Lot n° 95
Sélection Bibliorare

Gustave CHARPENTIER (1860-1956). MANUSCRIT MUSICAL autographe signé, Didon, 1888 ; 132 pages in-fol. en feuilles.

Estimation : 4000 / 5000
Adjudication : Invendu
Description
PARTITION D’ORCHESTRE DE CETTE TRES BELLE SCENE DRAMATIQUE QUI REMPORTA LE PRIX DE ROME. Élève de Massenet, Gustave Charpentier composa cette cantate pour le concours du prix de Rome en loge, en un mois à partir du 7 mai 1887, sur un poème de Lucien AUGE DE LASSUS (1841-1914), qui évoque les amours de Didon et Énée, l’apparition du spectre d’Anchise, et le départ d’Énée. Parmi les autres candidats, on notait Alfred Bachelet, Pierre de Bréville, Gaston Carraud, Paul Dukas, Camille Erlanger… Dans ses mémoires, Charpentier raconte : « Le matin de l’entrée en loge, c’est Gounod, de sa plus belle voix, qui nous a chaleureusement déclamé les vers de la cantate. Texte bien supérieur à ce que sont ordinairement ces poèmes. […] Trois personnages, dont un spectre, Didon, Énée. Le spectre : Anchise, père d’Énée. Pendant que Gounod dictait, je copiai le poème d’une main fébrile. Massenet et les autres professeurs sont là, nous assistent de leur présence, une dernière fois, avant que nous soyons bouclés dans nos cellules. Un seul geste et une seule phrase de Massenet, à mon intention. Dans le poème, l’exclamation d’Énée : “Anchise !” Massenet se penche sur ma copie. À côté de “Anchise !” – avec son crayon – il trace rapidement trois points d’exclamation énergiques. Pourquoi ? Je l’entends qui me dit, de sa voix la plus calme, avant de me quitter : “Il ne s’agit pas ici du spectre du père d’Hamlet.” […] L’apparition d’Anchise et l’exclamation d’Énée, avec le triple point de Massenet, marquent le sommet dramatique de la “situation”. Couper court à tout délayage funèbre. Musicalement : un grand éclat, presque un cri de triomphe pour le ténor. Une apparition non pas sépulcrale mais qui fasse jaillir la lumière. Point culminant et pourtant il faut que ça monte jusqu’à la fin de la cantate. Pas facile à concilier. […] Les trois points d’exclamation de Massenet : trois fulgurants traits de lumière sur les nuages de ma compréhension. Et sa phrase le quatrième trait. L’apparition d’un spectre n’est pas nécessairement terrifiante. Elle peut éclater en apothéose. Ce n’est pas celle du Roi d’Hamlet. “Anchise !!!”, illumination du héros. Ouvre la voie au finale-apothéose. Massenet a fait jaillir trois éclairs victorieux sur ma cantate »... La scène de Charpentier remporta le premier grand prix de Rome, proclamé le 25 juin 1887, et elle fut chantée, lors de la séance de distribution des prix de l’Académie des Beaux-Arts, le 28 octobre 1887, par Mme Yveling Rambaud (Didon), Edmond Vergnet (Énée) et le baryton Lauwers (Anchise), avec un grand succès ; Charles Darcours notait avec clairvoyance dans Le Figaro (2 novembre 1887) qu’elle « s’élève au-dessus de la moyenne des travaux des aspirants au prix de Rome » et « révèle un artiste de tempérament, un musicien doué d’un réel sentiment dramatique, et […] d’un précieux instinct de la scène ». La partition chant et piano fut aussitôt publiée chez G. Hartmann, avec une dédicace à Jules Massenet. Le manuscrit d’orchestre de 1887 est conservé à la BnF ; c’est ici une version revue pour le concert, datée 1888 ; elle fut donnée aux concerts Colonne le 22 janvier 1888 par Mme Yveling Rambaud, Lauwers et Julien Jourdain. L’orchestre comprend : 3 flûtes, 3 hautbois, 3 clarinettes, 4 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 2 pistons, 3 trombones, tuba, timbales, grosse caisse, cymbales, tam-tam, 2 harpes et les cordes. Trois personnages : Didon, soprano, Anchise, baryton, et Énée, ténor. Le manuscrit, signé et daté en fin « G. Charpentier 1888 », est à l’encre brune sur papier Lard-Esnault à 24 lignes ; il présente de nombreuses ratures, corrections et grattages, certaines lignes d’instrumentation ou mesures biffées, refaites ou complétées (parfois au crayon). En tête, Charpentier a noté : « Une caverne de rochers, un ruisseau s’en échappe et va se perdre sous les ombrages d’une forêt profonde. Au loin la mer ». Prélude (p. 1-12) ; 1ère Scène, Didon : « Seule ! Me voilà seule ici »… (p. 13-31) ; Scène 2, Didon-Énée : « Pourquoi cette tristesse et ce front soucieux »… (p. 32-83) ; Scène 3ème, Didon-Énée-Anchise : « Énée ! Écoute ! »… (p. 84-132). On relève un grand nombre d’indications d’interprétation ; ainsi, dans la seule 1ère scène, pour l’air de Didon : « tristement », « souriante », « Elle se lève en proie à une grande agitation », « avec passion », « en sanglotant », « Énée paraît au loin. Didon l’aperçoit, joyeuse et troublée », « à volonté, parlé », « fièrement »… Discographie : Manon Feubel, Julien Dran, Marc Barrard, Brussels Philharmonic, Hervé Niquet (Glossa) ; cet album sur Gustave Charpentier et le prix de Rome contient une très intéressante étude d’Alexandre Dratwicki, « Didon, un exemple de relecture des mythes antiques ».
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