Lot n° 149
Sélection Bibliorare

LÉGER (Fernand). Manuscrit autographe signé. [Début 1946]. 2 pp. et 3 lignes sur 3 feuillets in-folio quadrillés, quelques corrections d'une autre main au crayon.

Estimation : 8000 / 10000
Adjudication : Invendu
Description
► Extraordinaire manifeste sur la modernité, rédigée à son retour en France après cinq ans d'exil aux États-Unis.

« On vit dans l'intensité non pas jour par jour mais heure par heure. Il faut saisir l'événement nouveau juste au moment où le projecteur est dessus. L'œil doit être rapide et de bonne qualité. Pas le temps de sourciller, de battre de la paupière ou alors trop tard. L'événement a passé, un autre lui succède. Il faut pourtant arriver à "faire son choix" dans tous ces nombres qui défillent à la radio, au cinéma, dans les revues, livres, vitrines... "Le temps du choix", ça c'est callé et difficile à placer, à réserver. – Un temps de ralenti tout de même nécessaire dans cette vitesse moderne. L'œil et l'oreille sont des appareils qui vont se mécaniser, s'entretenir. Les spécialistes ont compris que c'était sérieux. Avez-vous jamais regardé avec attention ces deux organes majeurs. C'est très complicqué et il paraît qu'il n'y a pas deux oreilles semblables ! Si vous êtes un bonhomme solidement établi... fonctionnel, votre choix peut se faire instantanément. Ça c'est riche. C'est ceux-là les gagnants à cette sacrée loterie – foire d'empoigne.

Empoigne vite ce que tu as besoin. Ne flotte pas, avale et digère solidement le morceau choisi, et file en vitesse créer quelque chose bien à toi, nouveau, qui peut-être épatera le monde.

Cette histoire-là, c'est celle de la richesse incroyable de matière première qui nous entoure.

On doit puiser là-dedans, ramasser, prendre, saisir ce que notre vie moderne dégorge, lâche, gaspille tous les jours. Des éléments de beauté, d'émotion, de joie, sortes épars, apparaissent et disparaissent.

Avant notre temps actuel, un voyage, un livre, une lecture, une belle catastrophe, un coucher de soleil prenait un temps, une longueur, une largeur, une hauteur, ça avait un commencement et une fin, on s'en satisfesait. Mais attention on n'en est plus là. On en est loin.

Les objets ont soudai[ne]ment apparu dans ces grands sujets sentimentaux et descriptifs. Les fragments d'objets......

L'œil d'une mouche au fond du microscope apparaît monumentale, d'un fragment d'aile de papillon se dégage des for[m]es géométriques insoupçonnées. Nouveau Réalisme. La peinture année 1946... une grande année de départ... La poésie 46. Le cinéma, le théâtre 46. Point de départ... Année très dangereuse mais magnifique. 1789-1946. Pourquoi pas ? Ça bouge du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, dans le très chaud et dans le très froid.... Nouveau monde, un petit magasin-bazar dans une petite ville de province américaine, vous entrez, 3 vendeuses gentilles vous acc[uei]llent, une chinoise, une négrese, une blanche.
Vous pigez maintenant l'année 1946 ?... »

Texte paru avec très fortes variantes, sous le titre « L'œil du peintre », dans le n° 3 de la revue Variété – largement coupé et réécrit par un « teinturier » qui, voulant le raccourcir et en corriger la langue, l'a dénaturé.
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