Lot n° 803
Sélection Bibliorare

CURIE PIERRE (1859-1906) PHYSICIEN. 28 L.A.S., Paris 1898-1902, à Eugène DEMARÇAY ; 51 pages in-8 ou in-12, la plupart à en-tête Ville de Paris. École municipale de Physique & de Chimie industrielles et avec enveloppe, 3 adresses (défauts...

Estimation : 40 000 - 50 000 €
Adjudication : 325 000 €
Description
et mouillures à certaines lettres, la plupart habilement restaurées par doublure d’une fine gaze et montées sur onglets en attente de reliure).

► Importante correspondance scientifique à un collaborateur, qui permet de suivre étape par étape les expériences de Pierre et Marie Curie ayant abouti à la découverte du radium et permis l’exploration de ses propriétés.

Le chimiste Eugène DEMARÇAY (1852-1903), spécialiste en spectroscopie, apporta une aide capitale à Pierre et Marie CURIE dans leur découverte du radium.
C’est en effet à ses analyses spectroscopiques qu’ils eurent recours pour mettre au jour le nouvel élément. En ces années capitales de recherche, le physicien multiplie les expressions de respect et de gratitude :
« Auprès de Mr Debierne, de Mme Curie, et de moi vous jouez le rôle de la Providence (24 novembre 1899). Nous ne pouvons donner ici qu’un aperçu de cette importante correspondance.

─ 1898. 3 juillet.
« Nous travaillons ma femme et moi dans l’espoir d’obtenir une substance moins impure et de la soumettre à votre examen. […]. Les substances précieuses que j’ai emportées de chez vous ne sont pas actives. L’acide tantalique au contraire donne à l’air une petite conductibilité (1/100me de celle de l’Uranium).
– L’acide niobique n’est pas actif.
– Je vais vérifier ces résultats par la photographie »…
─ 23 juillet.
Le premier résultat positif est encourageant : ils chercheront à se procurer une plus grande quantité de matière pour essayer la réduction. « Je pense que le fer a été introduit quand j’ai lavé les morceaux de verre à chaud avec de l’acide chlorhydrique pour dissoudre le sulfure. Il se peut que j’aie aussi perdu à ce moment une partie de la matière active. J’ai examiné les minéraux que vous m’avez prêtés… Ils sont peu ou point actifs »... L’acide tantalique impur que Demarçay lui a donné a une activité « moitié de celle de l’Uranium métallique. Il est peu probable qu’une activité aussi forte soit due à la présence d’uranium ou de thorium car il en faudrait trop.
– Peut-être est-ce le corps actif de la pechblende, peut-être est-ce un nouvel élément actif, il y a par exemple une place libre dans le tableau de Mendeleef [MENDELEIEV] entre l’uranium et le thorium sur la rangée du niobium et du tantale »…
─ 10 décembre.
Annonce de la découverte du radium : « Nous avons trouvé, Mme Curie et moi, une nouvelle substance fortement radio-active différente de celle que vous avez bien voulu examiner. Il s’agit, cette fois, d’une substance ayant des propriétés analytiques voisines de celles du Baryum dont nous n’avons pu encore la séparer.
– On voit dans le spectre, en plus des raies du Baryum, des raies dans le violet. Nous désirerions vivement soumettre ce spectre à votre examen »…
─ 18 décembre :
« Nous sommes parvenus à obtenir des produits environ 4 fois plus actifs en précipitant le chlorure par l’alcool d’une solution acqueuse, et en suivant une méthode de séparation fractionnée. Les premières portions précipitées sont les plus actives.
– Enfin nous ne nous décidons pas à publier une note demain ; nous remettons cela à 8 jours, de la sorte, nous aurons le temps de prendre le poids atomique de nos substances plus actives, et nous saurons mieux ce que nous pouvons dire »… Il demande l’avis de Demaraçay sur l’intérêt d’examiner le spectre avec des substances plus actives, et le prie d’envoyer, lui aussi, une note à l’Académie sur la nouvelle substance. « Nos nouveaux produits actifs provoquent la phosphorescence du platinocyanure de baryum »…
─ 20 décembre.
« Nous sommes en train de récolter une certaine quantité de notre produit et je pense que cela nous permettra de faire des fractionnements un peu plus complets »…
─ 27 décembre.
Henri BECQUEREL a présenté leurs deux notes à l’Académie. « C’est une heureuse idée que vous avez eue de rechercher dans le spectre du Baryum les raies qui n’ont pas voulu augmenter d’intensité avec l’activité radiante.
– Je suis bien aise de n’avoir pas présenté la note il y a huit jours ; […] il me semble que le fait que la nouvelle raie augmente d’intensité en même temps que le produit augmente d’activité radiante donne une grande probabilité en faveur du nouveau corps simple.
– Nous proposons pour ce corps le nom de radium »…
─ 1899. 27 avril.
Il remercie des renseignements. « Le n° 1300 provient d’un fractionnement des azotates.
– Le n° 1100 d’un fractionnement des chlorures, mais la plus grande partie du produit avait été sublimée à l’état de sulfure ce qui explique le peu de bismuth.
– Nous venons de trouver que le n° 1100 contenait une petite quantité d’un sulfure soluble dans le sulfhydrate d’ammoniaque probablement de l’antimoine, est-ce que la réaction spectrale de ce métal est peu sensible ? Ne vous fatiguez pas trop pour les raies non encore identifiées que vous nous signalez. Nous espérons pouvoir vous soumettre prochainement un produit plus actif et si ces raies sont nouvelles elles seront renforcées »…
─ 7 mai.
« Je vous envoie par la poste deux produits renfermant du polonium, le premier a une activité de 8500 le 2me une activité de 850, ces deux produits sont la tête et la queue d’un fractionnement par l’eau d’azotates ayant une activité de 3000.
– Comme vous le voyez les fractionnements agissent toujours énergiquement et nous sommes loin d’avoir un produit pur.
– Mais qu’est-ce que nous fractionnons ? Vous seriez bien aimable de nous le dire.
– S’il n’y a que du bismuth et du polonium le bismuth doit au spectroscope faire sensiblement le même effet que s’il était pur. […] je ne comprends pas qu’est-ce qui pouvait accompagner le polonium dans les sulfures sublimes que nous avons obtenus il y a quelque temps ; ce ne pouvait être du bismuth puisque le sulfure n’est pas volatil et l’antimoine ne pouvait se trouver qu’en très petite quantité. Nous nous demandons si nous n’avons pas un produit moitié analogue au bismuth et dont le sulfure serait volatil.
– Nous avons constaté que tous les azotates d’activité inférieure à 3000 finissent en les fractionnant par l’eau par se dédoubler d’une part en produits très actifs et d’autre part en produits à peine actifs ; il semble donc qu’il n’y ait pas de corps ayant une activité comprise entre 1 et 3000 »…
─ 24 mai.
« Nous faisons traiter en ce moment le tonneau de minerai que nous avons, nous aurons ainsi une quantité de matière active assez forte et nous n’aurons plus à nous débattre avec des quantités infinitésimales. En voulant distiller une très petite quantité de sulfure très actif dans un courant d’acide carbonique j’ai perdu presque toute l’activité, j’imagine qu’il y avait un peu d’air ou d’humidité dans l’acide carbonique et qu’il s’est formé le composé gazeux actif dont nous avons une fois constaté l’existence en chauffant la pechblende.
– En attendant nos nouveaux produits, nous cherchons à reconnaître la nature du produit actif qui fait partie du groupe du fer »…
─ 24 juin.
Il veut lui envoyer une substance à examiner : « Il s’agit du corps radioactif voisin du fer, dont je vous ai déjà parlé.
– Quant au polonium et au radium nous attendons les résultats du gros traitement en cours qui ne marche guère vite »…
─ 30 juillet.
« Je crois qu’il ne nous est plus guère possible de douter que nos corps radio-actifs ne soient des éléments nouveaux et c’est grâce à vous que nous avons pu acquérir la quasi-certitude de ce que nous pensions »… Il envisage un nouvel examen d’un échantillon encore plus actif ; Mme Curie « va essayer de rechercher s’il y a une différence dans le poids atomique […] Le dernier produit que vous avez examiné avait à l’état de chlorure une activité de 900 je crois c’est donc probablement un produit environ 13 fois plus riche que nous vous avons envoyé.
– À l’état de sulfate les sels (Ba Ra) sont environ 3 fois plus actifs il faut donc s’attendre à une activité de 36 000 à l’état de sulfate »…
─ 20 septembre.
« Nous allons travailler dans le but de vous remettre un produit plus riche. Avec un produit valant 6000 environ Mme Curie a trouvé une différence de 2 unités sur le poids atomique, elle a obtenu 140 au lieu de 138, obtenu avec du chlorure de baryum purifié dans des conditions identiques. Nous serons bien contents Mme Curie et moi si vous voulez vous occuper des métaux radioactifs. La Société centrale de produits chimiques, ancienne Maison Rousseau, (44 rue des Écoles) vient justement de terminer le 1er appareil (électroscope avec plateaux et microscope) pour l’étude des corps radio-actifs. Si vous le désirez cet appareil sera mis à votre disposition. Le prix de l’instrument n’est pas encore bien établi, mais ce sera quelque chose comme 200 ou 250 francs.
– J’ai essayé l’appareil hier, l’isolement est excellent, et c’est la qualité essentielle »… Il rend compte des travaux de M. DEBIERNE sur les substances actives de la pechblende non précipitable : il a séparé « une substance très active (8000 fois uranium) ; cette substance a des propriétés chimiques assez analogues à celles de l’acide titanique »…
─ 25 octobre.
Il annonce sa venue au laboratoire avec du radium à soumettre à l’examen de Demarçay. « Je vous plains d’avoir à remonter un aussi gros rocher, mais nous ne sommes pas dans une situation meilleure, au contraire ; nous sommes en train de nous noyer dans une mer agitée !
– Nous sommes en train de nous débattre avec un phénomène d’émission secondaire de rayons de Becquerel par lequel tous les corps peuvent être rendus radio-actifs !!
– C’est très troublant et nous commencerions à douter de tout, si ce n’était vos raies du radium qui nous consolent.
– Croyez-vous à la théorie de CROOKES sur l’évolution des éléments ? »…
─ 27 octobre.
« Nous avons un fractionnement en train depuis 15 jours et relatif aux produits en radium de 450 kg de résidu.
– Nous nous figurions que les capsules de tête étaient déjà très actives. Mais hier nous avons pris l’activité de toutes nos capsules et nous avons constaté que la tête n’était pas beaucoup plus active que ce que nous vous avons déjà donné.
– Alors nous avons entrepris un petit fractionnement spécial […] Nous avons en Allemagne des concurents très sérieux, la Maison Haen de Hanovre (fabrique de produits chimiques) a préparé du radium qui semble très actif.
– Nous sommes donc obligés d’aller vite ce qui est bien désagréable »…
─ 16 novembre.
« Nous pensons comme vous que ce serait exagéré d’envoyer une note à l’Académie pour une seule petite raie »… Il propose d’apporter au laboratoire, pour examen, « un échantillon de polonium qui n’est pas beaucoup plus actif que celui que vous avez eu, mais qui a été séparé d’une façon différente et nous voudrions connaître ce qu’il y a avec.
– Puis cet échantillon d’azotate est déjà très jaune et nous ne nous fions plus absolument à l’activité pour juger de la richesse en polonium »…
─ 24 novembre.
Les Curie vont publier dans les Comptes rendus de l’Académie des Sciences « le dégagement d’ozone » et un fait curieux : « le verre des flacons ayant contenu des sels de radium est devenu violet.
– MOISSAN a insinué à BECQUEREL que l’ozone peut être dû à des traces de fluor ; et BERTHELOT a aussi trouvé que le fluor pourrait aussi produire la coloration du verre en formant du fluorure de manganèse.
– Tout cela n’est pas sérieux. Voyez-vous ce fluor pénétrant à plusieurs millimètres dans le verre ? Et du reste d’où viendrait-il ? Mr LE CHATELIER m’a dit que la coloration violette du verre se faisait sous l’action de la lumière au bout d’un temps considérable.
– Le manganèse se peroxyderait au dépens du fer.
– Mme Curie a fait quelques essais d’électrolyse pas très concluants, sur le chlorure Ba Ra.
– En solution acide […] il ne se dépose rien.
– En solution neutre ou même probablement alcaline, on a un abondant dépôt blanc soluble dans les acides (Baryte ?). Quelquefois ce dépôt n’est pas adhérent et sur l’électrode négative il y a un faible dépôt adhérent et noirâtre qui blanchit à l’air et est très actif.
– Mais la quantité déposée ainsi est extrêmement minime pour un abondant dépôt blanc. Peut-être l’étincelle brusque de la bobine est-elle nécessaire pour obtenir un meilleur résultat ? »…
─ 1900. 6 juin.
« Ma femme est en train de faire un fractionnement de chlorure de Baryum radifère correspondant à plus d’une tonne de résidu. – Le fractionnement n’est pas encore terminé mais nos mesures de radioactivité ne signifient plus rien de précis pour des activités un peu fortes et si vous pouviez examiner les produits de tête et nous donner une idée de leur richesse en Radium cela nous rendrait grand service ». Il va lui soumettre un échantillon…
─ 8 juin.
Sa femme doit faire une conférence sur les nouvelles substances radioactives à la Société des Amis des sciences : « il y aura là quelques chimistes ; peut-être y aurait-il intérêt à projeter un des clichés du spectre du radium »…
─ 9 juin.
Il propose de reproduire, agrandir et noircir un des petits clichés, pour la projection. « Auriez-vous l’extrême obligeance de mettre quelque signe permettant de reconnaître les 2 ou 3 raies les plus importantes du radium car nous sommes incapables de les retrouver. Pour une conférence de ce genre il suffira je crois de montrer que les raies les plus fortes du radium sont comparables aux raies les plus fortes du Baryum »…
─ 13 juin :
« Grand merci pour le spectre que vous avez bien voulu me donner et pour le petit cliché que je vous rapporterai bientôt. – J’en ai fait faire une reproduction bien noire et un peu agrandie qui se voit très bien en projection. Espérons que cette projection diminuera le nombre des incrédules »…
─ 19 juin.
Les visiteurs qui ont vu le spectre du Radium ont été « épatés » : « il y aurait intérêt à placer ce spectre à l’exposition du centenaire de la chimie »… Ils voudraient bien en envoyer aussi à M. GIESEL (qui communiquera le sien aux professeurs ELSTER et GEITEL), à M. WITKOWSKI, professeur de l’Université de Cracovie, etc.
─ 21 juin.
Il donne l’adresse du Dr Giesel à Braunschweig ; Curie serait heureux que J. THOMSON, à l’Université de Cambridge, puisse aussi voir ce spectre, et Lord KELVIN. En Amérique il ne connaît personne. « DEBIERNE est en train de fabriquer du radium de toute pièce »…
─ Jeudi [12 juillet] :
« je vous apporterais à examiner des produits provenant du fractionnement que poursuit actuellement ma femme. Décidément les queues diminuent d’activité d’une façon incroyable »…
─ 24 juillet.
« Je dois faire une conférence au Congrès de physique sur les corps radio-actifs, il y aurait je crois un intérêt très réel à montrer en projection aux physiciens étrangers le spectre de radium presque pur. […] Debierne a encore reculé de 8 jours la publication de sa note »…
─ 1901. 15 janvier.
Il lui adresse la note d’un Allemand qui pense avoir observé des raies du Polonium dans le spectre ultraviolet. « Nous étions d’abord convaincus qu’il s’était trompé le produit qu’il a employé, étant fort peu actif.
– Mais en y réfléchissant il n’est pas impossible que ce qu’il a vu ne soit exact car son spectre commence précisément à la limite des dernières raies visibles avec votre appareil.
– De plus il emploie un procédé différent pour l’étincelle.
– De toutes les raies qu’il signale la raie 3821,9 est la seule notable qui je crois pourrait être aperçue avec votre spectroscope »… Il propose de nouveaux examens. « Nous nous efforçons ma femme et moi ainsi que Mr Debierne de débrouiller ce que c’est que la radioactivité induite. C’est dur, bien dur, il semble y avoir une matière subtile qui s’échappe du radium et qui pourrait bien être le gaz radioactif que nous avions obtenu jadis en chauffant la pechblende »…
─19 janvier.
« Je dois faire dimanche prochain une conférence à Lille sur le radium »…
─1902. 25 mars.
« Ma femme vient de terminer son fractionnement, elle a concentré tout ce que possédons de radium et elle est anxieuse de savoir le résultat et si elle aura assez de matière pour le poids atomique. J’irai vous trouver demain […] à votre laboratoire pour vous demander de vouloir bien regarder le spectre des 2 produits de tête »…
─ 10 avril.
Mme Curie a fait quelques déterminations de poids atomiques ; les nombres obtenus avec le produit 1 ne sont pas parfaitement satisfaisants et sa femme se propose d’en refaire.
« Le chlorure semble bien défini et ne pas varier de poids quand on le laisse séjourner longtemps à l’étuve entre 130° et 200° ou lorsqu’on le laisse séjourner dans l’enseccateur. Mme Curie régénère le chlorure en évaporant l’azotate un grand nombre de fois avec Hel elle soupçonne son Hel de laisser un petit résidu et va en fabriquer de plus pur. – Le chlorure d’argent entraîne quelquefois un peu de radium et après fusion il est radioactif et lumineux »… Il hésite à publier les résultats sur le baryum. « DEBIERNE a concentré son actinium en un produit extraordinairement actif et il se propose de vous prier de l’examiner. Il a eu vraiment avec ce corps un mal inouï et par moment je regrette presque de l’avoir entraîné dans cette voie »…
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