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Lot n° 1
Sélection Bibliorare

Sophie ARNOULD (1744-1803) cantatrice, interprète de Gluck dont elle créa l’Eurydice et Iphigénie en Aulide. 6 L.A.S., du « Paraclet Sophie » à Luzarches juin- novembre 1800, à Madame de LA GRANGE ; 15 pages in-8 et 8 pages in-4, une adresse.

Estimation : 2000 / 2500
Adjudication : Invendu
Description
TRES BELLE ET INTERESSANTE CORRESPONDANCE AMICALE ET SENTIMENTALE À SA CHERE AMIE MADAME DE LA GRANGE, qui habite le « Palais National des Sciences et des Arts » [Renée Françoise Adélaïde Lemonnier (1767-1833) fille de l’astronome Pierre-Charles Lemonnier, et femme du mathématicien Joseph-Louis Lagrange (1736-1813)]. 15 prairial VIII (1er juin 1800). Elle se désole d’être à la campagne, si loin d’elle : malgré ses bouderies, « je m’ennuie fort de votre absence » ; et elle exprime sa colère contre « cette figure à Callot, de Me M. qui a pris ma place auprès de vous, pour vous aimer moins que je ne vous aime, assurément ! » La campagne, « c’est bien beau, mais ce n’est pas ma voisine, ce n’est pas ma belle amie » : elle souffre de son absence, mais l’embrasse « aussi tendrement que je vous aime. [...] P.S. Dites à notre Orphée [...] que je luy cherche des parolles dignes de la jolie musique qu’il scait si bien composer », etc... 4 messidor (23 juin). De retour dans sa solitude, « j’attendrai le bonheur de vous plaire, en jouissant toujours du plaisir de vous aimer ». Elle fait allusion à « cet incroyable génie de BONNAPARTE », qui essaie de remédier au désordre global, qui touche même la nature, puisqu’il fait mauvais et que les saisons paraissent « aussy dérangées que la politique ». Elle s’excuse de lui parler si longuement de la pluie et du beau temps, mais elle n’a pas grand-chose à dire, et ne sait de nouvelles que celles des gazettes « dans lesquelles je n’ai pas grande confiance, grande foy » : elle y lit de grandes victoires, mais qui ne la rassurent pas sur l’avenir : « que de tourments nous éprouvons depuis dix ans ! [...] que nous sommes heureux au milieux d’un tel caho, d’avoir un Bonnaparte [...] celuy la est mon dieu », qui lui prouve que ce siècle est celui des prodiges... Elle demande des nouvelles de son père, de « notre aimable philosophe », lui envoie une chanson, « des parolles assez jolies je crois pour mériter d’estre mises en musique par notre Orphée », etc. 1er fructidor (19 août). Elle a enfin reçu son billet, qu’elle trouve bien court, mais qui lui prouve qu’elle n’oublie pas tout à fait sa Sophie : « je vous aime bien, je vous aime mieux que bien ; car j’ay pour vous la tendresse d’une mère, eh ! j’espérois remplacer dans votre cœur, celle qui n’est plus aujourd’hui que l’objet de vos regrets – je trouvois moy, à remplacer aussy la perte d’une fille aimable, et chérie, qui n’est plus, également : voyez, ma sensible amie, que de convenances nous rapprochoient ». Elle veut oublier ce nuage sur leur amitié, et elle est tant dans son cœur qu’elle l’exhorte : « Allons, ma tendre et chère amie [...] rendons nous l’une à l’autre », et que tout rentre dans l’ordre... Elle a renoncé aux « petits bonheurs de ce bas monde [...] printems, plaisirs, amours, tout est passé pour moy » ; même si elle espère encore quelques moments de bonheur. « Mais ! je me garderois bien dans sonner mot à ses vilains hommes qui rendroient ma vie aussy malheureuse quils onts fait par le passés, où ils m’ont fait endurer des maux plus affreux que la mort »... Elle se montre jalouse : « comment gouvernez-vous notre voisin, le philosophe, NAIGEON, qui a si bien jetté aux orties le frac de la philosophie pour vous, ma spirituelle et belle amie, il n’est pas dégoutté, notre sçavant » ! Elle exprime ensuite tous les reproches qu’elle fait à Naigeon, etc. 5e complémentaire (22 septembre). Cela fait près d’un mois qu’elle est malade et qu’elle doit garder le lit, faiblesse qu’elle a surmontée pour lire sa lettre si attendue, qui à son grand étonnement ne contenait que des reproches qu’elle ne méritait pas : « Non mon amie, ma gaytée, celle de mon esprit, de mon caractère, comme vous voudrez, ne m’a jamais entrainée à sacrifier mes amis »... Elle la met en garde contre les canailles qui l’entourent, et lui reproche d’être beaucoup trop confiante, etc. 28 vendémiaire IX (19 novembre). Sa gentille lettre la rassure sur sa santé, et calme les inquiétudes de son cœur « sur les sentiments d’amitié que j’ay droit d’attendre de vous quoy qu’en aient pu dire les sots et les méchants ». Sa santé est bonne, « à quelques chiffonnages près, mais qui tiennent plus au moral, à l’état de notre âme, qu’au phisique. Car il n’y a courage qui tienne, contre l’état de splendeur dans lequel jestois, à celuy de gêsne où je me vois réduitte, et à quel âge encore... Si mes cheveux estoient blanc, passe ! mais ils ne sont encore que comme le cheval de bataille du Grand Turenne, ce qui n’est du tout ny intéressant, ny beau. Joignez à cela l’horreur d’estre pauvre comme un rat d’église : ma foy, c’est joliment finir une aussy belle vie »... Elle demande si elle a pu assister à la belle fête des Honneurs que « le brave, le sensible, le spirituel BOUONAPARTE a fait rendre au temple de Mars – et le Grand Turenne : l’on dit que cela estoit superbe »... 1er frimaire (22 novembre). Elle rend grâce à son amie pour sa lettre, car « c’est toujours une grande joie pour mon cœur que de me croire aimée de vous. Vous voilà donc aussi éloignée de Paris ». Tant mieux, car Paris, « autres fois tant aimable est bien peu regrettable aujourdhuy », à cause de tout ce qui s’y passe, de ce qui s’y dit, de ce qu’on voit : « Je ne sçais pas si la race future sera charmée de notre histoire ! Quand à moi, elle ne me charme guèrre », mais elle s’y résigne, « de sorte que me voilà devenue philosophe, comme Sganarelle est devenu médecin. [...] Je ne suis pas aussi heureuse que j’en désirerois l’estre ! Mais ! à mon âge ! et dans ma position ! tout ce que l’on peut désirer c’est éviter les malheurs ». Elle se contente de peu et cela lui suffit, bien qu’elle se plaigne d’être tous les jours harcelée par des policiers qui lui réclament des impôts à payer sur les années passées... Etc.
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