Lot n° 1391
Sélection Bibliorare

MASSENET JULES (1842-1912) - 10 L.A.S. ou L.A., Paris, Pont-de-l'Arche (Eure) ou Bruxelles juillet-octobre 1893, à SA FEMME NINON (deux à son gendre Léon BESSAND) ; 35 pages in-8.

Estimation : 10000 / 15000
Adjudication : Invendu
Description
► Manuscrit complet de l'opéra La Navarraise, dans la version chant et piano, offert par Massenet à sa femme.

C'est à la demande de la cantatrice Emma Calvé que Massenet a composé La Navarraise, d'après une nouvelle de Jules Claretie qui en signe le livret avec Henri Cain. C'est la première incursion de Massenet dans l'opéra réaliste, et ce chef-d'oeuvre bref et âpre est une réussite.

La Navarraise a été créée à Londres, à Covent Garden le 20 juin 1894, par Emma Calvé dans le rôle-titre, Albert Alvarez (Araquil) et Paul Plançon (Garrido), sous la direction de Philip Flon.

L'action se déroule en Espagne, en 1874, pendant la révolte des Carlistes. Anita (la Navarraise) aime Araquil, sergent dans l'armée sous les ordres du Général Garrido. Mais le père d'Araquil, Remigio, désapprouve cette liaison à cause des origines humbles d'Anita.
Pour se constituer la dot de 2000 douros exigée par Remigio, elle décide d'aller assassiner le chef carliste Zuccaraga. Araquil, jaloux et croyant à une affaire galante, part à sa poursuite. Lorsqu'Anita vient chercher la récompense promise pour son crime, on amène Araquil gravement blessé ; il meurt en comprenant avec horreur ce qui s'est passé ; Anita, frappée de folie, meurt à son tour sur le corps de son amant.

Le manuscrit a été soigneusement noté à l'encre brune ou noire au recto seul de feuillets de papier Lard-Esnault à 20 lignes, avec généralement trois systèmes de portées par page, ou deux si les choeurs interviennent.
On relève des corrections par grattage, modifiant des tempi, corrigeant la partie vocale ou l'accompagnement.
Massenet a noté à l'encre rouge de nombreux ossia pour le rôle d'Anita, originellement écrit pour une soprano lyrique, mais qui peut être ainsi chanté par une mezzo.

Ce manuscrit a servi pour la gravure de l'édition chez Heugel en 1894.

Le titre, en tête de la page 1, a été corrigé :
«La Navarraise [drame] <épisode> lyrique en [un] actes».
La rédaction a été très rapide, du 15 au 24 novembre 1893, en Avignon, ainsi que le montrent les dates portées par Massenet sur le manuscrit : p. 1, «en Avignon. Hôtel d'Europe.

─ Mercredi 15 nov. 1893. 7 h. du matin» ;
p. 9 [fin du prélude, quand Garrido chante], «même matinée. Avignon» ;
p. 37 [air d'Anita : «Ah!.. mariez donc son coeur»...],

─ «Vend. 17 nov. /93.
Frederi Mistral vient de venir nous voir. 10 ½ matin» ; p. 64 [choeur des soldats :
«à moi! à moi! du Puchero!»...], «partis le 18 à midi ½. excursion à Nîmes & à Aigues-Mortes, retour dimanche 19 nov. soir» ;
à la fin (p. 102), sous la signature «J. Massenet», «en Avignon.

─ Vendredi 24 nov. 1893.
10 h. du matin - grand vent (mistral) toute la nuit - soleil admirable en ce moment. Nous allons à Maillane voir F. Mistral».
[La partition d'orchestre fut réalisée à Beaulieu, près de Nice ; elle est conservée à la Bibliothèque-Musée de l'Opéra de Paris.]De nombreuses didascalies sont inscrites sur la partition.
Ainsi page 2 : «Petite place pittoresque avec maisons dans un village près de Bilbao (provinces basques) - à gauche une posada servant de quartier général. Table et escabeaux sur le devant. Dans le fond, on aperçoit une barricade formée de débris de toutes sortes (voitures, sacs à terre, matelas) un canon reste à l'embrasure, deux sont démontés ; cette barricade effondrée d'un côté touche la route donnant sur la vallée qu'elle domine ; à l'horizon, les Pyrénées couvertes de neige. - Plein jour, il est six heures du soir au printemps. Des soldats, noirs de poudre, venant de la vallée, passent sans ordre, quelques-uns blessés soutenus par leurs camarades, d'autres portés mourants sur des civières. Un groupe de femmes prie en silence devant une Madone. Une veilleuse brille devant l'image sainte. - Des femmes regardent par dessus la barricade. On entend par instants des feux de peloton et des coups de canon dans le lointain. - Les femmes ont interrompu leur prière et écoutent anxieusement. (Cette scène se développe sur la symphonie descriptive de l'orchestre.)»

Page 8 : «Paraît Garrido, en tenue de campagne, les bottes boueuses, le dos noirci, suivi de son État-Major. Il roule avec colère autour de ses doigts la dragonne de son épée.»

Page 16 : «Anita s'est éloignée d'un pas tremblant, et tirant de son corsage une petite vierge de plomb, elle prie avec ferveur et agitation.»

Page 18 : «(Cette fois, les soldats entrent presque en ordre - des femmes, des paysans se pressent au bord du chemin sur lequel vont passer les soldats qui semblent venir par la route qui rampe du fond de la vallée. - Anita anxieuse est parmi les groupes)».

Page 20 : «Anita jette un grand cri en apercevant le sergent Araquil qui apparaît enfin, poussant devant lui deux ou trois soldats. La foule se disperse peu à peu.» Etc. Citons encore le feuillet 99 bis ajouté (pour modifier la mise en scène de la p. 100) :
«Araquil a roulé par terre - Anita se jette sur lui en l'appelant, puis elle saisit la tête d'Araquil entre ses deux mains, lui regarde les yeux et se redressant d'un seul bond, livide»...
Dans un souci de réalisme, Massenet a indiqué à l'encre rouge la prononciation des noms propres : Zuccaraga «prononcer : Tsouccarâga» (p. 10) ; Ramon «prononcer : Ramonn», Araquil «prononcer : Araqouil» (p. 14) ; Remigio «prononcer : Rémitgio» (p. 29) ; novillos «prononcer : nobiïos», Jota «prononcer : Rota - l'r de la gorge» (p. 33) ; etc.La coupure de l'oeuvre en deux actes intervient page 77, où Massenet a rayé les didascalies : «(vagues appels de sentinelles)» et «(La nuit plane sur ce repos)», et indiqué au crayon : «un rideau sombre et tranparent descend lentement - nuit dans la salle», avec le titre «Intermède», biffé et remplacé par «Nocturne» ; à la fin du «Nocturne» (p. 77-81), il a inscrit : «2d acte» (p. 81).

Notons encore qu'à la page 99, une collette ajoute trois mesures pendant l'agonie d'Araquil : «Pour qui sonnent ces cloches?.. est-ce pour notre amour... ou bien, est-ce pour moi?», avec un petit feuillet supplémentaire de correction pour le graveur Baudon modifiant le début de la p. 100.
Massenet a offert ce manuscrit à sa femme Ninon, et a inscrit la dédicace sur le feuillet de garde :
«à ma femme/
Voyage dans le Midi. automne 93. Avignon, Beaulieu, St Raphaël. Massenet».
L'opéra lui sera dédié.

▬ Bibliographie
L'Avant-Scène Opéra, n° 217, Massenet, Sapho, La Navarraise, avec un remarquable commentaire de Gérard Condé.Discographie Lucia Popp, Alain Vanzo, Gérard Souzay, etc., London Syphony Orchestra, Antonio de Almeida (Sony, 1975).
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