Lot n° 17

COCTEAU (Jean) — CORRESPONDANCE AUTOGRAPHE SIGNÉE À VALENTINE GROSS, FUTURE VALENTINE HUGO (13 mars 1915-11 décembre 1922), certaines également adressées à Jean Hugo. Ensemble de 131 documents (dont environ 98 lettres en 195 pages, nombreuses...

Estimation : 25 000 - 35 000 €
Description
enveloppes conservées, 25 cartes postales, 7 télégrammes, 1 dessin isolé) montés sur onglets et reliés en un volume fort in-folio (447 x 340 mm), maroquin violet, premier plat orné de la signature de Jean Cocteau en creux à la gouache bleu ciel, titre doré sur le dos, doublure et gardes de daim bleu, chemise et étui (Mercher et Georges Hugnet).
IMPORTANTE CORRESPONDANCE INÉDITE, DANS LAQUELLE SONT ÉVOQUÉS NOTAMMENT SATIE, PICASSO ET RADIGUET. CERTAINES LETTRES SONT ILLUSTRÉES.

C'est en mai 1914 que Cocteau rencontre Valentine Gross (qui deviendra Madame Hugo en 1919) ; le poète est alors à la rédaction du Cap de Bonne-Espérance et à la création de Parade avec Satie et Picasso.
Leur amitié sera particulièrement féconde entre 1917 et 1924: en 1917, Valentine servira d'intermédiaire privilégiée pour les collaborateurs de Parade, puis, avec Jean Hugo, elle confectionnera les costumes des Mariés de la Tour Eiffel (1921).
Personnage central dans la vie de Cocteau de ces années, c'est grâce à elle qu'il rencontre l'avant-garde, Varèse d'abord, grâce auquel il rencontre Picasso.

Cocteau présenta Radiguet à Valentine Hugo en mai 1920. Ce dernier eut avec elle une relation plus ou moins platonique et s'en inspira pour son Bal du Comte d'Orgel.

FOISONNANTE, CETTE CORRESPONDANCE SEMBLE ÉCRITE À TOUTE VITESSE : le style souvent télégraphique de Cocteau retranscrit le bouillonnement de son activité créatrice et mondaine.
Au jour le jour, sur près de cinq ans, on suit la gestation de Parade, on lit les angoisses et les joies de l'écrivain, ses rencontres, ses voyages.
Cocteau livre sans retenue ses états d'âme (ceux du front l'entraînent dans de très belles évocations poétiques), ses malentendus avec la troupe de Parade, ses espoirs de coopérations artistiques, ses angoisses (tristesse et somnambulisme sans nom...), ses amours, l'élaboration de ses œuvres : Le Potomak, Le Cap de Bonne-Espérance, Vocabulaire, Le Secret du bleu, Le Coq et l'Arlequin, La Noce massacrée, Les Mariés de la Tour Eiffel, Le Secret professionnel, Thomas l'imposteur... (Nous ne pouvons donner ici qu'un trop rapide aperçu de la richesse du contenu).

En septembre 1916,
Cocteau défend l'importance de son texte dans Parade, loin de n'être qu'une pièce de musique : Faire comprendre à ce cher Satie en pénétrant les brumes d'apéritifs que je suis tout de même pour quelque chose dans Parade et qu'il n'est pas seul avec Picasso. Je crois Parade une sorte de rénovation du théâtre et non un simple "Prétexte" à musique. Il me peine lorsqu'il hurle et trépigne à Picasso : C'est vous que je suis ! C'est vous mon maître ! (sic).

[3 septembre 1916].
En mai 1916, il dit à propos de Picasso : Ce matin pose chez Picasso. Il commence une tête "Ingres" très pour en justif. des œuvres du jeune homme après sa mort prématurée. [...] Connaissez-vous Léonce (!) Rosenberg qui achète les toiles cubistes = ? un vrai marchand qui vante "le style" et "l'affranchissement du peintre moderne" [...] Enfin un homme, un juif qui achète - cher - les peintures sans être modiste ou dilettante. On aime sa bêtise. Picasso se demande s'il ne va pas jusqu'à feindre une attitude pleinement idiote [...] Picasso voulait m'entraîner à l'hôpital italien voir Apollinaire [...] mais l'embrouille me semble trop grande entre Apollinaire et ce que je pense de lui et ce qu'il pense de moi pour que je consente tout de go à ce contact.

[1er mai 1916].
Plus tard, il est question de la brouille avec Anna de Noailles : Hier drame chez Edith Wharton entre A. de Noailles et moi. Prise de bec. Prise de cheveux à propos de Claudel [...] Je lui ai dit qu'il valait mieux avoir le snobisme de Dieu que celui de ministres [...] Pneu de Satie. "Très épatant", dit-il. Est-ce là du chaud dans sa langue de Faune ?

[2-3 mai 1916].
Au travail de Parade, le moral est bas: Suppose Parade rêve, impossible imaginer que je suis autre chose que cette loque glacée sur ses routes. Remonterai-je les pentes atroces de la fatigue ?

[9 mai 1916].
La réponse de Valentine dut le calmer, puisqu'il écrit plus tard : Grâce à vous calme revient et fleurs japonaises s'épanouissent. [...]
Lettre admirable de Satie. Vive Cocteau, dit-il. Rien ne pouvait me toucher plus [12 mai 1916], ou encore, vers le 9 juin 1916 : Comment vous remercier ? Stupide remercier rose de son odeur et ciel de ses étoiles. Vous êtes merveilleuse de naissance comme d'autres laides ou méchantes. Je vous respire et me porte mieux. Plusieurs des lettres évoquent la guerre : On se couche dans le sable ébranlé de canon, de torpilles qui s'écrasent autour de cette cure étrange.
[...] Cette nuit sur des routes noires au milieu des obus, des fous-rires et des sentinelles sourdes, nous vous évoquions jusqu'à vous croire des nôtres [12 mai 1916]. Il rassure aussi son amie (Le Front marche et nous laisse en place. Donc soyez calme. Obus loin), dans une lettre qui se termine par ces exclamations : Vous voir ! Non voir ! Voir Erik ! Voir Vivre et créer.

[11-12 juillet 1906].
En août 1916, dans une lettre qui évoque Apollinaire, qui fait des poèmes en forme de croix de guerre, Satie, qui compose des merveilles pour [lui], il décrit son accueil à la Rotonde, où il arrive en dandy : Picasso m'entraîne à la Rotonde où je ne fais que paraître et disparaître malgré l'accueil flatteur du cercle (peut-être faudrait-il dire du cube). Le gant, la canne et le col étonnent les artistes en chemise pour qui ce furent toujours les insignes de la niaiserie [12-13 août 1916].
Il se plaint encore d'Apollinaire : petite campagne contre moi par Apollinaire, qui "n'aime pas les autres" mais selon le système M. il m'invite et m'embrasse.

[4 décembre 1916].
Il part à Rome pour travailler Parade (Diaghilev nous emporte dans son cyclone, Picasso, Satie et moi. Enorme rhinocéros rose nous prend sur son échine jusqu'à Rome [10-11 février 1917]), et résume régulièrement le climat compliqué qui y règne entre les différents artistes: Travail marche avec disputes fécondes. Toute collaboration est un malentendu plus ou moins réussi. Parade commence bien [8-9 mars 1917].
Finalement, la première du spectacle aura lieu le 18 mai 1917 au Théâtre du Châtelet.

Après le mariage de Valentine avec Jean Hugo en août 1919, dont Cocteau sera témoin avec Satie, certaines lettres sont adressées conjointement aux "Zugos".
La correspondance retranscrit l'effervescence artistique et mondaine qui succède à la guerre.

Le 23 novembre 1920,
Cocteau annonce son soulagement: Je veux vous annoncer tout de suite le TRIOMPHE de Parade. Que n'étiez-vous là ! [23 novembre 1920]. Les lettres et cartes postales qu'il écrit de Carqueiranne reflètent son bonheur avec Radiguet et l'intense activité créatrice qui unit les deux amants: Oui, Radiguet m'émerveille. Ses poésies ont joue de pêche. Elles lui poussent comme des violettes, des fraises des bois, et d'évoquer la mutuelle inspiration qui les pousse l'un et l'autre à écrire des poèmes : Mon énorme poème fait écrire à Bébé des pièces de vers plus longues et ses pièces de vers fleurissent mon poème un peu nu. Nous nous amusons à mettre Vénus dans toutes les postures et la surprise du soir consiste à se montrer la nouvelle découverte quant aux mystères de sa naissance et de ses métamorphoses [24 mars 1921].

En août, il est question des costumes pour les Mariés de la tour Eiffel [29 août 1921], et du Diable au corps que rédige Bébé (Radiguet a déjà écrit 120 pages d'un roman qui ne peut, selon moi, se comparer qu'aux Contemporains où à la Princesse de Clèves), tandis que lui-même écrit une sorte de livre qu'il intitulera Le secret professionnel.
Plus tard, leurs rapports se distendent, il s'excuse de son silence : J'écrivais un nouveau livre, Thomas l'imposteur. J'ai fini, tandis qu'il continue sur Radiguet : le roman de Radiguet est une merveille de fraîcheur et de profondeur comme la rose [27 octobre 1922].

La correspondance s'interrompt en décembre 1922, avant que ne commence ce qu'Éléonore Antzenberger a appelé "Le chant du cygne": même si elle fera encore les costumes de Roméo et Juliette en 1924, Valentine s'éloignera peu à peu de Cocteau en même temps qu'elle se séparera de Jean Hugo: elle rejoint les surréalistes, aura une liaison avec Éluard, puis avec Breton.

DESSINS ET LETTRES ILLUSTRÉS.
Cet ensemble est enrichi de 8 dessins originaux, en plus de quelques coeurs et autres ornements qui parsèment ces pages :
• PORTRAIT DE VALENTINE HUGO. Mine de plomb, signé et daté juin 1922, monté en tête du volume.
• COMPOSITION CUBISTE. Cocteau a illustré sa lettre du 12 mai 1916, dans laquelle il demande des nouvelles de La Fresnaye, d'un étonnant dessin cubiste, ainsi légendé: ceci petite esquisse, vue d'une table où j'écris avec lieutenant lettre à sa promise.
• BUVEURS SUR UNE TERRASSE, 2 dessins, sur la lettre du 30 mars 1921.
• CULS DE LAMPES. Amusant dessin érotique sur un papier à lettre en forme d'énorme pénis [8 avril 1921].
• DESSIN ÉROTIQUE, intitulé Frontispice pour l'œuvre complète de Mr Radiguet accompagne un poème, Du chien d'Alcibiade, sur une lettre à Jean Hugo du 11 avril 1921.
• PERSONNAGE MAROCAIN EN FRAC, sous forme de scénario-calligramme, dans une lettre très amusante du 2 juillet 1922, qui contient aussi un CHIENT PISSANT CONTRE UN MUR.
• ENVELOPPE, qu'il dessine le 22 août pour montrer le modèle que Valentine Hugo doit lui acheter en grand nombre pour envoyer le Secret professionnel.
Voir Éléonore Antzenberger, "Valentine Hugo-Jean Cocteau. Au temps des Zugos", in Cahiers Jean Cocteau, t. 10-11, "Les amis de Jean Cocteau", p. 53-80.

ENSEMBLE INÉDIT, CAPITAL POUR LA COMPRÉHENSION DE LA PÉRIODE LA PLUS CRÉATIVE DE COCTEAU.

─ Nous remercions Mme Annie Guédras d'avoir confirmé l'authenticité des dessins.
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