ADER Nordmann. LETTRES et MANUSCRITS AUTOGRAPHES

86 223. Robert de MONTESQUIOU (18551921). Manuscrit autographe, Note ; 8 pages in-fol. (onglets). 1 500 / 2 000 € Long texte sur Marcel Proust et À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Ce récit cocasse et quelque peu irrévérencieux sur l’obtention du Prix Goncourt par Proust en 1919, et plutôt critique sur l’œuvre de Proust, se présente comme une «Note» pour le 3e volume de ses Mémoires, Les Pas effacés. Le texte est écrit à l’encre noire sur une première version au crayon, et présente de nombreuses ratures et corrections. « Tout d’un coup, c’est le cas de le dire, il y a eu un coup de théâtre, un coup monté sur une pièce montée ». L’action fut menée par un groupe très dévoué de trois complices : Reynaldo Hahn, « séïde de Proust ou si vous préférez son Mahomet, habile metteur en scène, se concertait avec lui, organisait le plan de campagne à l’arrière avec un de ces acharnements têtus » ; Robert de Flers « assurait le Figaro, lac d’eau-bénite dont il était nautonnier » ; enfin Léon Daudet « devait arriver avec un article-matraque sans résistance possible et concordant avec le prix Goncourt tombant dru, sans permettre de réplique »... D’abord ce fut la publication d’un article « plus que tendancieux annonçant […] “une rentrée sensationnelle” […] ; c’était le second tome de l’ouvrage de Marcel Proust, inauguré quatre ans en deçà par un volume assez nébuleux». Mais Proust, furieux que l’article ne paraisse qu’en 2e page, exigea qu’il reparaisse le lendemain en couverture : « ce solide valétudinaire sortit de son dodo comme un diable d’une boîte, menaça […] de crever de rage, et obtint sans délai ce phénomène ». Dès lors, « les poulies fonctionnèrent sans grincer, l’orchestre grossit de volume avec tout le crescendo et le rinforzando voulus, jusqu’à l’article de Daudet ». Puis « le prix s’abattit »… Montesquiou en vient ensuite à l’œuvre. « D’abord le précédent volume s’est révélé comme une première partie, que suivront quatre autres ; autant dire que l’œuvre occupera toute l’existence de notre ami. Sa manière est difficile à préciser. Un imbécile – j’ai nommé Jacques Blanche […] a imprimé qu’il s’agissait d’un ouvrage “vertigineux”. Impossible de tomber plus à côté, comme c’est l’habitude de ce metteur de pieds dans le plat. Il fallait dire : un livre méticuleux, vétilleux, […] tatillonissime. En effet, impossible de pousser plus loin le coupage du cheveu en quatre »… Montesquiou aurait aimé citer la lettre qu’il envoya alors à Proust, « en toute sincérité affectueuse. […] Il me semble qu’elle avait de quoi lui plaire, mais […] je crois qu’elle est tombée en pleine crise de mégalomanie. Elle s’émerveillait de cette intarissable multiplicité de l’observation », et de nombreuses citations qu’il y avait choisies… Etc. Et de conclure : « En attendant, aussi Marcel Proust sera un Académicien de Goncourt et, ma foi, l’un des plus remarquables ; […] le madré est si déconcertant et si roublard qu’on le verra peut-être bien plutôt de l’Académie Française, et peut-être même son secrétaire perpétuel. Ceux qui me font toujours rigoler, ce sont les ouvriers de la dernière heure ; j’en vois qui s’aperçoivent que notre ami était très gentil ; nous le savions du reste ».

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