Lot n° 4
Sélection Bibliorare

GIONO (Jean) - Correspondance adressée à Hélène Laguerre. 30 juillet 1935-15 novembre 1937. 20 lettres autographes signées et 17 enveloppes montées sur onglets dans un volume in-4 en demi-maroquin noir, plats de parchemin encadrés de maroquin...

Estimation : 10 000 - 12 000 €
Adjudication : 7 800 €
Description
(Honegger).

► Superbe correspondance amoureuse et érotique adressée par Jean Giono à Hélène Laguerre : entièrement inédite, elle est également d'un grand intérêt littéraire.

"Giono a correspondu avec sa famille [...], ses amis, ses éditeurs, ses lecteurs et de nombreux écrivains ou artistes (peintres, compositeurs, hommes de théâtre, cinéastes) : correspondances irrégulières, dont plusieurs s'interrompent au bout de quelques années et ne révèlent finalement que peu de choses sur sa vie, sa pensée et le mouvement de sa création. Les lettres à Hélène Laguerre et Blanche Meyer font exception, Giono livrant à ses correspondantes le récit de cette vie particulière de l'oeuvre en création" (J. Mény in Dictionnaire Giono, 2016, p. 241).

Les pages écrites à Hélène Laguerre témoignent ainsi de la genèse de Batailles dans la montagne, son grand roman des années 1937/1939 :
"Batailles me travaille. Je crois que ce livre marchera bien. Voilà donc que je suis comme une machine à faire des livres ? Pas plus tôt fini que commencés ? Non, mais comme un paysan qui fait aller son travail tous les jours. [...] A la relecture des épreuves de Resurrection du pain pour la nrf je constate avec stupeur que ça tient le coup" (20/01/1936).
"Le livre entre peu à peu dans son devellopement [sic] décisif.
De moins en moins le temps de penser à autre chose qu' à toi et au livre.
C'est vraiment un mariage intime de mon travail et de toi ; toi chair, et toi coeur. Ô indispensable !
Souffrance de ne pas t'avoir là à côté pour faire l›amour brusquement, à mon gré, à mon désir, chaque jour, vers les quatre heures quand le jour va se fermer sur le travail du soir et que depuis le matin saccumule en moi cette semence poétique soeur de la semence de chair à toi destinée. [...]" (3 mars 1936).
"Coeur. Toujours beau temps, toujours travail ardent. Demain je commencerai la déclaration d'amour qu'est la fin du chapitre 8. Et le chapitre sera probablement fini au milieu de la semaine prochaine.
Horaire qui se maintient à coup de sacrifices. Le livre sera terminé en son temps. Il le faut car les autres pressent pour sortir. [...] Je suis souvent en train d' écrire, dur et plein de jus et j'imagine que tu viens t'asseoir sur moi, que le seul geste d'écarter tes cuisses pour m'enjamber t'ouvre jusque dans tes profondeurs de cris, et que tu t'enfonces toi-même sur moi, pleine tout d'un coup de ce bloc de fer qui entre dans ton ventre et y fond comme du beurre et du miel. Ou alors j'imagine que tu as couché ta tête sur mes genoux et que tu bois paisiblement ma joie avec ta langue et ta bouche et je sens dans mes mains le poids de tes seins.
Le travail sera fini en avril." (3 février 37).
"Travail donc toujours assez violent. J'avance dans le chapitre 10, plus que deux après et c'est la fin. Je suis actuellement dans une forêt glacée. La dynamite approche. Bien entendu tout ça traversé par le souvenir de tes seins et le gout qu' ils ont dans ma bouche..." (sans date).
La rédaction de Batailles dans la montagne sera suivie de celle de Poids dans le ciel, évoquée à partir de juillet 1937.
Giono s'y livre sans fard, donnant libre cours à ses désirs et fantasmes ce qui confère à la correspondance une teneur des plus intimes.
"Si l'enfant n'est pas fait, je sais où nous le ferons, toi et moi, chérie.
C'est la haut dans la montagne où je suis allé ces jours ci, d'où je t'ai rapporté des fleurs, et où je te mènerai.
J'ai cueilli des fleurs à l'endroit précis où nous nous coucherons sur la terre.
Tu auras le ciel au dessus de toi avec toutes les étoiles ou bien le soleil, suivant que notre désir pourra ou ne pourra pas attendre le soir.
J'entrerai en toi avec tout le reste.
Et je ferai que ce soit encore plus lent que cette lenteur que tu aimes et j' irai de plus en plus profond en te laissant le temps de t'emplir d'abord de tout ce qui sera sur toi en même temps que moi. Je ne serai que le canon de la fontaine où je voudrais te faire boire l'eau magique.
Et je ne me retirerai doucement que quand je serai sûr de rester en toi pour toute la vie et toute la mort" (30 juillet [1935?]).

La liaison de Giono avec Hélène Laguerre (1892-1980) débuta au moment de la publication du roman Que ma joie demeure dont cette militante de gauche fut une fervente admiratrice. Elle "ne devient charnelle qu'après une correspondance de cinq mois [...]. La première rencontre a lieu à Marseille en juillet 1935. Le sexe envahit leur relation, comme le montrent les lettres écrites entre des retrouvailles parfois séparées de plusieurs mois. Giono, frustré par l'éloignement, s'étend sur des jouissances interminables en longues périphrases, en images, en symboles aux résonances cosmiques : mer, terre, fleuve, inondation. Ces descriptions de jeux sexuels imaginaires se rapprochent de la création romanesque" (Pierre Citron, "Les Ordres étranges" in Histoires littéraires 55, 2013).

Au cours des 4 ans que dura leur relation, le rôle d'Hélène Laguerre, à côté d'Élise, son épouse, dépassa largement celui de l'amante. Elle lui servit de secrétaire et s'occupa de ses éditeurs parisiens. Elle est également chargée de ses commissions.
De même, Giono la chargea de dactylographier certains passages des lettres qu'il lui avait adressées, afin de les intégrer à son Journal des années 1935-1939.
Hélène Laguerre prit également une part active aux engagements pacifistes de Giono. Elle fut de toutes les rencontres du Contadour, initiées par Giono en septembre 1935, et défendit en son nom la cause pacifiste dans des congrès et des manifestes.

Des dissensions semblent apparaître en octobre 1937 autour d'un article de Jean Guéhenno. Leurs relations se distendirent avec l'éclatement de la guerre, sans jamais s'interrompre. Giono tenta notamment, en vain, d'intervenir en faveur du fils d'Hélène Laguerre, arrêté pour des faits de résistance en décembre 1943. A la Libération, il lui apporta régulièrement un secours matériel.

La correspondance amoureuse de Jean Giono avec Blanche Meyer a été cédée en 1974/1975 au Edwin J. Beinecke Book Fund (Yale). Elle fut mise sous séquestre jusqu'en 2000 ; la Lilly Library (Bloomington) conserve un millier d'autres lettres adressées à Hélène Laguerre ; quant à la correspondance avec Simone Téry, elle est actuellement déposée à la Bibliothèque nationale de France.

Très bel ensemble de la bibliothèque Gérard Nordmann, avec ex-libris (I, Paris, 2006, n° 158).
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