132 254. STENDHAL (1783-1842). L.A., 3 v[endémiaire] XIII (25 septembre 1804), à sa sœur Pauline Beyle ; 4 pages in-4 sous chemise cartonnée dos maroquin noir. 3 000 / 4 000 € Belle et longue lettre intime à sa sœur chérie. Il n’a « pas de plus vif plaisir que de lire et relire tes lettres »... Après avoir évoqué la santé de Mme de N. [Nardon, nom d’emprunt pour désigner sa parente par alliance Mme Rebuffel, mère de leur jeune cousine Adèle] que l’on croyait perdue et qui guérira peut-être, Stendhal fait le récit de son projet avorté d’aller passer un mois, en famille, à Grenoble « ou pour mieux dire à Claix. Je suis enchanté de mon idée, je rentre chez moi, j’écris à mon papa, je t’écris à toi, je fais un paquet de mes 2 lettres et je le donne au portier, pour le porter à la Poste. J’étais si content du plaisir que j’aurais à te voir, et le reste de la famille, que j’étais encore à Paris à 3 heures, je prends un cabriolet, j’arrive à Auteuil à 6 h. pour dîner, il y avait grand monde, je ne puis dire mon projet à A. [Adèle] qu’à 7 h. Là-dessus elle va dire à sa mère: Vous ne savez pas? Mr Beyle nous quitte et s’en retourne à Gr. [Grenoble] Là-dessus la mère jette un cri je m’approche, je lui conte la chose en détail, elle ne veut point se rendre [...] Elle dit que je ne reviendrai pas de l’hiver que c’est une affaire faite, que jamais on ne me laissera revenir, que je me laisse trop mener pour avoir le courage de partir. Enfin elle fait tant que je viens tout courant à Paris, ne sachant comment reprendre mes lettres à la Poste » ; heureusement le portier les avait encore, et le « cher voyage qui aurait été délicieux pour moi » est annulé. « Voilà comment le manque de liberté paralise tout. J’aurais passé à Claix 6 semaines délicieuses ; au lieu de ça je cours les champs ici. Je suis allé ces jours derniers dans la forêt de Montmorency. Cette campagne est charmante, mais j’aurais mieux aimé notre Claix ». Il recommande de ne rien dire de ce projet avorté de voyage. Il s’inquiète ensuite du silence de son père, qui ne lui écrit plus, et à qui il va devoir « demander de quoi m’habiller cet hiver », méritant ainsi le reproche « que je ne lui écris que comme à un intendant. Mais c’est que je ne sais que dire à quelqu’un avec qui la décence m’empêche de plaisanter et qui ne me dit rien. Je suis vraiment peiné de cet état de choses »... Il craint « que ce ne soient ces maudites affaires d’argent qui ne m’ayent mal mis auprès de lui. Mais enfin il faut vivre. [...] je suis criblé de dettes. Or avoir des dettes et être brouillés c’est trop de la moitié, je ne les ai faites que par l’ennui de lui demander à chaque instant, et rien ne semble plus ridicule à un habitant de Gr. que la dépense d’un jeune homme à Paris »... Il aurait « envie de devenir Banquier, je n’en parle pas parce que jamais il ne me donnerait de fonds, pour me distraire un peu j’ai voulu te faire banquierre », ou du moins la marier : « à ta place j’accepterais bien vitte. C’est une triste chose que dépendre toute sa vie ». Il engage Pauline à lui écrire, « et tache de rire un peu, il n’y a que cela qui soulage, il faut prendre son parti, il faut être, dans ce monde, Héraclite, ou Démocrite, et, franchement, Démocrite vaut mieux ». Il ajoute qu’il mène « depuis 1 mois la vie la plus gaie du monde, nous rions de tout, tache d’en faire autant, si tu ne le peux pas, réfléchis sur l’hom. Voilà la seule bonne science, et tu verras combien elle te servira dans le monde »… Il espère qu’elle pourra le lire, malgré « une conspiration entre mes plumes, mon canif, mon papier et mon encre »… Correspondance générale, Champion, 1997, t. I, n°101.
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