Lot n° 9
Sélection Bibliorare

CHAPLIN Arthur (1869-1935) peintre. MANUSCRIT autographe signé, calligraphié et orné de 13 peintures et de très nombreuses lettrines, [1908-1909] ;

Estimation : 4000 / 5000
Adjudication : 7 000 €
Description
26 pages sur 15 feuillets de parchemin in-fol. (environ 55 x 45 cm), sous portefeuille recouvert de brocart doré, avec un cadre de passementerie sur le plat sup., blason de soie de la Maison de Toledo couronné avec incrustations de verre de couleur au centre du plat sup., doublure de soie brochée pourpre à ramages avec cadre de broderies dorées, dos de passementerie, dans un coffret de basane rouge frappé d'une couronne dorée et doublé de soie et de velours pourpre (coffret usagé avec fente, poignée détachée). EXTRAORDINAIRE MISSEL D'AMOUR CALLIGRAPHIE ET ENLUMINE DE PEINTURES ET LETTRINES, CONSACRE A L'AMOUR DU PEINTRE POUR ILLAN ALVAREZ DE TOLEDO, MARQUIS DE CASA FUERTE. Arthur CHAPLIN (1869-1935), fils du peintre Charles Chaplin, s'est spécialisé dans la nature morte et l'imitation des vieux peintres hollandais. Dans les années 1908-1909, il a connu une passion brulante pour Illan ALVAREZ DE TOLEDO, marquis de CASA FUERTE (1882-1962), ami de Gabriele D'Annunzio, Marcel Proust et Robert de Montesquiou. Illan de Casa Fuerte a raconté longuement dans ses mémoires, Le dernier des Guermantes. Mémoires (Julliard, 1994, p. 262-267), cette adoration que conçut pour lui le peintre, homme d'un autre siècle : “Grand et mince, les cheveux tout blancs bien qu'il n'eut que trente-cinq ans, le visage rasé, l'air austère et détaché de ce monde. Sa peinture rappelait celle des peintres flamands” ; l'ayant rencontré, Chaplin voulut faire le portrait d'Illan, qui raconte les séances de pose. Ayant du quitter Paris pour régler un procès à Palerme, Illan trouva à son retour non pas un, mais cinq portraits de lui : “Tous plus ou moins ressemblants : autant de variations sur un thème connu. Chaplin, nul doute, s'était pris de passion pour moi ou, plus exactement, pour son modèle. [...] parce qu'il vivait tout seul, qu'il portait des talons trop hauts quoiqu'il fut très grand, qu'on ne lui connaissait ni liaisons ni mattresses, on le croyait homosexuel Au fond, il n'était rien du tout”. Chaplin épousa le 28 avril 1909, non sans avoir demandé l'avis d'Illan, Diane Aubernon de Nerville, qui “lui avait fait savoir qu'elle serait heureuse d'unir sa vie à la sienne. [...] Chaplin avoua qu'il ne l'aimait pas, qu'il n'aimait personne, si ce n'est le modèle masculin qu'il avait peint, et dont plusieurs portraits meublaient l'appartement vide. [...] J'eus l'occasion d'avoir une conversation en tête à tête avec Diane Aubernon ; elle me fit une confession qui ne me surprit qu'à moitié : “Arthur ne parle que de vous. Ce n'est pas Arthur que j'ai épousé : c'est vous !””. Robert de Montesquiou a consacré à ce “Missel ambigu” un chapitre de son livre Élus et appelés (Émile-Paul frères, 1921, p. 227-274), les deux protagonistes y étant désignés sous les noms transparents d'Arcture et Julien ; il y évoque “ce recueil d'enluminures mystérieuses, [...] parmi des entourages de rinceaux et de festons, d'astragales et d'astres, cadres, les uns ponctués de perles soigneusement comptées, d'autres étoilées de la flamme des lampadaires, d'autres encore associant des plats cernés de fruits à des vases couronnés de fleurs [...] Et c'est alors un coin de cathédrale où, dans la nuit d'un pilier, s'irise un reflet de vitrail, avec une tendresse pieuse et un mystique embrasement, [...] de végétales absides, [...] une petite plante s'élève comme une grande plainte [...] C'est encore un prénom chéri qui force à se conjuguer des roses concertées”, etc. Quant à la “technique savante” du peintre : “Des pâtes épaisses et amalgamées donnent à quelques-uns de ces feuillets l'aspect d'une orfèvrerie pesante et d'une massive joaillerie”... Enluminé, calligraphié à l'encre de Chine et à la gouache dans une écriture volontairement archaïsante, fortement rehaussé à l'or, le manuscrit est resté en feuilles, et inachevé ; certains textes sont incomplets de la fin. Robert de Montesquiou parle de 18 feuillets ; le présent manuscrit n'en compte plus que 15. Dans ce manuscrit, presque tous les pronoms personnels de la deuxième personne du singulier sont en couleurs, ou en lettres d'or, ainsi que le prénom Illan, et quelques mots-clés qui suivent les possessifs : “ta beauté”, “ton être”, etc. [1, recto seul], entièrement ajouré, ainsi décrit par Montesquiou : “C'est par une grille dorée, ajourée dans le parchemin, plus ruisselante de cabochons que la pala d’oro vénitienne, qu'on accède à l'enclos renfermé, entre ces parois ciselées et gemmées. Cette grille est ornée de 520 unions, comme disait le vieux langage, et de 520 pierreries”. Sur un triple encadrement d'or et bleu, court une frise en lettres d'or sur bleu avec les mots Amori sacrum répétés. [2, recto seul], feuillet de titre-dédicace, le premier nom à l'encre rouge vif, le second en lettres d'or redoublées d'encre bleu pâle. “Ce livre a été fait par Arthur Chaplin / pour son ami cher Illan / en témoignage de son amour / 1908-19”. [3, recto seul]. Sur fond doré à la feuille d'or, texte en lettres bleu ciel : “Quel amour fut cet amour ? Une clarté divine fit resplendir mon creur et le consuma dans un feu mystérieux et lointain. [...] Qui veut savoir doit apprendre et la souffrance enseigne”. Gargouille dorée en relief sous une grande rosace bleue aux perles et arabesques. [4, r° et v°], en lettres d'or et avec lettrines d'or reuvrées en relief. Beau paysage marin oil ciel et mer se confondent en un bleu tendre, d'oii surgit un navire aux voiles déployées, à sa proue un ange nu tenant une torche. “Je veux chanter ce jour oi le vaisseau d'or à la proue enflammée m'apporta du fond de l'océan l'image de mon rêve l'image de ma joie l'image de ma douleur ! [...] l'amour m'enveloppa dans un feu divin”... Etc. [5, r° et v°]. Peinture (environ 20 x 7 cm) représentant trois personnages inclinés ou agenouillés devant l'autel d'une chapelle gothique ; sous la voute, un vitrail en couleurs. La grande lettrine initiale, dorée sur fond bleu, est remplie à la manière d'une rosace. “Plein de mon immense tristesse qu'une torpeur profonde avait rendue inerte découragé las de tout de mon creur et du Dieu de mon rêve s'envolant dans des baisers partis j'entrai dans l'église aux lourds piliers sombres [...] Je m'assis solitaire sous la voute obscure éclairé d'un vitrail aux couleurs brillantes qui reflétait en moi les joies jamais atteintes je songeais pauvre être devant le Saint des Saints à Toi à Toi toujours à Toi car je f’aimais ! Je f’aimais et j'en étais las ! [...] Dieu c'était Toi Dieu c'était Toi seul Dieu c'était ton visage que je voyais en moi Dieu c'était ce baiser qui me faisait vivre Dieu c'était tes yeux qui me disaient je t'aime”... [6, r° et v°] Grande lettrine composée de reliquaires et emblèmes sacrés, prolongée par une petite peinture représentant un muguet solitaire devant une forêt de troncs épais. “Tes dents dont la blancheur rendrait jalouse la fleur tes dents m'apparaissent comme la branche du muguet au milieu du gazon. [...] Tes dents c'est l'hostie sainte mystérieuse et voilée à l'ombre du Saint de Saints sur l'autel consacré. Je restai longtemps là pensif écoutant les orgues frémir jusque sous les dalles sonores puis monter en notes glorieuses vers le Créateur. Alors seulement je lui rendis hommage car il t'avait créé”... Etc. En bas est peint le bas-cöté d'une église gothique (13,5 x 20 cm). [7-8, r° et v°] Peinture (25 x 22 cm) représentant une urne et deux coupes recouvertes sur une console, fond doré orné d'une guirlande de fleurs, d'un collier de perles et d'un pendentif en saphirs bleus. La lettrine initiale se compose de fleurs de lilas : “Connais-tu des vieux maïtres flamands ces tableaux tout imprégnés d'une piété naïve oi paraït dans les fleurs au milieu d'une couronne la Vierge Sainte près de son divin Fils ? Avec quel amour Seghers ou Rubens ont ainsi rendu hommage à la mère du Sauveur [...] je ferai de même. Les fleurs autour de Toi orneront ton visage et pour faire le bouquet je cueillerai les plus belles les plus suaves les plus parfumées qui monteront en cercle lumineux pour encadrer ta beauté. Les roses s'épanouiront pour te caresser et leurs épines deviendront des baisers”... Suit une litanie d'hommages des fleurs de ce bouquet d'amour : lis, reillets, pensée, myosotis, pavots, jacinthe, anémone, etc. “Le souci hélas est la fleur de l'amour et si le noble amour que je possède en moi est la cause de grandes joies il est aussi la cause de grandes peines. [...] Tu seras là parmi ces fleurs pour en être la plus belle”... [9, r° et v°] Belle lettrine représentant des lis dans un paysage verdoyant ; au-dessous un vase mosaïqué d'oi s'élance un lys. “Comme le lys par les beaux jours d'été fait resplendir les champs de sa blancheur incomparable ainsi mon amour illumine ma vie aux jours sombres mais joyeux de son été glorieux. Ö lis aimé fleur suave au parfum mystérieux gloire de mon art pensée sublime dans mes pensées lointaines”... Etc. [10-11, r° et v°] Le haut de la feuille est occupé par un nuage qui laisse percer des rayons dorés ; dans ce nuage, sont représentés en grisaille un homme qui dépose un baiser passionné sur l'reil d'un jeune homme. La lettrine est ornée d'une rose dans laquelle boit un papillon. “Quand sur tes adorables yeux je dépose un baiser c'est un baiser dans le creur d'une rose. Tes paupières sont deux pétales qui s'effeuillent sous mes lèvres [...] Tes yeux ! image adorable ! vision magique ! lumière tentatrice ! [...] Tes yeux ! ILLAN j'y vois ma vie. J'y vois mon avenir. J'y vois ma destinée. J'y vois mes reuvres mon talent ma pensée tout entière. Tes yeux font tout mon mal et tout mon bien ! [...] ILLAN tes images me parlent me regardent et en elles je vois en Toi”... Lettrines, et noms à l'or. [12, r° seul]. Sur la feuille peinte au bleu d'outre-mer est posé un bandeau doré reuvré en relief, aux rosaces, fleurons et ogives (11 x 25 cm). Le texte est en lettres d'or : “Ton souvenir c'est mon trésor. Parmi d'azur profond renfermé dans une chasse d'or pur il vit à l'ombre du passé inaltérable chaque jour. Chaque jour mon creur y dépose un baiser et chaque jour les profondeurs s'éclairent comme la première aurore”... [13, r° et v°]. La lettrine est composée de deux peintures (13,5 x 12,5 cm et 21 x 4,5 cm). La première représente un jeune homme nu, étendu sur le dos ; un homme vêtu d'une robe de chambre est à genoux devant lui. Au-dessous, urne d'argent sur fond de draperie. “Te souviens-tu Illan quand ton corps bien-aimé près du mien qui t’adore tous deux étendus sur le lit si moëlleux dans ma chambre silencieuse te souviens-tu qu'alors tout autour les murs s'illuminaient et que je me sentais une fleur s'ouvrant devant la lumière ! Te souviens-tu de ces caresses quand ma main et ma lèvre voulaient absorber tout ton Être pour en prendre l'essence quand l'une et l'autre voulaient s'attacher à Toi pour faire partie de Toi ? Je t’aimais comme je t’aimais ! Etait-il un rêve pour moi plus beau ? [...] Cette chambre n'est plus une chambre mais un temple immortel seul à Toi consacré oi le mystère règne en maïtre et le maïtre c'est toi !”... [la fin manque.] [14, r° et v°]. “Italie ! mais l'Italie c'est Ton être entier”... Évocation des merveilles et des villes de l'Italie... “Florence nous montrerait les grands génies d'autrefois Léonard Mantegna Raphaël Michel-Ange tous revivraient pour nous et je me croirais dépendre de Toi comme si la vieille Italie reprenait sa jeunesse. Elle est jeune et sera jeune toujours tant que mon creur aimera tant que mon creur chantera”... Etc. Notations marginales : “Illan je t'aime”. [15, r° et v°]. Peinture occupant presque toute la feuille, représentant, sous une voute romane, une Crucifixion en présence d'anges ; en dessous, une statue de dieu antique gït, tête détachée, au pied de sa base. La lettrine représente le jeune homme nu, torche à la main : il jette quelques fleurs violettes sur une statue antique. Texte du Psaume 50 : “Ayez pitié de moi 6 Dieu selon votre grande miséricorde et selon la multitude de vos bontés effacez mon iniquité. Lavez-moi de plus en plus de mon iniquité et purifiez-moi de mon péché”... ON JOINT un feuillet (26 x 36 cm) dessiné et signé par Arthur CHAPLIN, mine de plomb et rehauts de blanc, signé en bas à droite à la plume : deux têtes d'Illan, et sur la gauche Illan et Chaplin tendrement enlacés.
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