LETTRES ET MANUSCRITS AUTOGRAPHES Lundi 16 juin 2025
EXPERTS Thierry BODIN Syndicat Français des Experts Professionnels en Œuvres d’Art Les Autographes 45, rue de l’Abbé Grégoire - 75006 Paris lesautographes@wanadoo.fr Tél. : 01 45 48 25 31 Pascal de Sadeleer Membre de la Clam, Belgique Expert des dessins, estampes, livres et photographies de la collection CVL Librairie Pascal de Sadeleer 65 av. Milcamps, 1030 Bruxelles pascal.desadeleer@skynet.be Tél. : +32 (0)475 49 80 30 a décrit les lots 33 à 44, 46 à 56, 58 à 62, 64 à 66, 68, 69, 71 à 77, 79 à 81, 86 à 99, 103 à 106, 108 à 114. Abréviations : L.A.S. ou P.A.S. : lettre ou pièce autographe signée L.S. ou P.S. : lettre ou pièce signée (texte d’une autre main ou dactylographié) L.A. ou P.A. : lettre ou pièce autographe non signée
Catalogue visible sur www.ader-paris.fr Enchérissez en direct sur www.drouotlive.com et interencheres.com LETTRES ET MANUSCRITS AUTOGRAPHES vente aux enChères publiQues Salle des ventes Favart 3, rue Favart 75002 Paris Lundi 16 juin 2025 à 14 h exposition privée CheZ l'expert Uniquement sur rendez-vous exposition publiQue Salle des ventes Favart 3, rue Favart 75002 Paris Vendredi 13 juin de 10 h à 18 h Samedi 14 juin de 10 h à 18 h Lundi 16 juin de 11 h à 12 h Téléphone pendant l’exposition: 01 53 40 77 10 En 1re de couverture est reproduit le lot 89. En 4e de couverture est reproduit le lot 25.
Lot 115
David NORDMANN Xavier DOMINIQUE Commissaires-priseurs Thierry BODIN lesautographes@wanadoo.fr Tél. : 01 45 48 25 31 Pascal de SADELEER pascal.desadeleer@skynet.be Tél. : +32 (0)475 49 80 30 Experts Responsables de la vente Marc GUYOT Responsable du département des lettres et manuscrits autographes marc.guyot@ader-paris.fr Tél. 01 78 91 10 11 Ekaterina GORSHKOVA Ordres d'achat egorshkova@ader-paris.fr Tél. 01 87 44 47 74
Lot 46
5 1. Henri ALAIN-FOURNIER (1886-1914). L.A.S., 4 novembre 1910, [à Charles DUMAS] ; 1 page et demie in-8 sur papier vergé. 1 000 / 1 500 € Il signale sa note du « Courrier des Théâtres » dans Paris-Journal, « intitulée l’envoi de Rome de M. Dumas » [frère de Charles, le compositeur Louis Dumas (1877-1952), qui avait remporté le grand Prix de Rome en 1906, et avait envoyé en 1910 un conte lyrique, Le Médecin de Salerne]. Il ajoute : « Un P.S. que j’avais consacré à votre comédie en un acte s’est trouvé coupé. Avertissez-moi dès que vous la présenterez quelque part et nous lui consacrerons une note plus importante ». Il le prie de s’intéresser à la situation de Mme Sempastous. Il donne son adresse « 2, rue Cassini ». [Un même sort a lié les deux hommes, morts pour la France en 1914 : Alain-Fournier le 22 septembre, et Charles Dumas le 31 octobre. Le poète Charles Dumas (1881-1914) avait obtenu le prix Sully-Prudhomme en 1903 pour son premier recueil, L’Eau souterraine. Sa comédie en un acte et en vers, dont parle Alain-Fournier, Marceline, a été jouée à l’Odéon.]
6 2. Léon BAKST (1866-1924). Dessin original, signé et daté en bas à gauche « BAKST 1910 » ; graphite et aquarelle, avec rehauts dorés, sur papier vergé (35,5 x 21,3 cm à vue, encadré). 2 500 / 3 000 € Maquette de costume pour les Ballets Russes. Le dernier chiffre de la date, difficilement lisible à cause des vergetures du papier, semble bien être 1910. Cette belle maquette de costume, très achevée, pourrait donc se rattacher au ballet Schéhérazade, probablement pour une des trois Odalisques. La femme, légèrement assise, et tournée vers la gauche, est vêtue d’un voile léger très transparent qui laisse voir son corps et ses seins. Elle est parée de riches bijoux et tient une statuette au bout de son bras gauche levé. Sur la musique de Rimski-Korsakov, dans une chorégraphie de Michel Fokine, des décors et costumes de Léon Bakst, Schéhérazade fut créée le 4 juin 1910 à l’Opéra de Paris, avec Ida Rubinstein et Nijinsky dans les principaux rôles. Provenance : ancienne collection Richard MACNUTT.
7 3. Charles BAUDELAIRE (1821-1867). MAnUScrit autographe, [Le Calumet de paix] ; in Henry Wadsworth LONGFELLOW, The Song of Hiawatha (Boston, Ticknor and Fields, 1855) ; in-12, cartonnage d’éditeur percaline brune estampée. 4 000 / 5 000 € Édition originale en 2e tirage du Song of Hiawatha, utilisée par Baudelaire. La traduction du poème de Henry W. longFelloW (1807-1882), The Song of Hiawatha, a été commandée à Baudelaire en 1860 par le compositeur américain Robert STOEPEL. Robert STOEPEL (Berlin 1821-New York 1887), compositeur américain d’origine berlinoise, chef d’orchestre du Wallack’s Theatre, avait composé une « symphonie indienne » avec chœur, solistes et récitant, The Song of Hiawatha d’après le poème de Longfellow, créée à Boston le 21 février 1859, avec sa femme Matilda Heron comme récitante. Matilda HERON (1830-1877), actrice américaine d’origine irlandaise, était devenue célèbre pour son interprétation de Camille (1857), sa propre adaptation de La Dame aux camélias. Le 24 décembre 1857, elle avait épousé Robert Stoepel, dont elle se sépara en 1869. La partition de Stoepel, Hiawatha, Indian Legend fut publiée à New York en 1863 (William Hall and Son). .../... Stoepel espérait faire jouer cette œuvre en France, et demanda à Baudelaire une version française, pour laquelle le poète espérait toucher 1 500 francs, dont une partie seulement lui fut payée. Baudelaire composa d’abord les poèmes Le Calumet de paix et L’Enfance d’Hiawatha, puis il élabora une version « en prose poétique» de Hiawatha, légende indienne. Le Calumet de paix fut publié dans la Revue contemporaine du 28 février 1861, avant d’être recueilli dans l’édition de 1868 des Fleurs du Mal. Robert Stoepel a remis à Baudelaire ce volume du Song of Hiawatha pour effectuer son travail. L’ouvrage a été annoté au crayon par Stoepel, afin de faciliter le travail du traducteur. Au verso du faux-titre, il a dressé la liste des 16 morceaux ; au fil des pages, il a biffé d’un trait de crayon les passages qu’il n’avait pas retenus, et marqué, avec quelques annotations, les passages à traduire. En bas de la page 296, Matilda Heron a noté : « Don’t leave out a word of this. It is exquisite ! Heron ».
8 Sur le feuillet de garde en tête du volume, Baudelaire a noté à l’encre : « écrire à Jeanne / à Camille Doucet / à Simon Raçon / à Fouques / à Laguéronnière » ; et, un peu en dessous : « Hiawatha / V. Hugo / Peintres » ; il a ensuite biffé au crayon tous ces noms (le crayon a été depuis effacé). Baudelaire a rédigé, au crayon, sur la dernière garde du volume, dix vers du Calumet de paix, correspondant aux 14 premiers vers de la page 16, marqués en tête par Stoepel «Song». Ce sont les vers 61-70 du Calumet de paix, avec de légères variantes : « Ô ma postérité, déplorable et chérie, [O mes enfants biffé] Ô mes fils ! écoutez la divine raison ; C’est Gitche manito, le maître de la vie, Qui vous parle, celui qui dans votre patrie A mis l’ours, le castor, le renne et le bison. Je vous ai fait la pêche et la chasse faciles. Pourquoi donc le chasseur se fait-il assassin ? Le marais fut par moi peuplé de volatiles ; Pourquoi n’êtes-vous pas contents, fils indociles ? Pourquoi chacun fait-il la chasse à son voisin ? » .../...
9 [Des tensions survinrent entre le musicien et le poète, qui décida de ne pas signer le livret : « M. R. Stoepel m’ayant imposé des difficultés insurmontables, comme, d’abord, de réduire en trois cents vers français une matière de huit cents vers anglais, en supprimant tous les signes héroïques et homériques, pour ainsi dire, de l’original, – ensuite, de traduire en prose poétique le même canevas, privé de tous les avantages, – M. Stoepel trouvera naturel que j’exige que mon nom ne figure pas sur le livret malgré tout le soin que j’ai mis à le faire ». Stoepel partit brusquement pour Londres, où il fit jouer son Hiawatha à Covent Garden, les 11, 13 et 15 février 1861 ; Baudelaire tenta en vain de se faire payer les 400 francs que Stoepel restait lui devoir, et il s’adressa à l’avoué Hippolyte Marin, à qui il remit, comme pièces à conviction, cet ouvrage et ses manuscrits.] Provenance – Robert Stoepel. – Charles Baudelaire. – Hippolyte Marin. Bibliographie : – William T. Bandy, Claude Pichois, « Un inédit : Hiawatha. Légende indienne, adaptation de Charles Baudelaire », in Études baudelairiennes, II, 1971, p. 7-68. – Michael V. Pisani, « Longfellow, Robert Stoepel, and an Early Musical Setting of Hiawatha (1859) », in American Music, vol. 16 (Spring 1998, p. 45-86). – Baudelaire, Œuvres complètes (éd. Pichois), Pléiade, t. I, p. 1279-1281 ; Œuvres complètes (éd. Guyaux-Schellino), Pléiade, t. II, p. 12331235.
10 4. Hector BERLIOZ (1803-1869). L.A.S. « H. B. », [Paris vers le 10-15 octobre 1849], à sa sœur Nanci PAL ; 2 pages in-8. 1 500 / 1 800 € Lettre pathétique sur une nouvelle attaque de sa femme. Il s’inquiète du silence de sa « chère sœur ». Est-elle de nouveau souffrante ? Il a renvoyé depuis longtemps « une autorisation de vendre je ne sais plus quoi »… Puis il parle de son fils Louis, et d’une nouvelle attaque de sa femme (l’actrice Harriet Smithson) : « Je viens de reconduire Louis à Rouen, après une nouvelle allarme, causée par une cinquième attaque d’apoplexie survenue à Henriette. La saignée pratiquée à temps l’a sauvée encore une fois ; mais il en est résulté pour elle un embarras de la parole plus grand que jamais. Il n’y a presque plus moyen de la comprendre. Nous avons passé à cette occasion deux heures terribles, Louis et moi, courant avec anxiété dans toutes les rues du quartier voisin de Montmartre sans pouvoir trouver un médecin. La pauvre femme était pendant ce temps sans connaissance et plus semblable à une morte qu’à un être vivant. Enfin, enfin, son médecin étant rentré, est accouru et la saignée a pu encore produire son effet. Il faut qu’Henriette ait une constitution de fer pour avoir résisté à de pareils assauts »… Correspondance générale, t. III, n° 1283. Provenance : ancienne collection Richard MACNUTT.
11 5. Hector BERLIOZ (1803-1869). L.A.S., Paris 6 décembre [1855], à Théodore RITTER ; 4 pages in-8 (légères fentes aux plis). 1 800 / 2 000 € Importante lettre au sujet des réductions pour piano de ses œuvres. [Le pianiste Théodore Ritter (1840-1886) a réalisé les réductions pour piano de La Damnation de Faust, L’Enfance du Christ et Roméo et Juliette.] « Je suis furieux contre vous, mais furieux ! figurez vous qu’en parcourant l’Adagio de Romeo que vous avez réduit à la misère du Piano, j’y ai découvert quatre abominables fautes, grâce auxquelles on peut et on doit m’attribuer de stupides harmonies !... Page 5 — 4me et 5me mesures, vous avez eu l’idée ingénieuse de mettre quatre fois ré # à la main droite ! ! ! ! ! et il faut quatre fois ré naturel. Où diable avez-vous pris cette invention ? »... Et il donne la citation musicale des cors en ré… « Peut-être que dans la musique de l’avenir cette note-là fera ré #, à cause de la tendance ascendante de l’art. Mais à cette heure, de par tous les cinq cents mille diables !... non, je ne veux pas jurer, je ne jurerai pas ; mais, tonnerre de Dieu ! peut-on ainsi trahir ses amis ? »... Il est allé chez Brandus corriger les exemplaires restants, « et faire corriger les planches. La peste soit des arrangeurs, l’un m’attribue une bêtise, l’autre une autre ! et vous, dans cette même page, m’aviez déjà attribué trois quintes diatoniques de suite à la main gauche ; les # de la main droite y ont été mis sans doute pour faire compensation ». .../...
12 Il indique avoir procédé au paiement « des chœurs et de l’orchestre » [pour ses concerts du Palais de l’Industrie avec sa cantate L’Impériale] : « Ils ont amené des scènes de tumulte incroyables et de la dernière indécence. Il a fallu recourir ce matin à l’autorité de cinq sergents de ville pour maintenir l’ordre. [Suivent 5 lignes soigneusement biffées.] Enfin nous voilà dehors de ce guêpier ; Rocquemont est furieux, […] et M. Momigny, le caissier de M. Ber, s’étonne de trouver de pareilles gens parmi les artistes. Moi qui sais qu’il y a de malhonnêtes gens partout et que les artistes sont excessivement rares, je ne m’étonne presque pas ». Il s’inquiète avec humour de n’avoir aucune nouvelle du concert de Nancy : « Paris entier, à cette heure, grouille d’attente et d’anxiété. Je ne vous dirai pas le nombre des gens qui s’abordent dans les rues, depuis la place Bréda jusqu’au jardin des Plantes, […] le Télégraphe électrique est muet.... l’Empereur n’en dort pas »… Il ajoute: «Ha! et dans le morceau de Faust où vous avez oublié de marquer le mouvement au début de la Valse ! »... Il ajoute un P.S. en tête de la lettre, pour recommander à Ritter de ne pas aller voir Marschner, « et d’accabler d’amitiés, au contraire, Joachim s’il est à Hanovre, et le jeune Müller (le fils de Charles) qui fait partie de la Chapelle Royale, et Mr Rose le 1er Hautbois qui joue du cor anglais comme un archange »... Correspondance générale, t. V, n° 2059. .../...
13 6. Hector BERLIOZ (1803-1869). L.A.S., Samedi matin [24 mai 1856, à Théodore RITTER et Toussaint BENNET] ; 3 pages in-12 (petit deuil). 1 000 / 1 200 € Amusante lettre inédite, écrite au lendemain de la lettre du 23 mai [Correspondance, t. V, n° 2130]. «À présent que vous vous êtes bien moqué de moi (tous les deux) au sujet de mes participes passés, sachez que je sais très bien qu’il ne faut pas dire vous l’avez entendu (en parlant d’une ouverture) mais vous l’avez entendue. J’avais la tête si à l’envers que je battais la campagne. Et tout cela par ce que je croyais avoir fait une faute grossière dans mon poëme [le livret des Troyens] ; faute qui (toutes informations prises) n’existait pas. Me voilà redevenu raisonnable ». Puis il parle du concert donné le 23 mai au Théâtre Italien par le corniste Eugène Vivier : « Le concert de Vivier a eu lieu avec sept ou huit mille francs de recette ; Melle Cruvelli n’a pas chanté, Gueymar n’a pas chanté. Le public s’est beaucoup fâché quand on lui a annoncé ces deux manquements et Vivier a pu dire comme l’homme de Boileau: Nous n’avons ni Lambert ni Molière Mais puisque je vous ai, je me tiens trop content »… On joint un billet autographe signé à Théodore Ritter, [vers le 25 août 1857] (1 p. in-12, adresse) : « Mon cher Théodore Venez donc un moment avec votre partition de Roméo. J’ai découvert une brioche dans l’arrangement du Scherzo»… (Correspondance générale, t. VIII, p. 455).
14 7. Hector BERLIOZ (1803-1869). Photographie avec dédicace autographe signée, 1863 ; tirage sur papier albuminé 25,5 x 19 cm, monté sur carte (32 x 23,5 cm à vue), encadré. 5 000 / 7 000 € Très belle photographie de Berlioz par Pierre Lanith dit Petit Petit (1831-1909), signée en bas à gauche en rouge par le photographe « Pierre Petit » ; timbre sec en bas au centre Photographie des Deux Mondes. Berlioz est de face, assis, la tête penchée appuyée sur sa main, le bras accoudé sur le dossier du siège. Au bas, sur le carton, dédicace à l’éditeur musical Antoine de Choudens (1825-1888): «à Mr Choudens souvenir affectueux H. Berlioz 4 août 1863 ». Cette même année 1863, Choudens publie la partition des Troyens de Berlioz. Provenance : ancienne collection Richard MACNUTT.
15 * * * * Eugène BOUDIN (1824-1898) Lettres à son ami Ferdinand MARTIN Né au Havre le 4 juin 1823, Antoine-Ferdinand MARTIN (1823-1892) négociant havrais en toiles, collectionneur et ami de jeunesse de Boudin, est mort au Havre le 20 juin 1892. Après sa mort, Boudin resta en relation avec sa veuve, née (1830) Désirée Hélène Langlois (épousée en 1856), et le neveu de Mme Langlois, Charles Lavaud (1856-1932). 8. Eugène BOUDIN. L.A.S., Etaples 8 juillet 1890, à Ferdinand MARTIN ; 3 pages in-8 (petit deuil ; lég. rousseurs). 800 / 1 000 € Sur son travail à Etaples. Il est encore en voyage. « Et quel voyage ! Jamais je n’ai trouvé plus de déceptions du côté du temps... du vent de la pluie du froid... quel mois d’été. Vingt fois j’ai été sur le point de retourner à Paris. Et puis on voit un petit sourire du ciel : l’on se met à espérer du temps meilleur et ça ne vient jamais... Le plus clair de tout cela c’est qu’on est perclus de douleurs et que depuis huit jours je me traîne avec des rhumatismes dans le dos, dans le cœur et que je peux à peine travailler dans les intermittences de pluie. Je t’assure que ce n’est pas drôle d’exercer son métier dans ces conditions ; n’était l’entêtement et le désir bien naturel de faire un peu de besogne, j’aurais lâché tout... Mais quoi, à Deauville est-ce que je n’aurais pas retrouvé ce même temps ? Enfin hier, le soleil a reparu avec la chaleur ; la seule journée de beau temps que l’on ait eu depuis un mois... Aujourd’hui ça veut continuer et je vais en profiter pour faire en hâte quelques esquisses car j’ai le plus grand désir d’aller me reposer dans ma petite case et de m’y réchauffer les os. Et moi qui suis parti avec le désir de faire mieux que chaque année afin de m’éviter le long et fatiguant travail de l’hiver, je ne rapporterai que des pochades... et encore ». Il a fait envoyer à l’exposition du Havre « trois tableaux provenant du Salon – les autres ont été achetés »... Il pensait aller à Dunkerque, « mais la femme de notre ami Braquaval est tombée gravement malade et je ne referai pas la maison qui t’a séduit à l’Exposition et que j’ai vendue... Elle m’a été demandée neuf fois »…
16 9. Eugène BOUDIN. L.A.S., 16 mars 1891, à Ferdinand MARTIN ; 6 pages in-8 (le dernier feuillet sur le f. blanc d’un prospectus impr. de Durand-Ruel). 1 000 / 1 200 € Préparation de son exposition chez Durand-Ruel. Le temps passe vite. « Faut-il s’en plaindre ? Je n’en sais rien, mais ce travail sans trêve où un tableau succède à un autre sur le chevallet... cette tension du cerveau vers un but, cette application constante qui vous use sans secousses vous font oublier les jours, les heures les minutes.... Autrefois j’avais encore des moments de répit... je me reposais faute d’entrain de verve […] à présent la machine va son train et tourne sans relâche... comme c’est bête cette vie de labeur qui nous prend à un âge où l’on aurait quelque besoin de repos de répit ... Et dire que nous sommes tous ainsi pauvres vieux ouvriers du pinceau et de la plume... Nous mourons l’outil en main c’est peut-être heureux... Cela nous empêche de sentir la vieillesse qui vient ou plutôt qui est venue... on se fait encore illusion sur ses ans lorsque la main est alerte et le cerveau obéissant […] Je m’accommode de la vie comme je l’ai, plus préoccupé de cette peinture que d’autre chose ! ! comme mon labeur est incessant, je laisse aller les choses de la vie comme ça peut aller, me renfermant dans mon idéal de travail Cependant je n’ai pas trop à me plaindre et, lorsque la santé est à peu près bonne, comme en ce moment, je supporte assez allègrement le poids un peu lourd des années. Mais que d’efforts on est tenu de faire pour se rajeunir et prouver à cette jeunesse présomptueuse qu’on est encore bon à quelque chose! Outre mes commandes ordinaires j’ai dû tout récemment fournir, à Durand-Ruel, l’appoint d’une nouvelle exposition qui a lieu en ce moment […] J’ai sorti un amas de vieux dessins.. puis des toiles ! on me fait de beaux articles – tout cela ne me touche plus guère je t’assure, mais je travaille avec plus de courage que jamais sentant bien que je serai forcé quelque jour de m’arrêter dans cette production trop hâtive ou trop hâtée »… Il doit donner un « nouveau coup de collier » pour le Salon… Il a souffert du poêle « durant cet hiver si rigoureux mais depuis le retour du beau temps je travaille sans faire du feu et j’en éprouve quelque soulagement ».... Il évoque la mort de Jongkind : « encore un du bâtiment qui s’en va ! ça s’éclaircit joliment nos rangs ! » Il a vendu un tableau à l’exposition de Bordeaux… La dernière partie de la lettre est écrite au dos d’une invitation imprimée pour l’exposition Eugène Boudin chez Durand-Ruel, du 9 au 17 mars.
10 11 17 10. Eugène BOUDIN. L.A.S., Paris 10 juin 1891, à Ferdinand MARTIN ; 3 pages in-8 (papier fragile, lég. fentes marginales). 800 / 1 000 € Il est « estinqué, éreinté [...] Jamais je ne me suis vu sollicité tourmenté, et poussé comme je le suis ou plutôt comme je l’ai été récemment. Tous en veulent du Bn [Boudin] – c’est une rage... je ne m’en plains pas mais patraque comme je suis ça me brise de trop travailler... et je suis une drôle de machine, quand je suis monté il faut que j’opère malgré la fatigue »… Il évoque « les folies qu’on a faites sur les tableaux Roederer [5 juin 1891, vente de la collection de Jules Roederer, du Havre]. J’ai vu à la vente Van der Velde mais je suppose qu’il a dû s’abstenir et pour cause »... Il partira pour le Nord. « Ce qui m’afflige c’est de regarder avec peine notre Deauville qu’il faudra se résoudre à abandonner une partie de l’été et même à l’automne, si je veux faire une partie de mes commandes »... 11. Eugène BOUDIN. L.A.S., 19 juin 1891, à Ferdinand MARTIN ; 2 pages et demie in-8 à l’encre bleue. 800 / 1 000 € Avant son départ pour Deauville. Il fait ses bagages pour partir à Deauville. Il espère que son ami est rétabli et a repris des forces. Quant à lui, son voyage dans le nord a été «à peu près nul. Malade, atteint d’un mal de reins et d’une grande faiblesse pour la marche, je me suis trouvé à peu près incapable de travailler et pour la première fois depuis des années je suis revenu bredouille. Il est vrai que le froid avait succédé à la chaleur. Il faisait un vent d’ouest si violent qu’il ne fallait pas songer à ouvrir sa boîte et planter son chevallet. Je me suis décidé à revenir et me voilà, d’ici deux ou trois jours mettant le cap sur Deauville ». Il ne se remet pas de son rhumatisme : « C’est pas gai de vieillir et de sentir son être s’affaiblir, ses jambes refuser le service et l’esprit »… Un journaliste, à propos du Salon, « prétend que je produits trop et que je ne travaille qu’en vue de l’argent ! »..
18 12. Eugène BOUDIN. L.A.S., Deauville 27 août 1891, à Ferdinand MARTIN ; 3 pages in-8 à l’encre bleue. 1 000 / 1 200 € Sur son travail à Deauville. « Tu avais bien pensé que nous n’étions plus en train de rouler les pays du nord. Nous avons dû faire relâche par suite du mauvais temps et plus encore par raison de santé car j’ai été tellement refroidi, éventé que mes névralgies m’ont repris et elles ne me quittent plus. De plus cette longue suite de jours froids et pluvieux m’ont fourni des rhumatismes qui me font beaucoup souffrir... Voilà déjà quelques semaines que nous sommes de retour à Deauville où le temps continue de nous abîmer ce qui met le comble à nos douleurs. C’est une année perdue pour le travail car j’ai pu à peine sauver quelques heures par-ci par-là dans notre voyage du nord ». Il remet son voyage au Havre : « le ciel est si triste, le vent toujours si fâcheux que j’ai préféré attendre un petit rayon sérieux. Viendra-t-il c’est douteux... et j’en désespère »… Il parle de la vente Roederer et de leur ami Van der Velde… « Je voudrais bien aller glaner un peu du côté du Havre, Fécamp, Étretat si ma santé me le permet et si le temps devient un peu clément vers la fin de septembre... Car j’ai fait bien peu de chose cet été... Surtout pour une clientelle qui augmente tous les ans et que je me vois peu en état de satisfaire... Car il ne faut pas se le dissimuler mon cher, le travail me devient pénible, je sens que je vieillis et que je n’ai plus cette force ni ce courage des années d’autrefois »… On joint une autre L.A.S., 9 octobre 1891 (1 p. in-8). Il charge Martin d’une lettre : « C’est afin de prévenir l’arrivée à Deauville de cet amateur forcené auquel je ne veux pas laisser éplucher mes études, que j’annonce mon séjour au Havre »... Mais il est « casanier, paresseux et difficile à soulever... Je n’aime plus les déplacements, du tout »…
19 13. Eugène BOUDIN. L.A.S., Deauville 25 octobre 1891, à Ferdinand MARTIN ; 4 pages in-8. 1 000 / 1 200 € Sur son travail à Étretat. De passage au Havre, il a juste eu « le temps d’attrapper un bon coup de froid dans les reins, lequel m’a donné un rhumatisme très grave du cœur dont je suis à peine soulagé à l’heure qu’il est. Nous sommes restés quatre jours à Étretat. C’était fort beau de voir la mer lécher les falaises mais il y faisait un froid glacial. Or comme je ne voulais pas revenir bredouille de mon excursion, j’ai voulu peindre, et mal m’en a pris ». Il n’a pu aller saluer les Martin : « j’avais hâte de rentrer pour me soigner. […] décidément c’est trop s’exposer à notre âge de vouloir lutter contre le froid et la pluie. On devrait se contenter de faire son métier durant les jours chauds. […] J’aurai, cette année donné un rude assaut à ma pauvre vieille carcasse ». Il a songé à se retirer comme un commerçant : « Mais baste il faudrait nous attacher les mains derrière le dos... et encore nous peindrions peut-être avec la bouche »… Il redoute son retour à Paris : « On va me tomber sur le dos... il faudra se mettre à bûcher... bûcher dans les émanations du poêle... Enfin, mon cher ami, il le faut ou... finir la boutique l’exige. Mais si le cerveau est encore bon il n’en est plus de même du corps qui s’épuise »...
14. Eugène BOUDIN. L.A.S., Deauville 12 décembre 1891, à Ferdinand MARTIN ; 4 pages in-8 à l’encre bleue. 800 / 1 000 € Il a eu un rhume et souffre : « ce sont des douleurs partout, des névralgies à la gueule, au cœur... Je tiens debout, à peu près mais comme les ruines, tous les ans il en tombe un morceau et pourtant je suis, ou plutôt je serais accablé de besogne si je pouvais en brasser. Mais que d’obstacles ! le jour qui est triste en cette saison ensuite la difficulté d’apporter dans ses toiles la perfection si difficile à atteindre... et de plus cette indigeance du tempérament qui se ramollit »… Il évoque la mort de leur camarade Dubourg, la vente Jongkind, et la mort de « la mère Fesser » quinze jours avant la vente… « Si l’on néglige un peu les peintres lorsqu’ils vivent on les apothéose joliment aussitôt morts. Voilà sa ville natale qui veut élever – déjà – une statue à Ribot ! »…
21 15. Eugène BOUDIN. L.A.S., Villefranche 13 février [1892], à Ferdinand MARTIN ; 4 pages in-8 au crayon-encre violet. 1 000 / 1 200 € Séjour à Villefranche-sur-Mer. Il raconte son « séjour dans le pays chaud... Je n’ai plus beaucoup de loisir car dès le second jour je me suis attelé à la besogne et je ne veux pas perdre une séance... d’autant plus que la flotte est là tout près, dans la baie et je tiens à en profiter. […] Que te dire du pays !.. Il me faudra des pages et des pages... Sous nos fenêtres il y a un jardin merveilleux tout vert, tout feuillu des orangers couverts de pommes d’or... des fleurs, des fleurs […] La montagne s’échelonne derrière moi couverte d’oliviers et merveilleuse... devant la mer azurée. Hier j’ai travaillé sous mon parassol toute la journée [...] pas de vent... un air doux et un bien-être délicieux »… Il a visité Nice : « nous avons entendu le concert avec notre ombrelle comme on l’aurait sur la plage de Trouville en Août... Te dire la foule qui grouille sur cette promenade... et ajouter que le bain de mer est en pleine exploitation et qu’on se plonge dans la Méditerranée en ce mois de février»… Il est « dans une délicieuse villa qui regarde la mer et qui est adossée à la montagne nous y sommes au paradis et pour un prix si doux ! »...
16 22 16. Eugène BOUDIN. L.A.S., Villefranche 24 mars 1892, à Ferdinand MARTIN ; 3 pages in-8 à l’encre violette. 1 000 / 1 200 € Séjour à Villefranche-sur-Mer. Il encourage son ami à venir à Villefranche : « Une température douce chaude, une véritable béatitude sous le bon soleil. On se promène sous les oliviers, au bord de cette mer bleue comme dans un délicieux jardin. […] j’en jouis à ma manière, en peignant, en bûchant, mais ça ne m’empêche pas d’envier le sort de ceux qui flânent une ombrelle à la main et qui se laissent vivre en humant ce bon air plein de tiédeur qui ne ressemble en rien à celui de notre climat. […] Nous quittons la Villa bleue dimanche à notre grand regret à tous, car pour moi surtout j’y resterais encore bien volontiers un bon mois à peinturer et courir tout le jour à travers les arbres et les routes poudreuses ». Il partira dimanche pour Paris… On joint une autre L.A.S., [fin mars ou début avril 1892] (4 p. in-12). Il viendra voir son ami à l’hôtel Terminus : « Nous établirons ensemble le programme de ton voyage on te donnera les explications les plus étendues et les plus claires tant sur le voyage que sur le choix de ton séjour là bas et les moyens de t’y installer toutes explications qui ne peuvent se donner que de vive voix. Je regrette de ne pas avoir été fixé sur ton désir bien arrêté d’aller nous remplacer dans notre lit tout chaud à la Villa Bleue, mais nous n’avons pas osé nous avancer avec le maître du lieu dans l’incertitude où nous étions. […] Un autre regret c’est de ne point te donner une idée du pays sur le vu de mes études. – Mais tu en auras la surprise là-bas »... 17. Eugène BOUDIN. L.A.S., Paris 11 avril 1892, à Ferdinand MARTIN ; 3 pages in-8 à l’encre bleue. 800 / 1 000 € « Je vois avec plaisir que tu as fait un bon voyage, sans trop de fatigue et surtout que tu as le moral bon, l’appétit robuste et j’en suis heureux. Il n’est pas douteux que la bonne chaleur aidant, la vue de ce beau pays, la tranquillité de l’esprit... et du cœur surtout tu ne retrouves un regain de force et de vitalité qui te feront le plus grand bien phisiquement ». Il lui conseille de rester quelques jours à Saint-Raphaël, et de se laisser « aller à cette douce béatitude que donne là haut, le bon air le soleil... Oh le soleil nous l’avons encore ici sur le jour de ton départ, un ciel si pur que c’est un morceau de lapis. […] Je reprends mes pinceaux. […] Hier j’ai expédié mes tableaux au Salon »... Enfin il recommande : « N’oublie pas de demander une Bouillabesse ! ça excite l’estomac mais c’est délicieux ».
17 18 23 18. Eugène BOUDIN. L.A.S., Paris 21 juin [1892], à Mme MARTIN ; 1 page et demie in-8 à l’encre bleue. 700 / 800 € Il reçoit ses lettres affligeantes qui lui « font tout redouter… Je suis moi-même retenu encore à Paris par une indisposition sérieuse qui exige des soins que je ne puis trouver à Deauville mais néanmoins je veux faire tous mes efforts pour aller serrer la main de notre pauvre ami ». Il partira « demain ou après demain au plus tard », en passant par Trouville à cause de son « gros bagage à traîner ». Il envoie ses « bons souhaits pour notre cher malade»… [Ferdinand Martin est mort au Havre le 20 juin.]
19 24 19. Eugène BOUDIN. L.A.S., Paris 20 octobre 1892, à Mme MARTIN ; 2 pages et demie in-8 à l’encre violette. 800 / 1 000 € Il était de retour à Paris, quand il a reçu son « offre d’emporter les deux tableaux légués par notre ami regretté. Faites moi donc le plaisir, puisque vous restez encore dans votre petit appartement de les accrocher au mur lorsque vous aurez retiré ceux qui sont légués à diverses personnes... vous m’obligerez bien et j’aurai le plaisir d’aller vous les demander à mon retour »... Il comptait revenir au Havre, mais « le froid est devenu intense et je n’ai plus eu qu’un désir, rentrer au logis et me mettre au chaud… C’est qu’on vieillit et ma foi je ne veux pas compromettre le peu de jours qu’il m’est donné de passer encore sur la terre en compromettant ma santé j’en vois trop d’exemples malheureux. Me voilà donc au chaud et je m’en trouve bien... Je suis dors et déjà accablé de besogne et c’est à peine si je prends le temps de boire et manger »... Il pense à elle, « fort occupée avec votre liquidation si difficile »… 20. Eugène BOUDIN. L.A.S., Paris 3 janvier 1893, à Mme MARTIN ; 3 pages in-8 à l’encre violette. 700 / 800 € « Vous ne vous faites pas une idée de la besogne à laquelle je suis attelé et du souci d’un pauvre peintre qui a de plus, à lutter contre la demi-obscurité des jours d’hiver. C’est lorsqu’on vieillit qu’il faudrait voir le fardeau s’alléger – il n’en est rien pour nous... on nous oblige à être plus vaillants que les jeunes et pourtant nous n’avons plus leur verdeur Enfin... le travail se supporterait encore n’étaient les mille et mille préoccupations du jour le jour »... Il évoque les problèmes de la succession que Mme Martin doit résoudre, en regrettant qu’elle soit obligée de quitter son « logement de la rue de la Cité... Peut-être serez-vous aussi bien ailleurs mais là revivait notre ami regretté »...
20 25
26 21. Eugène BOUDIN. L.A.S., Antibes 7 mai 1893, à Mme MARTIN ; 4 pages in-8 à l’encre violette. 1 000 / 1 500 € Sur son travail à Antibes. Il est venu dans le Midi « refaire ma santé détraquée sous la chaleur bienfaisante de ce bon soleil et de ce beau pays. J’y ai trouvé un vrai soulagement à mes douleurs... Elles n’ont pas cédé tout de suite mais à force d’aller et venir – de suer en gravissant les côtes j’ai fini par les oublier et reprendre un peu de vigueur dans mes vieilles jambes qui ne voulaient plus aller du tout. Aujourd’hui ça va bien... je me suis mis à travailler avec une ardeur digne d’un jeune homme... Je travaille mes huit heures par jour comme un simple ouvrier mais comme c’est en plein air et au bord de la mer ou dans les belles campagnes, je résiste à ce régime qui tuerait un jeune... Plus heureux que notre pauvre ami regretté, j’aurai bien profité de mon séjour dans ce pays chaud et sain. Ces jours derniers j’ai voulu revoir Beaulieu où il a passé ses derniers jours agréables à parcourir, sous les oliviers les sentiers bordés de roses et de géraniums […] La nature est toujours belle, renaissante... elle rajeunit chaque année... et nous... nous passons pauvres êtres fragiles et peu durables. […] Si je n’étais forcé de rentrer à Paris pour toutes sortes de besoins je crois que je m’endormirais ici dans une sécurité heureuse... mais j’ai un boulet... c’est l’atelier et les mille tourments du métier […] comme le Juif Errant je suis condamné à marcher, à courir les rivages, les ports sans trêve... je suis accablé de commandes et de travaux »…
27 22. Eugène BOUDIN. L.A.S., Paris 4 janvier 1894, à Mme MARTIN ; 3 pages et demie in-8. 1 000 / 1 500 € Sur son travail, malgré la vieillesse. Il est honteux de son long silence : « les jours s’écoulent, pour moi, dans un labeur incessant qui ne me laisse pas souvent l’esprit libre. Les mille et mille occupations et préoccupations de la vie courante m’absorbent le plus souvent. Tout ça tourbillonne dans ma tête ». Il voulait aller lui serrer la main au Havre, « mais voilà qu’à peine arrivé la peur d’être bloqué dans le Havre me fait repartir immédiatement. Mon intention était de revenir car j’avais fort à faire dans ce port, mais entraîné d’un autre côté je n’ai pu réaliser mon projet. D’ailleurs le temps était devenu mauvais, j’étais accablé de rumathismes et je dus y renoncer. […] Vous devez trouver une grande solitude non loin de vous... j’ai passé par là et je sais quel froid cela jette dans la maison, la disparition d’un être avec lequel on a passé une grande partie de son existence. [...] Je ne vous parle pas de moi et de ma santé. Que je sois malade ou bien portant il faut que je marche quand même... j’ai une légion de clients dont je suis la machine à produire... Ils me font marcher ils me poussent à ce point que je ne m’appartiens plus. Vous pensez bien que cette vie de labeur me fatigue horriblement mais que je ne peux m’y soustraire – c’est fatal, je ressemble à ces vieux chevaux qu’on fouette malgré la raideur de leurs muscles et qu’on force de marcher jusqu’à entier épuisement »… On joint une autre L.A.S., 31 décembre 1894 (1 page et demie in-12), envoyant ses vœux. « Je n’ai pas eu le plaisir de vous revoir en revenant par le Havre. Comme toujours pressé, pressé... Je n’ai même plus le temps de vivre... je suis une machine à travail... accablé de fatigue à un moment de ma vie où je devrais me reposer et jouir de mon labeur passé, il faut que je marche, marche comme un Juif Errant poussé par ma destinée peut être aussi par un besoin de remplir ma mission de peintre je ne sais »...
28 23. Eugène BOUDIN. L.A.S., Paris 29 décembre 1896-6 janvier 1897, à Mme MARTIN ; 4 pages in-8. 1 000 / 1 200 € Il lui envoie ses vœux, évoquant les « vieux camarades et amis du jeune temps […] qui s’en sont allés nous attendre là-bas. Ce cher Martin me disait un jour qu’il commençait à se trouver seul comme un intrus dans sa ville natale... Je commence à éprouver la même impression de solitude dans la vie ». Il est « soutenu par le succès... par la petite gloriole du travail apprécié »… Il a eu des déboires dans son voyage de l’été : « je me proposais au retour de Dieppe de passer quelques jours au Havre mais le mauvais temps m’en a empêché. Parti de Dieppe pour fuir la tempête nous la retrouvons au Havre en plein »... Il reprend le 6 janvier : « Oh que je trouverais bon de me soustraire à tous ces tracas du métier à toutes ses obligations qui n’en finissent plus... et ce travail qui me prend au jour et me laisse à peine le temps de respirer... En vérité c’en est trop pour un vieux de mon âge. Et dire qu’il nous est défendu de penser à la retraite au repos... que me voilà condamné au travail forcé à perpétuité et que par cette rage de faire honneur à son nom et de ne pas laisser pâlir son astre, il faut de toute nécessité tenir son pinceau ferme... On n’a pas le droit de vieillir dans notre profession »... * * * *
29 24. Eugène DELACROIX (1798-1863). L.A. et L.A.S. « ED », [1851-1858], à Joséphine de FORGET; 2 pages in-8 sur papier bleu avec adresse, et 1 page in-8. 1 800 / 2 000 € Tendres lettres à son amie Joséphine de Forget. [15 juin 1851]. « Bonne chère amie, je vous remercie bien. J’allais vous écrire en réponse à votre petit mot d’hier. J’ai sagement fait de ne pas dîner hier et je ferai de même ou à peu près aujourd’hui. Je ne ferais qu’aller au Louvre et je n’y travaillerai presque pas. J’ai une si affreuse peur d’être malade maintenant où je n’ai plus que quelques petits efforts à faire pour recueillir le fruit de tous les autres que je vais m’étudier à n’aller que très doucement. Vous concevez aussi bien que moi l’immense intérêt que j’ai à cette conduite prudente. [...] Soyez donc assez bonne pour aller et venir sans compter sur moi ; je tacherai d’aller vous voir après dîner aujourd’hui [...] j’ai eu hier des petits frissons passagers qui heureusement ne se sont pas caractérisés. Je suis un peu plus faible et voilà tout. Je suis en train de lire vos Constitutionnels[...] L’impression en est très bonne et j’aime le journal. [...] Je suis dans un moment bien important qui ne m’empêche pas de sentir et de vous dire combien je vous remercie et vous aime ». [Delacroix était en train d’achever son Apollon vainqueur du serpent Python au plafond de la galerie d’Apollon au Louvre.] Ce samedi [décembre 1858]. « Chère amie vous êtes bien bonne. Mon rhume se calme et puis il revient. Je suis sorti hier soir pour aller à deux pas de chez moi et cela ne m’a pas réussi je ne pense donc pas à m’envoler. La goutte, rhumatismes &c. me font de petites visites. Avouez que j’ai bien fait de m’accoutumer à mon chez moi. La société des autres m’amuse mais elle me fatigue toujours, j’entends dans la situation où je suis. Je travaille un peu, je lis un peu. J’ai renoncé à aller dans quelques endroits où il était peut-être nécessaire que j’allasse. Mais un des bonheurs que la providence a bien voulu m’accorder, c’est que dans une situation médiocre comme fortune et avec zéro d’ambition, je ne suis absolument forcé à aucune démarche ni représentation quelconque. Je vous envoie mille et mille tendresses de cœur bonne amie en attendant le plaisir de vous le dire sans tousser et sans cracher ». Correspondance générale, t. III, p. 70-71 ; et t. IV, p. 5-6. On joint une L.A.S. de Joséphine de Forget à Eugène Delacroix, ce lundi soir [6 août 1839] (1 p. in-8, adresse avec cachet de cire). « Nous irons demain mardi aux Français, il y aura un joli spectacle, dont votre amie, fera les frais. Vous nous rejoindrez de bonne heure, et j’espère que nous pourrons passer notre dîner bien près l’un de l’autre. Combien j’ai été heureuse hier soir, mon pauvre ami ! Mon cœur est tout plein de ce bonheur, que je préfère à tous les plaisirs du monde. Mille et mille tendresses […] Joséphine ».
30 *25. Raoul Auger FEUILLET (1660-1710). Choregraphie ou l’art de décrire la Dance, par caracteres, figures et signes démonstratifs, avec lesquels on apprend facilement de soy-même toutes sortes de Dances. Ouvrage tres-utile aux Maîtres à Dancer & à toutes les personnes qui s’appliquent à la Dance. Par M. FeUillet, Maître de Dance. (Paris, chez l’Auteur, ruë de Bussi, Faubourg S. Germain, à la Cour Imperiale. Et chez Michel Brunet, 1700). In-4 (24 x 18,3 cm) de [4] ff.-106 p.– [Suivi de :] Recueil de Dances, composées par M. FeUillet, Maître de Dance. (idem, 1700) ; [1 f.]-84 p. – [Puis :] Recueil de Dances, composées par M. PECOUR, Pensionnaire des menus Plaisirs du Roy, & Compositeur des Ballets de l’Academie Royale de Musique de Paris. Et mises sur le papier par M. FEUILLET, Maître de Dance. (idem, 1700) ; [1 f.]-72 p. 3 ouvrages reliés en un volume in-4, veau brun moucheté, dos orné (reliure de l’époque, restaurée avec charnières refaites). 25 000 / 30 000 € Rare réunion de ces trois ouvrages fondateurs de la notation chorégraphique. Première édition, très rare, de la Choregraphie. RISM B VI p. 314 n’en recense que 5 exemplaires, et Little/ Marsh 8. Une vingtaine d’exemplaires de la « seconde édition » en 1701 ont été recensés. La Choregraphie s’ouvre sur 4 feuillets imprimés : titre, dédicace à Pecour, Préface et Privilège du Roy. L’ouvrage est imprimé, avec insertion dans le texte de figures chorégraphiques sur bois ou d’exemples gravés (p. 32, 101), mais de nombreuses pages sont des planches entièrement gravées sur cuivre : p. 27-30 (tables de mutation des bonnes et fausses positions), 37 et 39-40 (exemples de différentes marches), 47-86 (Tables ou sont la plus grande partie des pas qui sont en usage dans la Dance), 88, 102. Sur la dernière page (106), sont notées des « Fautes à corriger », et figure le nom de l’imprimeur Gilles Paulus du Mesnil. Petites taches sur les 2 premiers ff., petite déchirure sans manque dans la marge inf. des p. 59-60, titre courant de la p. 68 légèrement rogné. Autrement très bel exemplaire.
31 Le Recueil de Dances de Feuillet [Little/ Marsh, LM/1700-Feu ; Lancelot, La Belle Dance, FL/1700.1] est composé d’un titre imprimé, et de 84 planches gravées, dont certaines (p. 6572 et 77-84) dépliantes (environ 30 x 21,5 cm). La page 12 porte une note manuscrite: «Entrée à deux ». Superbe exemplaire, sans défaut, à l’exception de 2 titres très légèrement rognés. On sait peu de choses sur le maître à danser Raoul Auger FeUillet (1660-1710), « compositeur inventif tant pour les figures que pour les pas dont la plupart, agrémentés de doubles tours et de nombreux battus, présentent une grande difficulté technique » (E. Roucher). La Chorégraphie est « un traité tout à fait nouveau qui expose un système d’écriture de la danse. Il va permettre l’étonnante production de partitions chorégraphiques tout au long du XVIIIe siècle. […] Dans la préface de Chorégraphie, Feuillet présente ce premier recueil de danses de sa composition comme des exemples à l’usage de Maîtres et d’Écoliers déjà avancés ; ce sont en grande majorité des entrées de ballet » (F. Lancelot). .../...
32 Dans sa Préface, Feuillet indique : « Plusieurs personnes avant moy ont travaillé en differens temps à mettre les Dances sur le papier, par le moyen de quelques Signes ; mais comme leur travail est demeuré infructueux, j’ay tâché de conduire le mien assez loin pour le rendre utile au public […] De tous les Signes, Caracteres & Figures que j’ay pû inventer, je n’ay employé dans cet Ouvrage que ceux qui m’ont paru les plus propres & les plus démonstratifs, et j’ay tâché d’expliquer clairement tout ce qui peut être necessaire, pour en rendre l’usage facile. On ne peut nier qu’il ne soit tres utile & tres avantageux aux Maîtres à Dancer, […] & enfin aux Ecoliers, parce que les uns & les autres par le secours des Signes, Caracteres & Figures que je donne, pourront déchiffrer aisément les Dances, comme l’on déchiffre les Airs de Musique nottez. » Feuillet utilise donc des signes et diagrammes afin de visualiser les mouvements du danseur. Il étudie et décrit les positions, les pas, les coupés et « demy coupés », les jetés (« jettées »), les contre-temps, les chassés, les pirouettes, les cabrioles, les entrechats, les ports de bras, la batterie des castagnettes, et différentes figures de danses : courante, gaillarde, bourrée (Table des Pas de Bourée, ou Fleurets)… .../...
33 Dans son Recueil de Dances, Feuillet présente 15 chorégraphies, dont plusieurs sur des musiques de Lully ; la musique est gravée en haut de la page présentant les figures chorégraphiques. 1 Le Rigaudon de la Paix (p. 1-7) ; 2 Gigue à deux [de Roland] (p. 8-11) ; 3 Entrée à deux (p. 12-16) ; 4 Autre Entrée à deux (p. 1720) ; 5 Sarabande pour femme (p. 21-24) ; 6 Sarabande pour homme (p. 25-28) ; 7 Sarabande Espagnole pour homme (p. 29-32) [5-7 pour Le Bourgeois gentilhomme] ; 8 Folie d’Espagne pour femme (p. 33-38) ; 9 Canary à deux (p. 39-40) ; 10 Gigue pour homme (p. 41-44) ; 11 Entrée pour homme (p. 45-48) [de Phaéton] ; 12 Autre entrée pour homme (p. 49-52) [du Ballet royal de Flore] ; 13 Entrée grave pour homme (p. 53-59) ; 14 Entrée d’Apolon (p. 60-66) [du Triomphe de l’Amour] ; 15 Balet de neuf Danseurs (p. 67-84) [de Bellérophon]. Le Recueil de Dances de Pecour [Little/Marsh, 1700Péc ; Lancelot, La Belle Dance, FL/1700.2] est constitué, après le titre imprimé, de 72 planches gravées. Superbe exemplaire, sans défaut, à l’exception de quelques hauts de pages légèrement rognés. Guillaume Louis Pecour (1653-1729) a débuté en 1674 à l’Académie royale de musique, dansant dans la plupart des opéras de Lully. Compositeur des ballets à l’Opéra en 1687 après le départ de Beauchamps, il était, selon Gherardi, « d’une imagination prodigieuse pour l’invention, et il n’y a point de caractère qu’il ne rende sensible ». .../...
34 Dans la Préface de la Chorégraphie, Feuillet indique : « Outre les Dances que j’ay faites & que je donne, j’ay mis à la fin de ce Livre un Recueil des plus belles Dances de Ballet qui ont été composées par Monsieur Pecour, qu’il a bien voulu revoir lui-même avant d’être gravées »… 9 chorégraphies sont ici présentées (avec, comme chez Feuillet, la musique gravée en tête des pages) : 1 la Bourée d’Achille (p. 1-11) [d’Achille et Polyxène de Lully et Collasse] ; 2 la Mariée (p. 12-21) [de Roland de Lully] ; 3 le Passepied (p. 22-31) ; 4 la Contredance (p. 32-36) [du ballet de Lully pour Xerxes de Cavalli] ; 5 le Rigaudon des Vaisseaux (p. 37-42) ; 6 la Bourgogne (p. 43-53) ; 7 la Savoye (p. 54-61) [de Méduse de Gervais] ; 8 la Forlana (p. 62-67) [de L’Europe galante de Campra]; 9 la Conty (p. 68-72) [de La Vénitienne de Campra]. Références : – Meredith Ellis Little and Carol G. Marsh, La Danse Noble. An Inventory of Dances and Sources (New York, Broude Brothers, 1992). – Francine Lancelot, La Belle Dance. Catalogue raisonné des chorégraphies en notation Feuillet (Paris, Van Dieren, 1996). Provenance : ancienne collection Richard MACNUTT. .../...
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36 *26. Joseph HAYDN (1732-1809). Gott, erhalte den Kaiser ! Verfasset von Lorenz Leopold Haschka. In Musik gesetzet von Joseph Haydn. Zum ersten Mahle abgesungen den 12. Februar, 1797. Bifeuillet oblong in-4 (18,5 x 25 cm) monté sur onglet. Reliure moderne maroquin vert, roulette dorée d’encadrement et titre sur le plat sup. 1 000 / 1 200 € Première édition de l’hymne national du Saint-Empire, créé et publié pour l’anniversaire de l’Empereur Franz (François II), le 12 février 1797, sur des paroles de Lorenz Leopold Haschka. La mélodie de ce « Kaiserlied » (Hob. XXVIa :43), que Haydn a utilisée pour le thème varié du second mouvement de son Quatuor en ut majeur op. 76 n° 3 dit « l’Empereur », est devenue, sur de nouvelles paroles, celle de l’hymne national allemand. Imprimé sur un bifeuillet à l’italienne non chiffré : [1] titre ; [2] musique sur 3 systèmes de 2 portées avec texte : « Gott ! erhalte Franz der Kaiser »… ; [3] texte des 4 couplets ; [4 blanc]. Provenance : ancienne collection Richard MACNUTT.
27 28 37 27. Victor HUGO (1802-1885). Photographie avec dédicace autographe signée ; épreuve albuminée format carte de visite montée sur carte (10,5 x 6,2 cm). 1 500 / 2 000 € Beau portrait de face à mi-corps, la main dans le gilet, avec dédicace au journaliste Auguste NEFFTZER (1820-1876), directeur du journal Le Temps. « A mon excellent et cher ancien ami Nefftzer Victor Hugo» 28. Max JACOB (1876-1944). Dessin original signé ; 21 x 27 cm (quelques légères rousseurs). 800 / 1 000 € Beau dessin à la plume et encre noire, signé postérieurement à l’encre brune « Max Jacob ». Il représente la scène de la Visitation de la Vierge : Marie, Élisabeth, Zacharie, et sur la droite une femme et un âne.
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