Lot n° 21
Sélection Bibliorare

Pierre BOULEZ. Manuscrit autographe, Trajectoires, [1949] ; 18 pages in-4 .....

Estimation : 2000 / 3000
Adjudication : Invendu
Description
..... (léger manque de papier au 1er feuillet sans toucher le texte, petite fente réparée au dernier). Sur Ravel, Stravinsky et Schönberg, avec une violente attaque contre René Leibowitz.

Manuscrit original d’un article publié dans la revue Contrepoint (n°6, octobre-décembre 1949), après un concert dirigé par René Leibowitz ; le manuscrit est rédigé d’une très petite écriture à l’encre bleu noir, avec de nombreuses ratures et corrections. L’article sera recueilli dans une version différente dans Relevés d’apprenti (Seuil, 1966), supprimant l’introduction où Boulez critique violemment le chef d’orchestre René Leibowitz, ainsi que le post-scriptum consacré à une « exécution exceptionnelle » du Pierrot lunaire par Marya Freund. Le manuscrit commence par le compte rendu du concert, et la virulente attaque contre René Leibowitz : « nous avons vu un personnage que je n’aurais l’extrême audace de nommer chef d’orchestre – épaule agressive, genoux flexibles, suer abondamment, sans grand résultat apparent […] On me trouvera, peut-être, facilement enclin à une exagération blasphématoire : que l’on me permette, néanmoins, de douter de la musicalité d’un “chef d’orchestre” qui laisse le piano distancer d’un bon quart-de-ton l’accord des autres instruments, qui se soucie si peu de l’équilibre sonore que l’ensemble instrumental paraît défectueux jusque dans sa conception ; que le sprechstimme n’inquiète vraisemblablement pas du tout puisqu’il a été constamment escamoté avec le bonheur que l’on suppose. Nous pourrions ajouter encore bien d’autres griefs, s’il n’existait un certain sentiment de pitié […] Mais le but de cet article n’est pas de s’appesantir sur la médiocrité insigne et permanente d’un épigone malheureux jusque dans ses tentatives-mêmes d’épigone »... Dans son étude, Boulez veut, à travers les Trois Poèmes de Mallarmé de Maurice Ravel, les Trois Poèmes de la Lyrique Japonaise d’Igor Stravinsky, et enfin le Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg, « faire le point sur cette mythologie du renouveau qui s’est cristallisée autour du Pierrot Lunaire, mythologie au vieux parfum de scandale ». Il veut aussi en profiter pour débarrasser Schönberg de sa légende « pour l’apercevoir à sa juste dimension, ex-prophète au milieu des tambours crevés et autres accessoires aussi factices dont, sans humour, on l’a entouré avec profusion »...

Étudiant attentivement chacune de ces trois œuvres, et les replaçant dans la trajectoire des compositeurs, Boulez se montre très critique, et y voit « un même sentiment d’avortement sur trois trajectoires bien différentes : œuvres impuissantes à résoudre les problèmes de cette époque – à les envisager même dans leur totalité. […] ces trois œuvres – laissant évidemment une légère marge de temps derrière elles – indiquent un zénith dans l’évolution de ces trois musiciens. Car, de trois manières différentes, ils vont pratiquer une sorte de néo-classicisme : Ravel sur les bases du langage tonal dans son acception cohérente ; Stravinsky, sur les mêmes bases, avec un arbitraire qui le forcera à la gratuité ; Schönberg, ayant découvert le langage dodécaphonique cohérent. Cela donnera respectivement : le Tombeau de Couperin, l’Octuor pour instruments à vent, la Suite pour piano opus 25. […] ces œuvres ne tirent aucun prestige de leur variable d’inutilité ; leurs défauts s’y reflètent d’une manière aussi insupportable : affèterie chez Ravel, raideur compassée chez Schönberg, mécanisme sans objet chez Stravinsky »… On joint une page de notes autographes préparatoires ; le tapuscrit de la version définitive ; et une coupure de presse de Bernard Lucas fustigeant l’article de Boulez.
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