Lot n° 182
Sélection Bibliorare

Roger PEYREFITTE (1907-2000). 72 L.A.S., 1940-1952, à son éditeur Jean Vigneau ; 150 pages formats divers, nombreuses enveloppes ou adresses (plus quelques cartes de visite et 2 télégrammes).

Estimation : 8000 / 10000
Adjudication : Invendu
Description
Importante correspondance à son premier éditeur, principalement pendant l’Occupation, sur la genèse des Amitiés particulières et la vocation littéraire de Peyrefitte, où il est très souvent question de Montherlant. Vigneau édita les cinq premiers romans de Roger Peyrefitte, dont Les Amitiés particulières (1943), qui eut un retentissement considérable, couronné par le prix Renaudot, véritable acte de naissance de sa vocation littéraire. Nous ne pouvons citer que quelques extraits de cette passionnante correspondance.. La correspondance commence en octobre 1940, alors que Peyrefitte réside chez ses parents au château d’Alet (Aude) ; c’est Montherlant qui a recommandé Peyrefitte à Jean Vigneau. Peyrefitte revient sur l’affaire de sa démission forcée de la diplomatie, parlant de « signature extorquée ». Dans une longue lettre à l’ambassadeur Louis de Robien (non transmise par Vigneau, 2 décembre), il expose longuement les faits, expliquant qu’il fut à Vichy « la victime d’un infâme guet-apens policier » ; à la suite d’une « véritable torture morale », on l’obligea à signer une déposition, puis à choisir entre la révocation et la démission, sans qu’il puisse s’expliquer ; il aimerait pouvoir rentrer dans « la Carrière »… 3 décembre : « Comme je vous l’ai dit, mes loisirs forcés sont au moins laborieux : j’écris, j’écris, – c’est un bonheur. Quelquefois, j’éprouve une certaine amertume en me disant que, je ne suis sûr d’écrire que pour moi, mais c’est toujours ça ! »… 8 avril 1941 : ses parents ont vendu la propriété familiale, et voudraient s’installer à Pau. « Mon roman tourne au chef-d’œuvre de plus en plus. Mais quel travail ! C’est à présent que je vois ce que c’est que d’écrire. Il s’agit de récrire, – de recomposer après avoir composé »… 9 avril, sur Montherlant et « l’immense affection que j’ai pour Henry, qui est plus qu’un frère pour moi, qui est un autre moi-même »… 17 avril, allusion à une affaire survenue à Montherlant à Vichy… 2 mai, Peyrefitte raconte la mort de son père. Toulouse 27 mai, sur son déménagement à Toulouse, et projet de voyage à Marseille pour lire à Vigneau les premières pages de son roman… 15 août, de retour à Toulouse après un séjour d’un mois à Paris : « L’atmosphère de notre capitale est absolument irrespirable, et j’avais hâte de me retrouver de ce côté. Il n’est guère plaisant de se promener dans des rues où sont affichés chaque jour les noms des gens que l’on a fusillés la veille ». Son roman, « maintenant dument tapé, est “en révision”. J’aurais besoin de deux ou trois mois pour le mettre absolument au point, et en faire, je crois pouvoir le dire, quelque chose de parfait. [...] Henry me semble fort déprimé »… 6 novembre : « Oserai-je le dire, que je suis de plus en plus content de la révision de mon roman ? Elle n’est pas encore bien avancée, mais enfin, un premier jet est tapé, et vous aurez de quoi lire »… 18 novembre, sur la venue prochaine de Vigneau à Toulouse : « Avec vous, revient l‘Espoir, ce qui est plus que le titre d’un roman, mais la raison de la vie. Avec vous, revient la possibilité d’une conversation, de l’échange de deux idées ; avec vous revient l’esprit. […] La révision de mon roman est avancée (page 210), mais j’ai perdu beaucoup de temps à trouver un dactylographe qui fît moins d’une faute à chaque ligne, et finalement j’ai acheté, aujourd’hui même, une machine à écrire pour le taper moi-même »... 15 avril 1942 : « je termine en ce moment la dictée – définitive (!) – de mon roman, laquelle sera achevée à la fin du mois » ; il ira le porter à Marseille. 12 mai, envoyant ses trois cahiers avec les dernières corrections : « Vous voici donc à même d’aborder le Cerbère de la Censure, espérant qu’il ne mourra pas de ce gâteau. Je continue la révision du texte, de manière à ce que nous puissions aborder ensuite l’imprimeur, vers le 1er juin, car j’attends d’ores et déjà avec impatience le résultat, si captivant, de vos démarches administratives Je n’ai pas besoin de vous rappeler cette considération, qui vous est venue de vous-même, mais qui m’a beaucoup frappé, à savoir : si le refus implique l’interdiction d’imprimer en z. o. [zone occupée] et pourrait faire risquer la saisie de ce côté. Mais à ce que me disait Montherlant, l’esprit souffle à Paris dans notre sens, et, du moins là-bas, il n’y aurait pas à craindre de difficultés »... 5 juin, s’inquiétant du silence de Vigneau : « La preuve que les nouvelles sont bonnes, ou qu’elles ne le sont pas ? Tel Goethe ou Gautier – “nec pluribus impar” –, je poursuis, dans la paix du sage, la révision de mon livre – de notre livre –, mais je brûle, par intermittence, de savoir que j’écris, non seulement pour la postérité, mais pour notre temps. Quid de Vichy ? Je sais bien que j’ai mille et une raisons de dormir sur mes deux oreilles et mes lauriers : d’abord, le fait que nous ayons choisi de tirer une édition de luxe ; ensuite, la possibilité d’imprimer à Paris ; enfin, celle d’imprimer en Suisse »... 25 juin. Il aura fini sa révision à la fin du mois : « Mille regrets pour la scène du père de T. : elle n’est pas possible, et j’y ai passé plusieurs jours vainement. Vous le voyez, je ne suis pas un jongleur : je ne peux écrire que dans le vrai – ou dans le vraisemblable, et cela serait invraisemblable (Georges ne pourrait manquer d’être aperçu dans l’antichambre par le supérieur. Tous les subterfuges que j’ai tentés m’ont laissé froid, l’un après l’autre). Au contraire, je trouve plus émouvante cette scène imaginée de loin par le jeu d’écho qui en provient, – plus émouvante aussi par le contraste entre ce que Georges se représente et cette “sûreté” de son lit, de son incognito (s’il est présent, il doit craindre, avant tout, d’être découvert). [...] Trop brutal aussi que l’auteur assiste lui-même au drame qu’il a provoqué, etc., etc. Mais il reste de vos suggestions que j’ai beaucoup creusé sa réflexion solitaire, et l’émotion que vous regrettiez de voir perdue n’est ainsi que transposée. Au demeurant, je suis très content de mon travail, encore si considérable, et l’effort me promet qu’il sera récompensé »… Paris 4 août, il redoute « quelque complication pour cet ouvrage qu’attendent la France et l’All. réunies »… Luchon 20 août : « J’écrivaille un peu, – je taquine mon prochain sujet »… Toulouse 10 septembre, après le visa officiel : « Avec quelle joie saurai-je que les presses roulent enfin sur mon manuscrit ! Jusque-là, je serai incapable de toute affabulation nouvelle ». Il interroge Vigneau sur la date de parution, le tirage, les livres de Montherlant… Barante 19 septembre, sur son séjour au château de Barante, et ses démarches à Vichy pour sa réintégration. 9 octobre, il se réjouit de sa prochaine réintégration dans la diplomatie, et surtout d’avoir trouvé son nouveau roman : « En toute vérité, je croyais avoir tout mis de moi dans Les Amitiés, et je suis satisfait de voir que j’aie encore tant à dire »… Toulouse Noël, hésitations sur le choix du nouveau titre : Le Démon du matin ou Une année de collège ou Les enfants des hommes… 7 janvier 1943 : « Je suis heureux d’apprendre que le texte des Amitiés est enfin sur le chantier » ; il a des passages à revoir sur les épreuves… 18 janvier, sur l’avancement du roman Mademoiselle de Murville. 15 février, expliquant qu’il doit reprendre entièrement son roman sur les épreuves… 3 mars, il faut adresser un jeu d’épreuves à Montherlant qui va les revoir aussi les épreuves ; il explique longuement sa volonté irrévocable de changer le titre : « il n’y aura pas, il ne peut y avoir d’Amitiés Particulières » ; il propose Les enfants et les dieux… 14 avril, rapportant le jugement de Montherlant sur Les Amitiés particulières… 27 avril, il vient de terminer les corrections, s’inquiète de la censure, puis parle de Montherlant et de son Port-Royal… 2 mai, sur la correction des épreuves, dont il faut prévoir une troisième série… Etc. Des lettres plus tardives sont écrites de Naples en 1949 et de Taormina en 1950 et 1952. On joint le double d’une lettre Jean Vigneau à Etienne Gril, de la Société des gens de Lettres, 3 octobre 1942, le consultant sur la signature du contrat avec Peyrefitte, « écrivain de grand talent et de grand avenir »…
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