Lot n° 84
Sélection Bibliorare

[CRÉBILLON FILS (Cl.-Prosper Jolyot de Crébillon, dit)]. La Nuit et le moment ; ou Les Matines de Cythère. Dialogue. À Londres, 1755, petit in-12, maroquin rouge, triple filet doré autour des plats, fleuron en angle, armes au centre, dos lisse...... (ÉDITION ORIGINALE de l’un des chefs-d’œuvre de la littérature libertine)......

Estimation : 30000 / 40000
Adjudication : 45 000 €
Description
orné en pied d’un fer à l’oiseau, doublure et gardes de papier à fond étoilé doré, roulette intérieure dorée, tranches dorées (reliure de l’époque).
ÉDITION ORIGINALE de l’un des chefs-d’œuvre de la littérature libertine. Crébillon Fils (1707-1777), l’un des maîtres du roman de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Son œuvre romanesque fut longtemps considérée comme le type même de la littérature « à la mode » qui avait accompagné l’essor de l’édition au XVIIIe siècle. Mais si ses textes, volontiers scandaleux, s’opposent résolument aux œuvres dramatiques essentiellement austères de son père, Crébillon Fils n’est plus aujourd’hui vu comme le chantre de l’immoralité, mais bien plutôt comme le peintre, au pinceau spirituel et teinté de cynisme, des mœurs de la société de son temps, dont il dit l’hypocrisie, entre duperie et perfidie, d’une société où perce l’insatisfaction et qui n’a conservé des libertins du XVIIe siècle que le libertinage. 6 figures hors-texte, non signées, tirées sur papier fort. « On aime bien mieux les folies du jeune Crébillon dans de jolis in-12 en maroquin, que les œuvres de Bossuet en basane ou en veau », écrit Caraccioli en 1759. Un roman libertin aux armes de la comtesse du Barry, « reine de la galanterie » de la fin du règne du Bien-Aimé. Quentin Bauchart, dans le chapitre qu’il consacre à sa bibliothèque, n’est guère tendre pour Mme du Barry, avec laquelle, dit-il, « nous touchons à la décadence ; le goût se déprave, le livre tombe dans l’anecdote graveleuse, [et, reprenant Caraccioli] Bossuet fait place à Crébillon le gai… ». Et tous d’opposer ainsi la comtesse à la marquise de Pompadour qui, ayant elle aussi précédemment gouverné le cœur du roi, avait exercé un ascendant éclairé sur les Arts. De fait, et à la différence de la marquise, Mme du Barry ne s’intéressa pas aux affaires du royaume et ne chercha pas à jouer un rôle politique. Cependant, celle qui fit travailler les peintres Greuze et Fragonard et qui surtout révéla l’architecte Claude-Nicolas Ledoux, contribuant ainsi à l’avènement du néo-classicisme, ne fit pas preuve de moins de goût et ne s’intéressa pas moins aux Arts. Les luttes d’influence auxquelles elle se trouva confrontée aidèrent beaucoup à donner de ses origines et de sa vie une vision péjorative que la postérité tarda à mettre en doute. Ainsi, la bibliothèque d’une femme « légère » se devait-elle de faire une large place aux romans « à la mode » ou « scandaleux » dont Crébillon Fils représentait l’auteur par excellence. Et là encore, Paul Lacroix évoque la possibilité que le libraire, auquel s’adressa la comtesse pour lui livrer une bibliothèque clef-en-main, « choisit, avec intention, divers ouvrages galants qui prêtaient à la circonstance » et que ce « fut peut-être par malice qu’il admit parmi ces livres [quelques autres] qui prêtaient plus ou moins à allusion ». Il est du reste piquant de constater que Crébillon Fils, que Quentin Bauchart se plaît à associer « aux goûts [dépravés] » de Mme du Barry, avait été l’un des protégés de Mme de Pompadour. Le volume, à la suite de quatre autres ouvrages de Crébillon Fils, dont Le Sopha, est décrit aux pages 108-109 du Catalogue des livres de Mme du Barry, tel qu’il fut publié par Paul Lacroix en 1874. Il a été fourni à celle-ci pour la somme d’une livre et 10 sols (une livre et 16 sols pour sa reliure). L’exemplaire est cité par Quentin Bauchart (n° 90), pour lequel « […] ces petits livres licencieux, auxquels les armes et la devise de Madame du Barry donnent tant de saveur », et par Cohen – De Ricci (col. 267). Le fer à l’oiseau est resté inconnu de Giles Barber. Préservé dans une boîte de maroquin noir moderne, ce bijou bibliophilique de goût féminin nous est parvenu dans un état de conservation d’une grande fraîcheur. Dimensions : 139 x 81 mm. Exposition : Annual International Exhibition, Londres, 1874. Provenances : comtesse du Barry ; baron Jérôme Pichon (Cat., 1869, n° 738, où le volume fut acheté par le libraire anglais Boone) ; Lord Orford, avec l’étiquette de l’exposition (A. I. E., 1874), à son nom ; ex-libris imprimé moderne aux initiales [U P] non identifiées, avec cote de rangement ; Georges Heilbrun (1901-1977), l’un des plus grands libraires français, avec son ex-libris ; Marcel De Merre (Cat., 5-6 juin 2007, n° 19, où la reliure est attribuée à Derome). Tchemerzine, II, p. 690 (pour lui, les figures auraient été gravées pour la réédition de 1762) ; Cohen – De Ricci, I, col. 266-267 ; Coulet (H.), Le Roman jusqu’à la Révolution, Armand Colin, 2009, pp. 334-341 (« Crébillon est bien le contraire d’un romancier sentimental ») ; Wald Lasowski (P.), « Les Enfants de la messe de minuit », in L’Enfer de la bibliothèque. Éros au secret., BNF, 2007, pp. 36-37 ; Lacroix (P., éd.), Catalogue des livres de Mme du Barry, Auguste Fontaine, 1874, pp. V-XVI, 3-4 et 108-109 ; Quentin Bauchart, II, pp. 181-215 ; Caucheteux (C.), « La Bibliothèque de madame du Barry », in Madame du Barry. De Versailles à Louveciennes, Flammarion, 1992, pp. 131-135 ; Barber, The James A. de Rothschild Bequest at Waddesdon Manor. Printed Books and Bookbindings, Rothschild Foundation, 2013, I, p. 482 («Many books bound by Louis Redon and P.-J. Bisiau») ; Olivier, pl. 657, fer n° 4.
Partager