Lot n° 849
Sélection Bibliorare

LAENNEC RENÉ-THÉOPHILE (1781-1826), MÉDECIN. 13 L.A.S., Nantes, Quimper et Paris 1794-1805, à son père Théophile-Marie LAENNEC, juge au tribunal de Quimperlé, puis à celui de Quimper (Finistère), puis homme de loi à Port-Brieuc...

Estimation : 8 000 - 10 000 €
Adjudication : 10 400 €
Description
(Côtes-du-Nord), jurisconsulte ou avocat à Quimper ;
31 pages in-4, adresses (légères mouillures et bords un peu effrangés à quelques lettres).

♦ Très bel ensemble de lettres de jeunesse à son père, relatant les années d’études du futur médecin et inventeur du stéthoscope.

Les lettres retracent l’engagement précoce dans la médecine du jeune garçon, sous la tutelle de son oncle le Dr Guillaume Laennec, son service comme officier de santé dans l’armée de Brune en Bretagne, ses études médicales à Paris dans une grande gêne financière, et enfin ses premiers succès. Il fait également des démarches en faveur de son père, dont il partage le goût pour les belles-lettres et la musique, dit son affection pour sa belle-mère (« Maman ») et sa fratrie, etc. Nous ne pouvons en donner ici qu’un aperçu.

─ Nantes 26 frimaire III (16 décembre 1794).
Son frère et lui ont reçu la lettre de leur père, les livres et l’assignat ; ils voudraient 100 ou 150 francs par an pour ne pas gêner leur oncle et leur tante, « qui cet année sont beaucoup plus gênés qu’à l’ordinaire reduits comme nous le sommes a une demie livre de pain par personne, […] les rentes de mon oncle n’augmentent pas et son état ne vaut pas à present la moitié de ce qu’il valloit autrefois […]. Mon frere et moi nous travaillons pour nous mettre en etat de prendre bientôt un etat et de ne plus vous importuner. Je suis à present en physique mon frere prendra probablement le parti de la marine moi je desirois entrer dans le genie, mais je crains bien que mes moyens ne me le permettent pas »…

─ Quimper 18 thermidor V (5 août 1797).
« Hier a été sans doute le grand jour. Je vous felicite si vous avez gagné. Si vous avez perdu, je vous conseille (le conseil vous paroîtra sans doute interessé) de venir vous consoler au milieu de votre famille, de l’injustice des hommes et de la fatalité des evenemens »...
Il ira à Châteaulin visiter les carrières d’ardoises. Il avertit avec humour que l’oncle de Nantes [Guillaume Laennec] prépare à son père une épître républicaine…

─ Nantes 24 brumaire VI (14 novembre 1797).
Nouvelles de relations, dont Antoine Crucy, « parti pour Paris, où ses affaires l’appellent, avec force lettres de recommandation, pour les ministres Sotin et Letourneux [ministres de la Police générale et de l’Intérieur]. Il est lui-même fort lié avec eux et nous ne doutons pas qu’il ne réussisse à vous placer dans la conservation des eaux bois et forest »… Les cinq louis envoyés par son père n’ont pas suffi à lui « procurer la moitié de l’absolu necessaire ; je suis sans chapeau, sans chemises » ; quant à sa malle : « livres, habits, linge, histoire naturelle, tout s’est dechiré, brisé, taché mutuellement, par le cahot de la voiture » ; le reste est abimé par une poussière rougeâtre…

─ 5 frimaire (25 novembre).
Conseils concernant la position paternelle… « À propos d’argent, je vois bien qu’il faut renoncer à l’etude pour cette année. Les cours de l’ecole centrale sont ouverts. Dans peu, ils seront trop avancés pour pouvoir les suivre. Si vous pouvez quelque chose pour moi faites le »…

─ 14 prairial VII (2 juin 1799).
Il va rejoindre son père incessamment, pour « communiquer les demarches que nous avons faites pour pouvoir continuer mes etudes, malgré la guerre, et pour concerter avec vous ce qui me reste à faire. Je vais profiter pour cela du temps que me laisse la stagnation des etudes chirurgicales pendant l’été »... Il rend compte des démarches faites par son oncle pour récolter des signatures de colons ou navigateurs (dont Peltier Dudoyer), afin d’éteindre la dette d’un parent de sa belle-mère, Guillaume François Hurvoy… Il fait suivre sa signature du titre « off. de santé 3e classe ».

─ 23 brumaire VIII (14 novembre 1799).
Il s’inquiète de la nouvelle loi concernant les « partages à faire avec la republique », et espère que son père a respecté le délai prescrit… « Je continue toujours à donner à la musique tout le temps qui n’est pas consacré à la medecine. Un travail assidu de six heures par jour depuis sept mois me procure le plaisir d’être de tous les concerts, aux quels je sacrifie volontiers, bals, assemblées de société &c. J’espère qu’à la fin de cet hyver votre Theophile pourra disputer aux plus [in]trepides heurleurs des anciennes cathedrales le prix de la force et de la gravité à chanter je continue cependant à donner la preference à la flûte et à la [mu]sique instrumentale. Vous l’avez bien dit les arts sont le baume [de] la vie »…

─ Paris 10 thermidor IX (29 juillet 1801).
Compte rendu détaillé de son installation à Paris avec son frère, de ses dépenses courantes, et de leurs efforts inutiles pour vendre « le diamant », diversement prisé par les marchands, mais sans proposition d’achat sérieuse. « On m’a offert un louis de ma montre. Si le 19 ou au plus tard le 20 nous ne recevons aucun secours, nous ne saurons où donner de la tête »… Il a abandonné le cours particulier qu’il suivait, mais il a dû acheter des livres, « puisque le professeur les faisait sur cet ouvrage […]. Je m’en repens bien actuellement. Et cependant je suis ici pour étudier. Le premier semestre qu’un étudiant en médecine passe à Paris lui coute autant qu’une année ordinaire »… Il lui enverra quand il sera fini, « un petit ouvrage composé d’abord sur mes genoux pendant la campagne que j’ai faite avec le Général BRUNE […] un croquis de poëme en prose heroïcomique, dont le fonds est basé sur les petites aventures de cinq officiers de santé composant l’ambulance bretonne du général en chef » [La Guerre des Venètes], ainsi que « l’exposition et la fin d’une cantate que j’avais d’abord faite pour fournir de l’occupation à une dame qui compose et que j’ai depuis destinée à faire entrer dans mon POËME »…

─ 10 vendémiaire XI (2 octobre 1802).
Le début de la lettre fait allusion aux corrections portées par son père au poème et au jugement du « Docteur Cenneal [anagramme de Laennec], mon illustre confrère »…. Le mois prochain il subira ses examens. « S’il ne s’agissait que d’être reçu comme tant d’autres je ne m’en embarrasserais pas autant : mais je me trouve dans une telle position que j’ai à combattre, non pas absolument pour la vie, mais pour l’honneur. L’espèce de réputation que je me suis acquise aux yeux de mes camarades et même à ceux de ceux des professeurs qui me connaissent est au dessus de ce que je vaux & il faut cependant tacher de la soutenir et j’y travaille sans relâche »… Il raconte l’embrouillamini de la publication tronquée, puis intégrale, des observations qu’il avait faites à l’hôpital : le « bon sire » LEROUX eut « envie de se l’approprier conjointement à Mr CORVISART qui n’en savait rien »… Ce mémoire sur la péritonite a cependant attiré l’attention d’un des membres les plus distingués de la Société d’émulation, qui en a parlé « avec une sorte d’enthousiasme », en demandant que la Société en reçoive l’auteur. « Cette anecdote que des témoins oculaires ont rapportée me fait d’autant plus de plaisir que je ne crois pas pouvoir entrer par une porte plus agréable dans une société qui n’a au-dessus d’elle ici que celle des professeurs de l’école, qui même sont membres de celle-ci.
– Je médite un projet et je travaille en conséquence […]. L’un des premiers anatomistes de Paris, le chef des travaux anatomiques de l’école vient de m’offrir son laboratoire pour y faire tous les travaux, toutes les recherches dont j’aurai besoin pour ce dont je compte faire le sujet de ma thèse. Voici bientôt le moment où je vais me trouver lancé dans la carrière »… Mais quant à faire appuyer son père par quelques relations pour lui obtenir une place, « je ne connais que Mr CORVISART qui est trop paresseux pour faire aucun ouvrage quoiqu’il soit le corpyphée de la médecine pratique, qui ne veut pas voir de malade, parce que cela le gêne, qui m’en voudrait si j’allais lui parler d’affaires […]. D’ailleurs quoique je travaille tous les jours pour lui à peine me connaît-il. Son caractère me plaît si peu que je n’ai jamais guère cherché à le connaître particulièrement. Presque tous les hommes de lettres ou les savans de Paris sont dans le même genre »…

─ 10 nivose XII (1er janvier 1804).
« Je poursuis dans ce moment ci la place dont je vous ai parlé. On m’a déjà dit qu’il fallait que je fusse reçu sous un mois. Tachez de m’envoyer 2 ou 300f. Je tacherai de trouver ici le reste, mais je ne pourrai trouver tout. On m’a proposé de travailler à un ouvrage […]. Si j’ai la place que je cours à présent, quoiqu’elle soit plus honorable que lucrative, il est possible que sous un an je puisse me suffire à moi-même. […] Je suis décidé à dédier ma thèse à mon oncle »…

─ 22 nivose XII (13 janvier 1804).
Les vanteries du père, dans sa pétition d’affaires, consternent son fils : « Comment sur quelques paroles encourageeantes et très privées de deux ou trois de mes maîtres, que je ne vous ai communiquées qu’en vous priant de n’en rien dire authentiquement, avez-vous pu penser qu’il me fut permis d’aspirer dejà si publiquement à 22 ans à une place qui ne s’accorde guères qu’à des hommes vieillis dans l’exercice de leur art. Si jamais je deviens prof. ce ne sera probablement que dans quelques années et en attendant il me faut même déjà user de la plus grande circonspection pour me faire pardonner et le succès que j’ai obtenu et ceux que je puis obtenir encore. Ici comme ailleurs il y a des jaloux […]. Vous ne sauriez croire le tort que votre note m’eut fait si elle eut tombée entre les mains de quelque professeur & combien elle eut prêté à rire, et je vous avoue qu’en cela le ridicule m’eut été plus sensible qu’autre chose car je vous assure que personne n’est moins travaillé de l’ambition que moi »… Il le supplie de lui envoyer de quoi subir ses examens : « Tant que je ne suis pas docteur je ne suis qu’étudiant, et par conséquent bon à rien »…

─ 2 pluviose XII (24 janvier 1804).
« Vous êtes trop loin pour pouvoir juger bien de l’état dans lequel je me trouve ici. Vous me parlez de Mrs FOURCROY et CHAPTAL comme de gens auxquels je puis parler librement. Il n’est rien de tout cela. J’ai eu le bonheur d’être distingué d’eux un jour. Mais tant d’autres se sont trouvés dans le même cas qu’il y a longtemps qu’ils ne se souviennent plus de moi. Ces sortes de succès à Paris durent deux ou trois jours. […] à peine suis-je connu de tous les professeurs de l’école de médecine et vous aviez écrit cette phrase ses professeurs l’appellent à l’honorablement carrière de l’enseignement. Il me faudrait au moins trois ou 4 années de succès, pour qu’on put parler de mes cours »… Il souhaite bien que son père entre au Corps législatif, mais il craint ses « épanchements » auprès de gens qui ne le connaissent pas, et prêche la réserve dans le commerce de la vie…

─ 29 nivose XIII (19 janvier 1805).
« Un livre composé de 2 gros volumes dont je m’occupe depuis quelque temps ne m’a pas laissé le temps de vous écrire un mot. […] Vous pourrez voir dans le journal de medecine de pluviose, un petit mémoire qui contient le plan de l’ouvrage que je me propose de publier. Vous y verrez aussi que je dois me presser dans la crainte d’être prévenu »…

─ 21 février [1805].
Son frère, attaqué cet hiver d’un rhume qu’il a « fort mal gouverné », a eu « un crachement de sang très-inquiétant », et lui a écrit des lettres auxquelles il a répondu par autant de consultations… Sans nouvelles depuis 15 jours, il demande 3 ou 4 louis pour se rendre auprès de lui à Beauvais, et il le prie de tâcher d’inspirer à son frère quelque retour vers la religion de ses pères. « Ce que j’ai appris de la mort de mon oncle l’abbé, ne me rassure je vous l’avoue nullement sur l’état de notre Michaud. Mr KERJEAN medecin breton qui l’a vu dans sa dernière maladie m’a assuré qu’il est mort de phthisie pulmonaire, et lorsque cette facheuse maladie est une fois entrée dans une famille, il arrive souvent qu’elle y fasse plus d’une victime »…
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