un incognito que, je lui rends cette justice, elle a quitté le jour où je l'ai demandé... eh bien, cette liaison qui, quoi qu'on en dise, sachez-le bien, est restée, par la volonté de cette femme, dans les conditions les plus irréprochables, a été l'un des plus grands chagrins de ma vie; les malheurs secrets de ma situation actuelle viennent de ce que je lui sacrifiais tout, sur un seul de ses désirs; elle n'a jamais rien deviné; il faut pardonner à l'homme blessé de craindre quelque blessure... (lettre 9).

Puis Balzac malade s'avoue peiné des dérobades de Louise : Vous m'imposez de dures conditions d'existence... (lettre 12).
Il passe ensuite quelques jours en prison : Vos fleurs embaument ma prison... Je vais travailler là comme je travaille chez moi, dix-huit heures sur vingt-quatre. Qu'importe où l'on est quand on ne vit pas par les lieux, mais par la pensée! (lettre 15). Au milieu de ce travail, il assure : Vous aurez le Lys avant tout le monde... Quelle oeuvre! et que de nuits perdues! il y en a bien deux cents... (lettre 17). Ayant gagné son procès contre Buloz (procès intenté en 1836 par Balzac contre la publication non autorisée du Lys dans la vallée dans une revue russe), il exulte, mais doit finir d'urgence son roman : j'ai à faire encore les cent dernières pages... (lettre 19).

Au retour d'un bref voyage en Italie (juillet-août 1836, avec Caroline Marbouty), il apprend que Louise a été malade et lui écrit en hâte d'une auberge. Mais les dettes reviennent l'obséder:... depuis huit ans, je dois une somme supérieure à tout ce que je pouvais prétendre de patrimoine et ma plume doit suffire non seulement à mon existence matérielle, mais encore à l'extinction de cette dette et de ses intérêts; ma plume, entendez-vous - alors les jours et les nuits sont employés à cette oeuvre, et rien ne suffit... (lettre 22). Il évoque la mort récente de son ancienne maîtresse, Mme de Berny : Mme de M[orsauf] du Lys est une pâle expression des moindres qualités de cette personne, il y a un lointain reflet d'elle, car j'ai horreur de prostituer mes propres émotions au public, et jamais rien de ce qui m'arrive ne sera connu... (lettre 22).

Signée Walter, la dernière lettre est un bref message mélancolique d'adieu:... soyez heureuse... Je me replonge dans le travail, et là, comme dans un combat, la lutte occupe exclusivement, on souffre mais le coeur s'apaise.

Certaines des œuvres de Balzac sont mentionnées dans ces lettres :
La Duchesse de Langeais (Moi seul sais ce qu'il y a d'horrible dans La Duchesse de Langeais) ; Séraphita, qui inspire à Louise une sépia, qu'elle offre à Balzac (lettre 9);
Le Lys dans la vallée, qui est le sujet d'un odieux procès (lettres 12 et 19); Louis Lambert, Le Père Goriot; ainsi que des allusions aux vicissitudes de la Chronique de Paris, dont il était rédacteur en chef, etc.

Ces 23 lettres permettent de rétablir le véritable texte car les Lettres à Louise furent publiées pour la première fois en 1876 dans l'édition de la Correspondance générale, avec des passages tronqués ou modifiés : au début de la lettre 1, là où l'on a imprimé :
Mon nom n'est pas Henry, c'est celui de mon frère. Mon nom commence bien par une H..., il faut lire : Mon nom n'est pas Henri, c'est celui de mon frère, avec qui personne ne me confond et dont la situation et tout de lui nous fait le plus vif chagrin. Plus loin, lettre 10, au lieu de : toutes les gracieusetés du coeur, il faut lire : les gracieusetés de Walter.
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