9 8. Georges BERNANOS (1888-1948). Manuscrit autographe signé, Organisons la Peur ; 6 pages grand in-4. 800 / 1 000 € De cet article, paru dans Le Figaro du 16 avril 1932 (et recueilli dans Le Crépuscule des Vieux), Bernanos réutilisa en 1939 les pages centrales pour former la conclusion des Grands Cimetières sous la Lune. Bernanos confesse avoir longtemps caressé le projet de « faire inaugurer par Briand la statue du général Mangin. Grande pensée politique. Et comme toutes les grandes pensées politiques, religieuse. [...] La France rachetée du péché de victoire – quel spectacle ! Du péché de victoire dont nous devons toujours satisfaction aux belles âmes, aux âmes inconsolées. Rétraction, pénitence et satisfaction que les véritables pères du Pacifisme moderne, les grands universitaires du XVe siècle, les hommes de l’Université de Paris, les épouvantables prêtres qui bien avant les pisse-froid de la Société des Nations rêvèrent d’asservir le monde à une sorte de bureaucratie spirituelle, ont jadis obtenu de Jeanne d’Arc. Puis ils l’ont brûlée. Et déjà ils croyaient brûler avec elle, détruire à jamais, la fleur merveilleuse dont la semence semble avoir été jetée par les Anges, ce génie de l’honneur que notre race a tellement surnaturalisé qu’elle a failli en faire un moment comme une quatrième vertu théologale »... « Il n’y a qu’un moyen décisif, radical, d’exterminer la mémoire des sacrifices hideux, d’arracher jusqu’aux racines de l’esprit guerrier, c’est – après l’amnistie générale accordée aux héros – la solennelle réhabilitation du Lâche. [...] La seule force capable de tuer la guerre, c’est la Peur. [...] Tout homme de gouvernement, à Paris comme à Moscou, à Londres comme à Berlin ou à Rome, ne saurait avoir désormais qu’une pensée, qu’une politique, qu’un but: il s’agit d’organiser la Peur »... Ancienne collection Daniel Sickles (Littérature du XXe siècle, 13-15 juin 1983, n° 40). 9. Georges BERNANOS (1888-1948). L.A.S., Hyères [13 juin 1933], à une « amie chérie » [Madeleine Le Chevrel ?] ; 4 pages in-8. 300 / 400 € Bernanos (qui se remet à écrire Monsieur Ouine après avoir perdu une partie du manuscrit) ne veut pas aller à Paris : « j’ai eu tant de mal à rentrer dans mon livre après la perte des cahiers que je ne voudrais pas en sortir de nouveau avant quelques semaines. Enfin, j’avais le projet d’aller chercher Yves à la Pierre-qui-Vire le mois prochain. [...] Je vous prie de ne pas pousser trop loin le respect de mes vices. Faites moi la charité – faites cet acte de charité héroïque – de me dire la vérité sur tout. [...] Enfin soyez ma conscience. J’ai bien besoin de changer de conscience, allez ! La mienne ne veut pas s’occuper de moi. Elle est écœurée, cette conscience ! D’ailleurs elle ne m’a jamais servi à grand chose, parce qu’elle a pris mauvaise opinion de moi depuis trente ans, trente cinq ans peut-être. Elle est très sage, très lucide, mais elle aurait dû m’aimer un peu. Vous, vous seriez une conscience qui ne désespère pas de moi, une conscience qui m’aime, quel bonheur. [...] Mon roman [Monsieur Ouine...] j’y travaille très régulièrement, voilà tout. Tantôt deux pages par jour, tantôt trois, et au bout du compte, lorsque j’additionne, cela ne fait jamais qu’une page par jour, trente par mois. Sacré calcul ! »... Ancienne collection Daniel Sickles (Littérature du XXe siècle, 13-15 juin 1983, n° 41). 10. Georges BERNANOS (1888-1948). L.A.S., 26 décembre 1944, [à M. Desy] ; 4 pages in-8. 300 / 400 € Il a eu, grâce à son ami, « la plus belle et la plus claire nuit de Noël » depuis son enfance. Il évoque la messe « débordante de douceur, de paix, qui était vraiment une messe parmi les hommes, [...] une messe bien à nous autres, pauvres pécheurs, le bon Dieu venant se reposer, reprendre haleine, chez nous, chez l’un des nôtres, comme jadis... Enfin je dis cela très mal, pour ne pas risquer de le dire trop bien, on ne se méfie jamais assez de la littérature »... Il se remémore les chansons du vieux pays, portées si haut dans un élan de joie, et qui lui faisaient penser que « tout cela devait consoler le petit Jésus d’avoir dû entendre, au cours de la même Nuit, dans ses églises, tant de bigots et de bigotes refroidis par une incurable constipation de l’âme, et que le Saint Esprit lui-même a tant de mal à réchauffer ! »... Il emportera ce souvenir dans la vieille et cruelle Europe...
RkJQdWJsaXNoZXIy NjUxNw==