Lot n° 37
Sélection Bibliorare

SAND George (Aurore Dupin, baronne Dudevant, dite) [Paris, 1804 - Nohant, 1876], romancière française. Manuscrit autographe signé.

Estimation : 10 000 / 15 000 €
Adjudication : Invendu
Description
Manuscrit autographe signé. « Feuilleton n°10 — Tamaris, mai 1861 - À Rollinat » ; 41 pages in-8°, numérotées 131 à 172.

Au mois d’octobre 1860, au cours d’une paisible promenade dans le jardin de sa propriété de Nohant, elle est prise d’un sérieux malaise et s’effondre. Appelé d’urgence, son médecin, le Docteur Vergne l’examine pendant plusieurs jours. Son état de fébrilité est si grand qu’elle délire dangereusement. “Accès de fièvres typhoïdes” a conclu le praticien. Grâce à la résistance de son organisme, George Sand reprend peu à peu de sa vigueur mais est tenue à une convalescence prolongée. Son médecin lui conseille alors un changement radical de climat et désigne le Midi en priorité. Ce sera Tamaris. En mai 1861, dans un journal intime parallèle à son journal-agenda, elle écrit ce texte dédié à Rollinat, évoquant ses rêves.

« Depuis que je me porte mieux et que mes forces reviennent, je vois un pays admirable et je recouvre l’immense faculté que j’avais de le voir plus beau encore après l’avoir regardé. Voilà mon fils parti pour l’Afrique, Monceau est tout entier à son travail de graveur. Je vis depuis ces derniers jours à peu près seul, faisant ma tâche d’écriture à la maison, et de la botanique dans mes promenades de six ou huit heures. Comme on vit par les yeux dans cette région de petites montagnes qui s’avancent sur la mer ! L’oeil se remplit de splendeurs, de clartés éblouissantes tempérées par des ombres suaves; tout cela pénètre dans l’âme et la guérit de cette sorte d’aveuglement douloureux qui est le résultat de l’affaiblissement physique. Aussitôt qu’elle peut réagir, la faiblesse du corps diminue rapidement. Mais pourquoi donc ce besoin que j’éprouve d’embellir le soir dans mon souvenir ce que j’ai admiré tantôt c’est peut être le besoin de réagir contre l’exactitude à laquelle me condamne le travail de narrateur. Je prends des notes intérieures d’une fidélité scrupuleuse et je sais que sur ce point, ma mémoire ne me trompera pas. […] Je jouis de ce que je vois, pour mon propre compte. Je le savoure en gourmand, je suis assouvi, je suis heureuse. Je reviens, je me rentre, comme on dit ici, je dîne, comme un oiseau, je bois comme une sauterelle car l’estomac ne va pas encore, et me voilà ivre ! Tout ce que j’ai vu grand m’apparaît immense […]. Je suis en ce moment la proie enivrée, de la passion de voir. Dans le sommeil c’est encore plus prononcé, je vois de véritables aberrations dans la nature et j’y prends part avec une démence analogue. Par exemple la nuit dernière, j’ai rêvé des aventures où j’acceptais comme naturelles les fantaisies du milieu que je traversais gaiement. D’abord j’étais dans l’Inde avec toi, Maurice marchait devant nous, faisant la chasse aux papillons avec Jean, notre domestique. Nous traversions un admirable bois de cyprès dont les branches pendaient sur nous. Était-ce bien des cyprès ? Tu les traitais d’araucarias mais ce n’était ni l’un ni l’autre. Tout d’un coup, je remarquai que certaines branches avaient à leur extrémité, des ramifications singulières et que ces ramifications terminées par un fruit de la grosseur d’une noix rappelaient confusément la forme humaine. À mesure que je regardais, cette forme semblait se mieux dessiner, suivant le degré de maturité du fruit. Tu te moquais de moi. Tu vois tout ce que tu veux voir, me disais tu; tu vas bientôt croire aux homuncules végétaux — ma foi, répondis-je en cueillant une de ces extrémités de branches, j’y crois tellement que j’en suis sûre, voilà un homuncule parfait ! J’entends encore ton exclamation de surprise car tu verrais se détacher d’une autre branche un homuncule parfaitement vivant. Le mien n’était pas mûr...»
Partager