70 – 12 septembre 1906. « L’importante maison où j’étais chef de rayon à la bonnetterie pour Dames ayant, provisoirement, réduit son chiffre d’affaires, il m’a fallu trouver ailleurs le youpin quotidien et donner le jour à toute la famille Fred qui remplit Qui lit rit de ses ébats heureusement enfantins. Ajoutez que je chronique hebdomadairement et musichallement dans Paris qui chante, que j’alimente la Vie parisienne de Curnonsky et de Her Tripa, que je fais un roman avec Léon Valbert, un ballet avec Willy, un autre avec Xanrof, une opérette avec les mêmes, un autre roman avec Toulet, un acte avec Lavernière, deux avec Abric… et ne vous étonnez pas trop que je ne fasse rien tout seul. […] Ce que vos envois me font entrevoir de la Plage d’Amour m’entretient dans un état de Désir amoureux et doux, dont bénéficie pour le moment la jeune Marcelle-aux-yeux-verts-et-aux-tifs-innombrables, qui vient de faire un an de prison pour avoir lingué le bide d’une copine qui avait donné son mec. […] Marcelle est, pour l’instant l’une des plus vives consolations de ma sénilité précoce »… – Samedi matin [8 juin 1907] : « Bon Maître, vous êtes un admirable ami et je ne sais comment vous remercier de votre recommandation auprès de ce Maizeroy jovial et blond. Je l’aborderai lundi ; l’avenir de Curnonsky, le présent de Toulet (à qui la Fortune en a peu fait jusqu’ici) et le passé du roman d’aventures peuvent dépendre de notre entretien ! Mille attaques à toutes mains armées, onze cent quatorze substitutions d’enfants du plus charmant naturel, huit cent douze captations d’héritage, 6341 vols, 10.341 assassinats, et un nombre de vengeances, de trahisons, de séquestrations jusqu’ici impossibles à évaluer vont s’abattre sur la littérature enfantine, juvénile et adolescente. Le Secret de l’île X sera découvert par les Chevaliers de la Bague de Fer ; les Pirates du lac Tchad arracheront l’Empire du Nickel à la secte redoutable des Prévoyants de l’Avenir ; le Prince du Feu délivrera la fille du Radjah de Gwalior enfermée dans la Tour du silence par la complicité du grand chef Tippo-Radna et du cruel sultan Abdul Debou »… – [21 novembre] : « selon la forte expression des croupiers, rien ne va plus… et je me sens enlisé dans un marécage dont je ne sortirai jamais. Victime de la collaboration, je mourrai sans avoir rien fait qui me plaise. Et voici que ma vieille santé me lâche à son tour et paraît en avoir assez de moi… Depuis huit jours, je couche avec une crise de rhumatisme cent fois pire que toutes les maîtresses et les maisons où je travaille aux pièces menacent de me fermer leurs portes. Alors, je sais je cherche à placer des vins, seule profession pour laquelle je me paraisse fait »… – [4 décembre]. « Une grande nouvelle littéraire », il entre enfin au Journal : « mes articles (résolument hebdomadaires) paraîtront chaque lundi sous le pseudonyme illustre de Michelin et seront uniquement consacrés à célébrer notre Pneu national » ; et il signe sa lettre « Gaudissart ». – 23 janvier 1909. « Je donne et lègue en toute propriété à mon ami Pierre Louÿs, comme au plus parfait artiste de mon temps, tous les livres de ma bibliothèque, tous les papiers, manuscrits, cahiers, lettres et autographes, dessins et gravures que l’on pourra trouver chez moi après ma mort. Je le prie de bien vouloir me consacrer quelques lignes, qui m’assureront de ne pas mourir tout entier et me consoleront de n’avoir pu réaliser l’œuvre que j’avais rêvée ». – 17 avril 1910. « Blagapart (je tiens, vous le savez, à cet adverbe que j’ai créé) le quatuor de signatures que je dirige à mon quadruple déshonneur a transformé ma lyre en tirelire… comme disait Veuillot de celle de Lamartine… et je sens que mon style tourne à la marchandise (dans le pire sens du mot) et devient une espèce d’impersonnel et confus protoplasma, qui participe à la fois du paulbrulat, du davindechampclos et subsidiairement du pégamoïd et du linoleum. Je ne sais plus si je suis Bibendum, Maugis, un vieux cabot ou une altesse neurasthénique et quand la tentation me vient d’écrire quelque chose pour moi j’y résiste de mon mieux par respect pour une langue, dont j’estime d’ailleurs que cinq ou six grands Artistes réalisent assez, de nos jours, la perfection absolue. Cette retenue est cette… discrétion se trouve accorder à merveille le mépris que j’ai pour mon époque et l’amour que j’ai pour mon pays. Il suffit aux lettres françaises que vous, Barrès, Régnier, Loti, ou cette prodigieuse Colette, écriviez un livre de temps en temps. Et comme je serais forcé d’écrire pour la vente, l’idée que je conçois du public m’inciterait à tenir un juste équilibre entre la platitude de la pornographie : je préfère donc jusqu’à nouveau désordre, ne point signer les choses dont je vis et ce m’est une joie sournoise de voir les “couches profondes” se délecter aux lundis de Michelin ou à toute la maugisserie (cuirs et peaux) que je fabrique pour l’exportation… À ce propos, je vous recommande Maugis en ménage dont la bassesse et le faux sentimentalisme me permettent d’espérer le succès »… – [15 novembre 1912]. « Je viens de racheter pour dix-neuf sous les Chansons de Bilitis. Et vieux chrétien que je suis, en relisant la langue de France (et je ne parle point d’Anatole) je me suis retenu à certains passages de faire le signe de la Croix, manifestation d’une piété un peu spéciale dont le besoin singulier ne me vient qu’en lisant Balzac, Flaubert, Racine, Gautier et Tuquoque lui-même. (Je suis sûr que je me fais bien comprendre et que tout de même, cher maître et cher ami, Racine et vous… et je les cite par ordre chronologique, comme dirait Moréas). Et de quel Cur !!! » – [5 avril 1913]. « Je rougis de l’avouer, à la honte d’un siècle où triomphe sur toute la ligne (pour ne point parler de l’Artillerie montée) la Concupiscence de la Chair : mais les exhibitions de cette réprouvée attirent un tel concours de peuple et même hélas d’aristocrates et d’aristacrobates que je n’ai pu obtenir jusqu’ici les deux fauteuils où votre digne ami eût assis son indignation. Je n’ose le regretter. De telles femmes méritaient de recevoir ce châtiment enfantin mais honteux que le public parisien a pu voir infliger hier soir à Mlle Delysia dans la Revue du Théâtre Femina. Cette jeune personne qui pousse l’impudeur jusqu’à porter des chaussettes dont la nudité de ses mollets est si j’ose dire comme aggravée, avivée et soulignée reçoit d’un brave policeman anglais cette correction qui selon les fortes paroles de M. de Montesquieu “commence par alarmer la pudeur, met dans l’humiliation extrême et ramène pour ainsi dire à l’enfance”. Ce spectacle trop cruel hélas a réconforté et comme soulagé les quelques .../...
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