ADER Nordmann. Paris. LETTRES AUTOGRAPHES & MANUSCRITS 21 JUIN 2024

69 d’or mat et du plus correct pantalon à carreaux noirs et blancs, je me suis présenté selon votre conseil (et sur votre recommandation) chez le directeur de l’importante Usine à feuilletons, de qui vous m’avez donné l’adresse. J’aime mieux vous dire tout de suite que, seule, votre imminente réception à l’Académie des Sciences (section d’Anthropologie) me pourra faire oublier celle dont je fus victime de la part de ce sauvage vers, que je n’hésite pas à qualifier de soldatesque effrénée ! Sur le nom du Roi Dubut, que vous m’aviez ordonné de prendre, il s’est livré, pieds et poings liés, aux plus grossières plaisanteries, feignant (descend donc de ton cheval !) de me confondre tantôt avec notre grand Bubu de Laforest, tantôt avec un certain Dubut de Montparnasse, dont j’avoue ignorer l’inavouable existence ! »… etc. – Hanoï 22 janvier 1903 : en descendant le Fleuve Rouge en compagnie de Toulet, il a entendu faire l’éloge de La Femme et le Pantin ; quant au Tonkin, « la vie s’y passe, facile et douce, entre des pipes d’opium et des causeries dépourvues de toute prétention. On y fuit l’idée générale comme le choléra asiatique. Les dames y sont jaunes mais soumises aux plus blâmables fantaisies et il faut les aimer, à peine au sortir de l’enfance (car la jaunisse n’a qu’un temps). Les Annamites m’apparaissent des êtres ironiques et d’une agréable rosserie »… – 14 mars [1904]. « J’ai envoyé séance tenante au Figaro, votre savoureuse “Nouvelle à la main” dont la discrétion un peu transparente m’a valu les compliments du secrétaire de rédaction. Il eût préféré toutefois un petit dialogue entre Onanistes, par quoi le titre général de la rubrique eût été mieux justifié… mais il craint un peu quelque accès de pudibonderie de certains lecteurs provinciaux invertis. – Ils s’y feront, lui ai-je dit, ce sera l’affaire d’onan ou deux. […] Je vous saurai gré, mon bon Maître, de bien vouloir m’envoyer au plus tôt une liste d’Emplois, Fonctions ou Carrières (même exploitées) pour Jeune Homme plus pauvre. La Littérature ne nourrissant pas ses hommes, la Prostitution étant indûment accaparée par le Sexe auxquels nous devons Sarah Bernhardt et tant d’obligations, le Tribadisme m’étant interdit pour raisons de santé, la Pédérastie par mon âge et mes préjugés, le commerce par manque de capital et l’administration par incapacité notoire, l’Industrie exigeant au moins le diplôme de chevalier — je laisse à votre perspicacité le mérite de me découvrir un moyen de ne pas manquer de ce pain que la Fatalité m’a collé sur le Blair »…– 4 juin. Projet de collaboration : « vous inventerez quelques aventures, quelques épisodes, quelques personnages – vous ferez mijoter le tout et vous le diviserez en parties égales ou inégales (en nombre impair, bien entendu). Puis vous couperez ces membres épars en tout petits, tout petits morceaux auxquels nous donnerons provisoirement des titres – et le doux nom de chapitres. Vous m’enverrez cette ébauche. Je la reprendrai à mon tour et tâcherai d’y ajouter le plus possible et ainsi de suite jusqu’à ce que nous ayons établi définitivement le sommaire de chaque chapitre (il y en aura bien une centaine !). Après quoi, il ne restera plus qu’à écrire le roman… Et dans deux ou trois ans quand Curnonsky sera moins inconnu et Pierre Louÿs au faîte de sa gloire, nous l’imposerons comme feuilleton à quelque canard avec des conditions braconiennes ! Comme il vous restera toujours d’avoir écrit deux chefs-d’œuvre et des nouvelles qui vous égalent aux plus grands, vous ne perdrez rien. Moi, je n’aurai rien à y perdre, non plus, pour des raisons modestement inverses – et nous ramasserons un million d’or vierge dont nous nous servirons bassement pour en dépuceler d’autres. Et moi, je serai immortel – et ça fait toujours plaisir. En attendant, je vais me faire la main en composant L’Île fortunée pour la raison sociale W.C. (Willy Curnonsky) ». Il évoque la parution des Tendres ménages de Paul-Jean Toulet, et cite un mot de Forain. – Demande d’argent à envoyer « au pauvre au plus pauvre Kürn qui n’a plus rien, rien, rien, RIEN »… – [1905]. « Rueff et les quatre Yvonnes se partagent mon cœur (bis) au point que je ne sais plus où donner de la plume. […] En octobre paraîtra Demi Veuve, de Curnonsky. En novembre, au Casino de Paris Capricette, ballet, de Curnonsky. En janvier 1907, au Casino idem Le béguin de Javotte, ballet de Curnonsky. En avril 1907, Le Sérail de Pierre Louty, roman de Curnonsky et Léon Valbert. En juin 1907, Jusqu’au sang roman de Curnonsky. En août 1907, Le Sentier du Vice, roman de Toulet et Curnonsky »… – 27 février. Il rappelle à Louÿs ses promesses, le menaçant d’un scandale. « Je laisserai d’abord à votre femme une lettre anonyme où je dirai tout : qu’en 1898, le 22 avril, après avoir sous mes propres yeux démoli un lustre à coups de parapluie dans un restaurant du quartier des Halles, vous vous êtes enfoncé dans la nuit avec une jeune femme brune que l’on n’a jamais revue ; – que les Aventures du roi Pausole sont la plus transparente des autobiographies ; – que tout Paris sait trop de quelle hétaïre vous avez conté l’histoire sous le pseudonyme d’Aphrodite ; – que la Femme et le Pantin dissimule (agréablement du reste) la plus odieuse tentative de chantage contre deux honorables familles andalouses ; – que les Chansons de Bilitis resteront comme un exemple de supercherie littéraire où se sont laissé prendre nos meilleurs hellénistes ; – que le titre seul des Sanguines révèle une perversion morale que nos aliénistes ont, depuis des siècles, classés sous le nom de Sadisme. Après vous avoir ainsi démasqué, je me livrerai sur vos deux bonnes à des actes de pédérastie et de tribadisme qui vous priveront à jamais de leur estime et de leurs services. Puis je m’occuperai de la bibliothèque ! Je souillerai de mes déjections quelques exemplaires précieux. Je ferai de tous les manuscrits un quemadero (en voulez-vous des omars) dont la flamme n’hésitera pas à se communiquer au reste de la maison »… – 6 juillet. « L’important rayon de bonnetterie que nous venons d’ouvrir dans la maison Willy ans Co voit chaque jour la clientèle la plus choisie affluer à ses comptoirs. Et nos chaussettes vont aux plus jolis pieds de la Capitale »… – 6 septembre. « Après vous, j’ai laissé partir pour Bordeaux ma pauvre petite fille Mémaine [sa maîtresse Germaine Larbaudière]. Son grave homme d’ami voulait m’emmener dans son auto. J’ai encore eu le triste et inutile courage de refuser. Je resterai jusqu’à [ce que] la misère me chasse d’ici. Mais déjà je la sens venir. […] Je garde au cœur de l’espoir d’aller vivre quelques jours auprès de vous quand j’aurai besoin de toute votre affection qui ne m’a jamais manqué. J’ai peur pour mes livres, pour les pauvres reliques parmi lesquels je vis une existence désormais sans lendemain »… .../...

RkJQdWJsaXNoZXIy NjUxNw==