Lot n° 14
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Sélection Bibliorare

LABÉ, Louise Charly ou Charlin, dite. Euvres de Louïze Labé Lionnoize. A Lion, Jean de Tovrnes, 1555. Petit in-8 de 173 pp., (1) f. de privilège ; vélin souple ivoire, traces d’attaches, titre manuscrit au dos (reliure de...

Estimation : 300000 / 400000
Adjudication : 430 000 €
Description
l’époque).
ÉDITION ORIGINALE, DE TOUTE RARETÉ.
Elle a été achevée d’imprimer le 12 août 1555 sur les presses de Jean de Tournes. Le titre est placé
dans le bel encadrement à l’arabesque que l’imprimeur lyonnais utilisa à deux autres reprises la même
année, puis à nouveau en 1558 et 1559. Des bandeaux et culs-de-lampe dessinés dans l’esprit du titre
complètent l’ornementation.
L’impression pourrait avoir été exécutée sous la direction du poète Jacques Peletier qui, établi à Lyon,
était en étroite relation avec Jean de Tournes : le texte des Euvres présente en effet de nombreuses
traces du système orthographique qu’il préconisait.
Cette mince gerbe de vingt-sept pièces en vers est l’un des livres les plus précieux
de l’histoire littéraire française.
Le recueil contient une épître à Clémence de Bourges, datée du 24 juillet 1555. Elle est suivie
d’une très longue pièce en prose, d’une centaine de pages, imprimée en caractères romains, le Débat de
Folie et d’Amour : dans ce long essai dialogué, Louise Labé revendique pour la femme l’indépendance de
pensée, la liberté de parole amoureuse et le droit à l’éducation.
(Au siècle suivant, ce texte inspira La Fontaine pour sa fable L’Amour et la Folie.)
Les vingt-sept oeuvres en vers – élégies et sonnets – qui suivent, imprimées en lettres italiques,
offrent d’abord trois élégies dans le style de Marot, sans doute adressées à Olivier de Magny : elles
sont parmi les soupirs d’amour les plus déchirants que l’on ait produits sous une forme littéraire.
La deuxième élégie se termine par quatre alexandrins imprimés en capitales, des vers que Louise
souhaitait voir gravés sur sa tombe.
Les vingt-quatre sonnets suivent les rythmes nouveaux de Ronsard et surtout ceux de l’ami proche,
Pontus de Tyard. Le premier est en langue italienne.
Le volume s’achève par 50 pages d’Escriz de divers poëtes à la louenge de Louïze Labé Lionnoize .
Les poèmes, rédigés en grec, en latin, en français et en italien, sont soit anonymes, soit signés
des devises de Maurice Scève, Claude de Taillemont, Pontus de Tyard et Jean de Vauzelles,
le poète lyonnais ami de Pernette du Guillet.
“Une fusion nuptiale de la connaissance et de la sensualité.”
Fille d’un marchand prospère, Pierre Charly, Louise Charly dite Labé (1526-1568) fut élevée dans le
goût des lettres et de la musique. Elle était habile écuyère et maniait l’épée. On pense qu’elle prit part,
sous des habits d’homme, à quelques opérations militaires et on mentionne sa présence à un tournoi
sur la place Bellecour, à Lyon, où le roi Henri II pourrait l’avoir remarquée. A 16 ans, elle épousait un
cordier : ce mariage lui valut le surnom devenu fameux la Belle Cordière. Elle fut aussi liée avec Maurice
Scève. Sa beauté, ses talents et le mépris qu’elle affichait pour les convenances firent que Louise s’attira
bien des médisances, et même des injures de Calvin. Elle n’en demeure pas moins le représentant le
plus attachant de la culture italianisante qui fleurissait à Lyon au XVIe siècle, et surtout un des plus
merveilleux poètes de l’amour.
Dans son Introduction à la poésie française publiée en 1939, Thierry Maulnier écrit que son oeuvre
“tout entière vouée à l’amour charnel (…) renferme quelques-unes des plus brûlantes cadences du
paganisme littéraire français et de la poésie amoureuse universelle. (…) Jamais dans la littérature,
l’impudeur même des sens n’a atteint à une telle gravité. Ses paroles sont irremplaçables, elles n’ont
plus été prononcées après elle, fût-ce par les plus violentes et les plus tendres des filles de Racine.
Jamais l’âme et le corps n’ont paru aussi peu séparés, la lucidité la plus claire aussi présente dans les
exigences de l’amour et dans ses gratitudes. (…) [Une] fusion nuptiale de la connaissance et de la
sensualité.”
Poète de l’amour, Louise Labé n’en invitait pas moins les femmes à se consacrer aux oeuvres de
l’esprit. En préface, elle s’adresse à une jeune Lyonnaise, Clémence de Bourges, qui, si l’on en croit
la légende, se laissa mourir d’amour. Dans cette épître liminaire, Louise revendique l’indépendance
pour les femmes : “Estant le tems venu (…) que les severes loix des hommes n ’empeschent plus les femmes de s’apliquer
aus sciences & disciplines”, aussi enjoint-elle ses semblables à s’attacher à produire des oeuvres qui les
mettraient sur un pied d’égalité avec les hommes. Elle leur conseille notamment “d’eslever un peu leurs
esprits par dessus leurs quenoilles & fuseaux” .
Quant à elle, s’étant surtout consacrée à la musique, elle jugeait de peu de poids ses propres oeuvres,
et ne les fit imprimer que pour répondre aux demandes de quelques amis et comme réminiscence
d’anciens jours heureux ou malheureux : “Une ombre du passé qui nous abuse & trompe. ”
Une “créature de papier” ?
L’existence de la Belle Cordière a été récemment mise en doute par Mireille Huchon, pour qui les
Euvres de 1555 “sont une opération collective élaborée dans l’atelier de Jean de Tournes, par des
auteurs pour la plupart très liés aux réalisations de cet imprimeur”. La biographe croit discerner dans
ce livre “les créations de Lyonnais, comme Maurice Scève et les poètes qui gravitent autour de cet
astre, Pontus de Tyard, Claude de Taillemont, Philibert Bugnyon, Guillaume de La Tayssonnière et
les créations de poètes liés à la Brigade comme Olivier de Magny ou Jean-Antoine de Baïf”.
Le plus bel exemplaire connu : en vélin souple du temps, à grandes marges
et miraculeusement conservé.
Non lavé, quasiment dépourvu de rousseurs et de taches, à grandes marges, l’exemplaire est
quasi intact. Tout juste peut-on signaler d’infimes manques de papier dans les coins supérieurs
des derniers feuillets.
La reliure, très pure, a été réalisée avant la canonisation littéraire de Louise Labé. Elle présente
une particularité qui révèle sa nature quasi artisanale : la main du praticien a mal dirigé le massicot sur
les marges extérieures, ce qui confère au volume un singulier aspect trapézoïdal.
Petite morsure en bordure du plat inférieur.
Quelques phrases ont été anciennement soulignées ou annotées à l’encre noire. En marge d’un
passage où Louise Labé a écrit : “S’il y ha quelque chose de recommandable apres la gloire & l’honneur ,
le plaisir que l’estude des lettres ha acoutumé donner nous y doit chacune inciter” , un lecteur contemporain a
inscrit : “le plesir des lettres.” Quelle meilleure réponse aux spéculations sur la personne réelle ou rêvée
de Louise Labé ? Que sont-elles face au “plesir des lettres” ?
Provenance : signature ancienne en haut du titre rayée et ex-libris manuscrit du XVIIIe siècle sous
le titre : Ex lib. Rejnaud cat. ins. L’exemplaire a figuré dans un catalogue de la librairie Pierre Berès
(catalogue 85, 350 livres et manuscrits des Valois à Henri IV, 1994, n° 173) : le libraire l’avait acquis dans
une vente anonyme lyonnaise en 1985.
Le volume est conservé dans une boîte moderne de maroquin tabac. En français dans le texte, Paris, 1990, nº 53.- Tchemerzine-Scheler, III, p. 780.- Viollet le Duc, Bibliothèque poétique, pp. 236-240 :
“Trois éditions des oeuvres de Louise Charly, imprimées de son vivant, sont d’une telle rareté qu’elles peuvent être considérées comme
introuvables.”- Ducimetière, Mignonne allons voir… Fleurons de la bibliothèque poétique Jean Paul Barbier-Mueller, nº 50 : pour l’exemplaire
de Charles Nodier, relié par Thouvenin.- Cartier, Bibliographie des éditions des de Tournes, nº 302 : “Livre célèbre, dont on connaît
assez l’importance littéraire et la rareté. Cette première édition des oeuvres de la Belle Cordière a été exécutée avec soin ; elle est
ornée de quelques bandeaux et lettres grises.”
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