20 .../... marche ferme. J’ai mon but, je ne me fais aucune illusion, je sais que je joue tout ou rien. Gloire ou misère avec plus de chances pour l’une que pour l’autre. J’y vais gaîment, hardiment, je me sens dans mon élément – tandis que la bonne vie toute plate, unie et bourgeoise que l’oncle me faisait entrevoir […] me laissait dans une indifférence qui explique en quelque mesure mon honteux laisser-aller […] Après les déconvenues et les jours de misère noire inévitables dans un débarquement à Paris sans un sou et sans un ami », il a pris le dessus et gagne un peu d’argent. Ne voulant rien devoir à personne, il ne s’est pas servi de ses lettres de recommandation ; « et c’est précisément cette liberté absolue, ce sentiment de n’avoir à compter qu’avec moi-même qui me tiendront ferme et droit dans le dur chemin des artistes pauvres, qui font et feront ma force »… Ses idées leur sembleront trop indépendantes « pour la vie ratatinée et un peu mesquine de votre petit coin de terre, vie dont j’aime à me souvenir mais comme d’une chose bien passée»… Il reviendra leur demander pardon quand il aura mérité qu’on le lui accorde … 51. Théophile-Alexandre STEINLEN. L.A. (la fin manque) avec dessin, Paris 18 août 1887, à sa mère ; 8 pages in-8. 500 / 600 € Sa dernière lettre l’a rassuré sur son rétablissement, mais l’attriste « par la teinte de désespérance qui s’en dégage ». Il se remémore le souvenir de leurs amis Bache, et se régale de « l’esprit cancannier vaudois », à propos de l’accident de Louise : « La bonne grosse poule s’est laissée prendre comme une simple perdrix par le premier chien coiffé venu – que veux tu c’est presque la loi », mais le principal est que la mère et le gosse aillent bien – il aurait aimé être son parrain, « quoique pour lui ce ne puisse être riche emplette qu’un parrain tel que moi. […] Je les revois tous ces chers amis roux ou noirs roses et rouges aussi ; les bonnes figures, comme elles allaient bien avec la bonne vieille maison »… Il s’interrompt, dérangé par un musicien (dessin) : « sa chevelure le trahit. C’est Marcel Legay. Voilà une heure que le susdit me chante ses nouvelles compositions. Rien n’est tannant comme un mauvais musicien»… Puis Steinlen replonge dans ses souvenirs, et évoque ses connaissances parisiennes, dont un certain Grobéty, qui n’est pas aussi honnête qu’il en a l’air, et qui les aurait filoutés. Il rassure sa mère à propos de Fred, qui est entré chez un mouleur : son patron semble très satisfait de lui, Fred gagne suffisamment sa vie et a l’air très satisfait de ce nouveau métier. Il la rassure sur sa santé : « je ne suis ni n’ai été sérieusement malade. […] Mes affaires sans être très brillantes sont tout au moins satisfaisantes ». Il a adopté un plan de conduite nouveau : « j’ai rompu avec le Chat-Noir, or il me rapportait quelques travaux courants mais je vise ailleurs et plus haut – c’était un sacrifice nécessaire. […] Bref, malgré la gêne que cette brusque rupture me cause […] je suis beaucoup moins embarrassé que je ne l’ai été en diverses phases de mon séjour à Paris. J’ai des travaux, pas très nombreux, pas très rémunérateurs, mais enfin j’en ai. À mon égard vous pouvez être sans inquiétude aucune. […] J’ai un idéal et un but, or je ne sais personne en art qui soit arrivé à quelque chose, si peu de chose que ce soit, sans luttes et sans souffrances ». Les moments de découragement sont inévitables, mais alternés par des enthousiasmes : cette lutte qui est aux artistes la condition même de l’existence: «Si nous sommes nés cuirassés d’idéal et armés de talent c’est pour nous en servir dans la bataille de l’existence »… Il a vu son ancien ami Vuillermoz : « il ne m’a pas paru être ce que j’aurais attendu, aussi je ne cherche pas à renouer intimement nos anciennes relations »…
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