Lot n° 153
Sélection Bibliorare

FLAUBERT (Gustave). Projet de préface au Mémoire en défense de Mme Bovary. Sans lieu ni date [ janvier 1857]. Manuscrit autographe signé “Gustave Flaubert” ; 1 page ½ in-folio. L'honneur d'un écrivain : exceptionnel manuscrit...

Estimation : 40 000 - 60 000 €
Adjudication : 51 520 €
Description
autographe signé du projet de préface au Mémoire en défense de Mme Bovary.

“Je suis accusé d'outrage «envers la morale publique et religieuse & les bonnes moeurs»
Ma justification est dans mon livre. Le voilà. Que mes Quand mes juges le lisent & l'auront lu ils seront convaincus que loin d'avoir fait un roman obscène et irreligieux, j'ai au contraire composé quelque chose d'un effet moral.
La moralité d'une oeuvre d'art littéraire consiste-t-elle dans l'absence de certains détails qui pris isolément peuvent être incriminés ne faut-il pas avant tout plutôt considérer l' impression qui en résulte, la leçon indirecte qui en ressort - & si l'artiste dans l' insuffisance de son talent, n'a pu produire cet effet, qu' à l'aide d'une certaine brutalité toute superficielle, les passages qui au premier coup d'oeil, paraissent semblent répréhensibles ne sont-ils pas, par cela même, les plus utiles & les plus indispensables (Qui a jamais accusé Juvenal d' immoralité)
Bien qu' il soit outrecuidant d' évoquer les grands hommes à propos des petites oeuvres, que l'on se rappelle avant de me juger, Rabelais, Montaigne, Régnier, tout Molière, l'abbé Prévost, Lesage, Beaumarchais & Balzac.
Les livres sincères peuvent avoir ont parfois des amertumes qui sauvent. Je ne redoute, pour ma part, que les littératures doucereuses que l'on avale absorbe sans répugnance et qui empoisonnent sans scandale.
J'avais cru jusqu' ici alors que les romanciers comme les voyageurs avait la liberté des descriptions. J'aurais pu, après bien d'autres, choisir mon sujet dans les classes exceptionnelles ou ignobles de la société. Je l'ai pris, au contraire, dans la plus nombreuse et la plus plate. Que la reproduction en soit désagréable, je l'accorde. Qu'elle soit criminelle, je le nie.
Je n' écris pas point pas d'ailleurs pour les jeunes filles, mais pour des hommes, pour des lettrés. Les gens auxquels les livres peuvent nuire qui cherchent le libertinage dans les livres ne liront jamais trois pages du mien. Le ton sérieux les en écartera. [Addition en marge : Les gens qui s'amusent au libertinage des livres s' écarteront vite du mien.] On ne va point par lubricité, aux amphithéâtres.
Et maintenant, j'accepte d'avance la décision de mes juges. Devant l' énormité des accusations, j'ai toutes les naïvetés de l' ignorance, & ne comprenant guères ma faute, peut-être me consolerai-je de ma punition punition
Gustave Flaubert.”

►Un manifeste en faveur de la liberté de l'écrivain.

Le 10 janvier 1857, Gustave Flaubert fait part à son éditeur de son intention de constituer un Mémoire à partir de quelques exemplaires spéciaux de Madame Bovary. Le texte du roman serait imprimé sur une seule colonne avec de grandes marges afin, explique-t-il, de “mettre en regard de plusieurs passages, de ceux qui sont incriminés d'abord, des citations tirées des classiques.”

L'auteur prouverait ainsi par comparaison que, dans son roman, la matière que la justice épingle est peu répréhensible quant aux moeurs et à la religion, sauf à condamner toute la littérature française []. Le présent texte n'est autre qu'un projet de préface à l'édition spéciale de Madame Bovary que Flaubert comptait publier pour ses juges. Pièce justificative, en somme, comparable à celle qui sera effectivement publiée quelques mois plus tard à l'occasion d'un autre procès : les Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du mal (Édouard Graham).
Le parquet interdit la publication du Mémoire de Flaubert, alors même que l'impression en avait été entreprise selon maître Senard. La redécouverte de ce manuscrit en 2001 permit, enfin, d'en révéler une partie.

(Yvan Leclerc, Bulletin Flaubert, 3, 2001, qui retranscrit le texte : Cette note est non seulement inédite, mais personne n'en soupçonnait l'existence.- Graham, Passages d'encre, 2008, pp. 119-123.)
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