Lot n° 201
Sélection Bibliorare

Charles BAUDELAIRE. L.A.S. « Ch. Baudelaire », Honfleur 14 mai 1859, à Félix NADAR ; 4 pages in-8 très remplies d’une écriture serrée à l’encre brune (trace d’onglet).

Estimation : 10 000 / 12 000 €
Adjudication : 13 125 €
Description
► SUPERBE ET LONGUE LETTRE EN CINQ PARTIES, À SON AMI LE PHOTOGRAPHE NADAR, SUR LA PEINTURE ET GOYA, ET SUR SES ŒUVRES EN COURS.

Il lui demande tout d’abord, de façon pressante, un mandat de 20 francs :
« J’ai eu l’étourderie de laisser partir ma mère pour un petit voyage sans lui demander d’argent ». Il est « absolument sans le sol », et il a besoin d’aller au Havre :
« ne te figure pas au moins que ce soit dans un but de Débauche ». Il donne son adresse à Honfleur.

Dans un café, il a pu lire le journal de Nadar [Le Journal pour rire], « de sorte que j’ai le plaisir de voir défiler sous mes yeux les folies, les injustices, les caresses aux imbéciles, et enfin toutes les bizarreries qui composent la nature exceptionnelle de Nadar. Dernièrement, il t’est arrivé, en te moquant des gens qui ont eu ou qui ont la passion des chats, de confondre POE avec HOFFMANN. Sache qu’il n’y a pas de CHAT dans POE, excepté un qu’on éborgne et qu’on pend » ; Baudelaire reproche également à Nadar d’avoir eu la fantaisie « à propos d’un poète belge ou polonais [KARSKI] de me jeter un mot désagréable à la figure. Il m’est pénible de passer pour le Prince des Charognes. Tu n’as pas lu sans doute une foule de choses de moi, qui ne sont que musc et roses. Après cela, tu es si fou, que tu t’es peut-être dit : Je vais lui faire bien plaisir ! »

Dans le troisième paragraphe, il prie Nadar d’aller « faire la Cour » au marchand de tableaux Moreau (« Je compte bien lui faire la mienne à propos d’une étude générale que je prépare sur la peinture espagnole ») afin d’obtenir « la permission de faire une double belle épreuve photographique d’après la Duchesse d’Albe, de GOYA (archi-Goya, archi-authentique). Les Doubles (grandeur naturelle) sont en Espagne où GAUTIER les a vus. Dans l’un des cadres, la Duchesse est en costume national, dans le pendant, elle est nue et dans la même posture, couchée à plat sur le dos. La trivialité même de la pose augmente le charme des tableaux. Si je consentais jamais à me servir de ton abominable argot, je dirais que la Duchesse est une bizarre fouterie ; l’air méchant, des cheveux comme Silvestre, et la gorge, qui masque l’aisselle, atteinte d’un strabisme sursum et divergent à la fois ». C’est, selon Baudelaire, « du Bonnington ou du Devéria galant et féroce ». Moreau les a achetés au fils de Goya et en demande 2400... Il recommande de ne pas faire de trop petites épreuves :
« Cela enlèverait une partie du caractère »…

Ensuite, Baudelaire charge Nadar de lui trouver un artiste « pour les frontispices qu’il me faut pour mes articles sur POE (un portrait enguirlandé d’emblèmes), mon Opium et Haschisch, mes nouvelles Fleurs [du Mal], et mes Curiosités [esthétiques] » ; comme il ne veut pas de DUVEAU, « l’éternel ami de Malassis », il prie Nadar de se renseigner sur Alfred RETHEL, « l’auteur de la Danse des morts en 1848, et de la bonne Mort faisant pendant à la première invasion du Choléra à l’opéra »... Puis Baudelaire parle des derniers articles sur la peinture qu’il écrit avant de publier les Curiosités esthétiques, et cela sans avoir été au Salon ; il s’aide du livret : « Sauf la fatigue de deviner les tableaux, c’est une excellente méthode [...]

On craint de trop louer et de trop blâmer, on arrive ainsi à l’impartialité ».

Dans un dernier paragraphe (5), Baudelaire supplie Nadar de ne pas écrire « de farces, selon ton antique mode, sur l’enveloppe de ta lettre »...

Correspondance (Pléiade), t. I, p. 573.
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