ADER Nordmann. . LETTRES & MANUSCRITS AUTOGRAPHES

15 c’eût été sans sa poétique. Comme elle l’a rétréci. Que de mensonges, de petitesses. [...] Chateaubriand est comme Voltaire. Ils ont fait (artistiquement) tout ce qu’ils ont pu pour gâter les plus admirables facultés que le bon Dieu leur avait données. — Sans Racine Voltaire eût été un grand poète et sans Fénelon qu’eût fait l’homme qui a écrit Velléda & René. Napoléon était comme eux. Sans Louis XIV, sans ce fantôme de monarchie qui l’obsédait, nous n’aurions pas eu le galvanisme d’une société déjà cadavre. — Ce qui fait les figures de l’antiquité si belles c’est qu’elles étaient originales. Tout est là, tirer de soi. Maintenant par combien d’étude il faut passer pour se dégager des livres ! et qu’il en faut lire ! Il faut boire des océans & les repisser ». Flaubert alors se souvient d’une tragédie qu’il avait écrite vers 1847 avec Louis Bouilhet, La Découverte de la vaccine ; il avait alors beaucoup étudié le théâtre de Voltaire... « Il faut lire le mauvais et le sublime, pas de médiocre. – Je t’assure que comme style les gens que je déteste le plus m’ont peut-être plus servi que les autres ». Et il cite plusieurs extraits, en effet calamiteux, de cette tragédie en vers : « voilà de la poésie ou je ne m’y connais pas et dans les règles encore ! »... Il raconte alors l’« amour lyrique » d’un jeune homme pour « la mère Hugo »... « Entre deux cœurs qui battent l’un pour l’autre, il y a des abimes. – Le néant est entre eux, toute la vie, et le reste. – L’âme a beau faire elle ne brise pas sa solitude. – Elle marche avec lui. – On se sent fourmi dans un désert et perdu – perdu »... Il relate également sa brève visite chez Victor Hugo. Louis Bouilhet va bientôt habiter à Paris. « Lui parti, je serai seul. Là commencera ma vieillesse. Tout ce que je connais de la Capitale ne me donne pas envie d’y vivre. Paris m’ennuie on y bavarde trop pour moi. La tentative de séjour que j’y ferai, les quelques mois que j’y passerai pendant deux ou trois hivers m’en détourneront peut-être pour toujours. Je reviendrai dans mon trou et j’y mourrai, sans sortir. Moi qui me serai tant promené en idée. – Ah ! Je voudrais bien aller aux Indes et au Japon ! Quand la possibilité m’en viendra je n’aurai peut-être ni argent ni santé. Physiquement d’ailleurs je me recoquille de plus en plus. La vue de ma bûche qui brûle me fait autant plaisir qu’un paysage. – J’ai toujours vécu sans distractions il m’en faudrait de grandes. Je suis né avec des tas de vices qui n’ont jamais mis le nez à la fenêtre. J’aime le vin je ne bois pas, je suis joueur et je n’ai jamais touché une carte. La débauche me plaît et je vis comme un moine. Je suis mystique au fond et je ne crois à rien. Mais je t’aime, mon pauvre cœur et je t’embrasse... rarement. Si je te voyais tous les jours peut-être t’aimerais-je moins ? Mais non c’est pour longtemps encore. Tu vis dans l’arrière-boutique de mon cœur et tu sors le Dimanche. Adieu, mille baisers sur la poitrine »... Correspondance (Bibl. de la Pléiade), t. II, p. 84.

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