Lot n° 21
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HEURES PETAU LIVRE D'HEURES À L'USAGE DE ROME - En latin, manuscrit enluminé sur parcheminFrance, Tours, vers 1495.Avec 16 médaillons en camaïeu d'or avec rehauts attribuées à Jean Poyer (actif 1490-1520) et une composition héraldique...

Estimation : 700 000 - 900 000 €
Adjudication : 4 290 000 €
Description
enluminée (XVIIe s.) rajoutée autour du premier médaillon (Armes de la famille Petau).
44 ff., complet, écriture à l'encre brune à l'imitation d'une humaniste italienne, texte sur deux colonnes, 33 lignes par page (justification: 105 x 170 mm), réglure à peine visible à la pointe sèche, rubriques en vert, abréviations
KL au calendrier à l'encre bleue et rouge, initiales peintes sur fond d'or, initiales peintes en rouge et en bleu (en alternance), capitales rehaussées de jaune, 16 médaillons (65 mm. de diamètre) en camaïeu d'or avec rehauts de couleurs, miniatures présentées en paires, cercles découpés (évidements) dans les feuillets qui ne contiennent pas de miniature pour permettre la vision des médaillons au fur et à mesure de la lecture.
Reliure de plein maroquin tabac orné sur les plats d'un décor estampé à la fanfare avec filets d'encadrement à froid, au centre les armes de la famille Rothschild et sa devise «Concordia-Industria-Integritas», contreplats doublés de maroquin rouge décorés (rel. signée Duru, datée 1856). Emboîtage moderne de plein maroquin bleu foncé.

Dimensions: 230 x 140 mm.

Ce chef d'oeuvre de l'enluminure tourangelle témoigne d'une maîtrise extraordinaire et prouesse de mise en page. Les médaillons sont désormais attribués à Jean Poyer, artiste tourangeau d'une grande originalité.

PROVENANCE
•1. Peint à Tours par Jean Poyer, pour un commanditaire non identifié. Au vu des clients et commanditaires connus de Jean Poyer, il est probable que ce livre d'heures de luxe fut réalisé pour un membre du cercle royal, un grand serviteur ou un dignitaire religieux proche du pouvoir religieux. Jean Poyer comptait parmi ses commanditaires Anne de Bretagne et ses deux époux royaux (Charles VIII et Louis XII), Guillaume Briçonnet, Jacques de Beaune, la famille Lallemant etc.
(voir Hofmann, 2016, p. 127).

•2. Famille Petau [Paul Petau (1568-1614) ou Alexandre Petau (1610-1672)], avec leurs armoiries peintes rajoutées au XVIIe s. au feuillet qui contient le premier médaillon.
Les Petau étaient de grands collectionneurs de livres et d'archives. Au vu des dates, il doit sans doute s'agit d'Alexandre Petau. Les présentes Heures ont été baptisées «Heures Petau» en l'honneur de ce premier propriétaire connu.

L'origine de la collection de Paul Petau se trouvait dans de fameuses bibliothèques du xvie siècle dispersées à la mort de leurs propriétaires: notamment celles de Jean Grolier de Servières, de Claude Fauchet, de Jean Nicot. Une notable acquisition fut celle de la bibliothèque de Pierre Daniel, avocat orléanais, qu'il fit en 1604 conjointement avec Jacques Bongars. Paul et Alexandre Petau ouvrirent largement leur bibliothèque aux savants du xviie siècle, comme Jacques Sirmond ou André Duchesne, qui y trouvèrent certains des textes dont ils donnèrent la première édition. Les manuscrits de cette bibliothèque (appelés les Petaviani) furent acquis entre 1590 et 1659 (pour ceux dont la date d'acquisition est connue).

Alexandre Petau en possédait plus de 1 800 en 1650. Cette année-là, il en vendit près de 1 500 à la reine Christine de Suède (par l'intermédiaire de son bibliothécaire Isaac Vossius). La collection de la reine passa à sa mort à la Bibliothèque du Vatican, où se trouvent aujourd'hui une grande part des anciens volumes des Petau. À la fin de sa vie, Alexandre Petau possédait une collection plus restreinte d'environ 300 manuscrits et incunables, et en 1669 Nicolas Clément en acheta vingt-deux pour la Bibliothèque du roi. Après sa mort, le reste de la collection (277 pièces selon le catalogue) fut vendu en plusieurs fois sur plusieurs décennies par ses héritiers, et une notable partie (quatrevingt- huit) fut acquise en 1720 par le bibliophile genevois Ami Lullin, qui à sa mort (1756) légua sa collection à la Bibliothèque municipale de Genève.
Sur les Petau, voir :
Hippolyte Aubert, «Notices sur les manuscrits Petau conservés à la bibliothèque de Genève (fonds Ami Lullin)», Bibliothèque de l'École des chartes, 70, 1909, pp. 247- ;
Karel Andriaan De Meyier, Paul en Alexandre Petau en de Geschiedenis van hun Handschriften..., Leyde, 1947.

•3. D'après une note du libraire américain
Kraus, le présent manuscrit semble avoir appartenu aussi au XVIIIe siècle à la famille Van Vooght de Bruges dont l'ex-libris gravé fut apposé sur un feuillet de garde volant.

•4. Collection du Baron James de Rothschild (1792-1868), qui fait relier le manuscrit à ses armes.

•5. Longue note de Paulin Paris (1800-1881), historien et érudit: «Ce manuscrit est d'un rare beauté. Je crois qu'il a été exécuté vers 1480 par un des meilleurs élèves du célèbre Fouquet de Tours, peintre de Louis XI. Je ne connais pas d'exemple d'une pareille disposition : c'est-à-dire de médaillons tracés sur les deux côtés du même feuillet et attendant l'un et l'autre leur complément plus ou moins éloigné...» (note datée de 1855). Une autre note signée de Paul Durrieu (1855-1925), conservateur au Louvre et collectionneur identifie les armoiries Petau: «Ce manuscrit vient de la collection Petau».

•6. Vente Paris, Palais Galliera, 24 juin 1968, lot. 9.

•7. H.P. Kraus, libraire et galeriste (New York), jusqu'en 1974 et figure dans le catalogue Monumenta Codicum Manu Scriptorum, New York, 1974, p. 105. Les médaillons étaient donnés par Kraus à Jean Bourdichon (comme l'indique le lettrage doré sur l'emboîtage moderne de conservation).

•8. Collection du Commandant Paul-Louis Weiller (1893-1993), industriel, philanthrope et collectionneur français. Le manuscrit fut vendu et catalogué dans Ancienne collection Paul-Louis Weiller. Vente IV.
Livres, autographes et manuscrits, Paris, Drouot (Gros et Delettrez), 8 avril 2011, lot. 547.

TEXTE.
•ff. 1-3v, Calendrier, avec deux mois par page, rédigé sur deux colonnes, à l'encre rouge, bleue, verte et or; relevons les saints tourangeaux suivants :
Avertin (4 février), Grégoire (9 mars), Perpet (8 avril), Venant (19 avril), Martin (4 juillet et 11 novembre), Eustache (12 octobre), Brice (13 novembre), Maxime (15 décembre) et Gatien (18 décembre);
•ff. 5-6v, Extraits évangéliques;
•ff. 6-7v, Obsecro te ;
•ff. 8-24v, Heures de la Vierge, avec matines (ff. 8-10);
•laudes (ff. 11-13v);
•prime (ff. 14-14v) ;
•tierce (ff. 15-15v) ;
•sexte (ff. 16-16v) ;
•none (ff. 17-17v) ;
•vêpres (ff. 18-19v) ;
•complies (ff. 20-24v).
•ff. 25-29v, Psaumes de la Pénitence ;
•ff. 30-37v, Office des Morts ;
•ff. 38-38v, Heures de la Croix ;
•ff. 39-39v, Heures du Saint-Esprit ;
•ff. 40-44v, Suffrages : Michel, Jean-Baptiste, Pierre et Paul, Jacob, Stéphane, Laurent, Sébastien, Nicolas, Martin, Anne, Marie-Madeleine, Catherine, Barbara, Apolline.

ILLUSTRATION.
Ce manuscrit compte 16 médaillons de camaïeu d'or rehaussé de peinture blanche, rose chair, rouge, jaune et bleue.

•f. 4v, Les quatre évangélistes; peinture du XVIe siècle complétée au XVIIe siècle par un cartouche sur fond doré agrémenté de guirlandes de fleurs, de corbeilles de fruits et de drapés. Le médaillon des évangélistes est entouré par une couronne tressée comportant au-dessus un écu soutenu par deuvx putti contenant les armoiries de la famille Petau ;
•f. 7, La Vierge à l'Enfant flanquée des symboles des quatre évangélistes ;
•f. 7v, L'Ange de l'Annonciation ;
•f. 10, La Vierge en prière ;
•f. 10v, Visitation ;
•f. 14, Nativité ;
•f. 14v, Annonce aux Bergers ;
•f. 16, Adoration des Mages ;
•f. 16v, Présentation au Temple ;
•f. 19, Fuite en Egypte ;
•f. 19v, Couronnement de la Vierge ;
•f. 29, David en pénitence ;
•f. 29v, Job et ses amis ;
•f. 38, Christ aux outrages ;
•f. 38v, Pentecôte ;
•f. 44, Assemblée des Saints ;
•f. 44v, Médaillon final à décor végétal.

L'ensemble des peintures est due à un artiste tourangeau de tout premier ordre, un temps identifié comme Jean Bourdichon, auteur des enluminures des Grandes Heures d'Anne de Bretagne.
Il est accepté aujourd'hui qu'il faut attribuer ces enluminures à un artiste tout aussi remarquable que Bourdichon, le Tourangeau Jean Poyer qui travailla à Tours entre 1490 et 1520 (voir Avril et Reynaud, 1993, pp. 306-323). L'oeuvre de Poyer - artiste novateur et expérimentateur - a été étudié par Mara Hofmann (2004) qui en a dressé le catalogue raisonné. Sur la palette de Poyer employée dans les Heures Petau, citons Hofmann: «Les Heures Petau, exécutées en camaïeu d'or, utilisent une autre variante fondée sur un coloris réduit.
La facture de ces miniatures se distingue par des hachures en or exprimant la lumière tandis que des hachures rouges définissent les parties ombrées. La chair rose est traitée avec des rehauts de rouge, de blanc et de bleu. Des couleurs tels que le jaune et le bleu clair servent également pour décrire les cheveux et les barbes» (Hofmann, 2016, p. 121).

La disposition des médaillons dans les Heures Petau est pour le moins exceptionnelle puisque Jean Poyer les a conçues par paires (recto-verso) au début et à la fin de chaque section des différentes divisions liturgiques, prévoyant les feuillets intercalés avec un évidement permettant une vision simultanée des deux peintures durant toute la récitation ou lecture du texte. Cette mise en page tout à fait remarquable et ingénieuse se retrouve dans un autre manuscrit exécuté par Jean Poyer, conservé par la Bibliothèque Royale de Copenhague, dit les Heures Thott mais dont les évidements sont en forme de losanges et non ronds (Copenhague, Bibliothèque royale, Thott 541.4). Les Heures Thott sont sans doute un peu plus traditionnelles et «chargées» dans leur réalisation avec des encadrements peints et des initiales ornées qui scandent le texte. Dans les Heures Petau, le texte - parfaitement calibré - et les médaillons donnent une impression épurée, augmentant le pouvoir spirituel des images suscitant une piété affective chez le fidèle.

Hofmann (2016) a consacré un article au présent manuscrit, datant celui-ci de la dernière décennie du XVe siècle et le rapprochant des Heures Ladore qui présente des figures à mi-corps: «Cette formule permet d'attirer le regard sur les protagonistes figurés au premier plan» (Hofmann, 2016, p. 121).
Hofmann rapproche la mise en page ingénieuse et finalement très moderne d'un type de livre pour enfants (sorte de livre à système) avec ce même jeu d'images qui se répondent au fil des pages et conclue: «Le fait que l'on trouve des solutions similaires uniquement au XXe siècle met en évidence l'ingéniosité de Jean Poyer qui était bien en avance sur son époque, non seulement par ses inventions picturales mais aussi pour son art de la mise en page» (Hofmann, 2016, p. 126).

C'est un manuscrit en tout point exceptionnel, réalisé par un artiste d'une grande originalité et qui a oeuvré pour un mécène pour l'heure inconnu, sans doute proche des cercles royaux, et qui osa une mise en page complexe et somme toute assez moderne.

BIBLIOGRAPHIE.
Avril, F. et N. Reynaud, Les manuscrits à peintures en France, 1440- 1520, Paris, 1993.

Hofmann, Mara. «Un chef-d'oeuvre de Jean Poyer peu connu: les Heures Petau de la collection Weiller», in Art et société à Tours au début de la Renaissance, ed. M. Boudon-Machuel et P. Charron, 2016.

Hofmann, Mara, Jean Poyer: Das Gesamtwerk, Turnhout, 2004.

[Catalogue d'exposition]. Tours 1500, capitale des arts, 2012
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