ADER Nordmann. Paris. LETTRES AUTOGRAPHES & MANUSCRITS 21 JUIN 2024

95 pas une coïncidence que, depuis un siècle, les grands systèmes et les grandes guerres soient venus d’Allemagne : « On a rendu la Raison déraisonnable. Par là même, on a ouvert la porte à la furie. Émasculé de son bon sens, l’homme ne trouve plus d’obstacle à aucune de ses passions. D’un point de vue hégélien, Auschwitz n’est pas autre chose qu’un moment dialectique. Je ne prévoyais certes, ni Auschwitz ni Hitler, mais subodorais déjà Ludendorf et Verdun. […] Il est tout simple qu’après avoir subordonné les vérités à la Vie, on lui subordonne les êtres vivants. C’est le déterminisme qui rend tout respectable. Quand on érige la causalité en religion, comme les bouddhistes, on n’ose plus écraser une limace, parce qu’on voit en elle l’immensité des causes qui l’ont créée. Dès qu’on substitue au déterminisme – l’Évolution, ou la Dialectique – l’Élan vital, le Mouvement et le sens de l’Histoire, il n’y a plus aucun motif de respecter rien : ce qu’on écrase n’étant jamais qu’une écorce, un déchet de la Force mystérieuse qu’on n’atteint pas, en écrasant »… Berl termine par une pirouette : « À Fribourg comme à Paris, mes camarades conclurent que je ne comprenais rien à la Philosophie. C’est probablement vrai »… On joint une intéressante L.A.S. de Maurice de GANDILLAC, 30 décembre 1966 (2 p. in-8) : « Nous ne sommes point apparemment sur la voie du retour à l’Être entendu au sens authentique que Heidegger cherche à retourner à travers les poètes. Rien de plus bouffon que la querelle Lacan-Sartre-Althuser-Foucault, et les accusations mutuelles de servir d’alibi à la bourgeoisie (devenue aussi mythique que le peuple depuis que règne souverainement le “On”) »… Plus une L.A.S. de Brice PARAIN relative à une édition de Wittgenstein traduite par P. Klossowski, 4 avril 1955. 272. André PIEYRE DE MANDIARGUES (1909-1991). Manuscrit autographe signé, À Salamanque ; 2 pages in-4. 300 / 400 € Beau texte sur Salamanque et le peintre Tapies. « À Salamanque, tournant le dos à une lapidation de Saint Étienne, derrière laquelle, mais dans l’église, est le tombeau de ce salaud inestimable qui se nomma le duc d’Albe, je regarde une pauvre maison » : au milieu du mur ocre « s’ouvre une fenêtre unique qui est située comme au hasard et qui est encadrée de poutres minces », au centre de celle-ci « pend comme un suaire un torchon lavé récemment lourd et d’un gris de ciment. Trois autres torchons sont accrochés dehors, à gauche de la fenêtre, l’un bleu, l’autre médian pourpre, le dernier bleu aussi mais plus sombre, tous les trois au dernier degré de l’usure, et dans l’air calme ils frémissent un peu comme des oiseaux mourants. Tapies, auquel je pense évidemment tout de suite, comme le ferait toute personne ayant ouvert les yeux à l’art moderne, est sans doute un peintre de mythes qui en usant de moyens rigoureux et simples parvient à la représentation poétique [...]. Mais il n’est pas besoin de voyager très loin pour distinguer que Tapies est aussi le dernier des grands réalistes espagnols, et que nul, depuis Zurbarán, n’avait compris et peint les choses de l’Espagne comme cet homme de Catalogne ». Mandiargues évoque aussi les œuvres de Burri, « ces vives déchirures bridées avec amour par les doigts d’un peintre embaumeur autant que médecin » qui lui rappellent « les éléments des bouquets et des guirlandes qui sont comme des sceaux posés sur la nudité dans les toiles du Caravage »... Un peu nostalgique, il déambule Salamanque, « cité solaire entre toutes par la rousseur charnelle du matériau bâti ou sculpté », avant de revenir sur la terrasse de l’église St Esteban, « tournant le dos à un bas-relief du martyre de Saint-Etienne, derrière lequel, mais dans la fraîcheur de l’église, gît cette charogne exemplaire qui fut l’illustre gouverneur des Flandres ».

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