AGUTTES - LIVRES & MANUSCRITS

235 BARBÈS Armand (1809-1870) 12 L.A.S. « A. Barbès » (dont une L.A. sans la fin), 1845-1857, à Victor SCHOELCHER ; 65 pages in 8. Exceptionnelle correspondance écrite de prison par le révolutionnaire, au père de l’abolition de l’esclavage. Emprisonné en 1839 pour avoir tenté de renverser la monarchie, libéré lors de la Révolution de 1848, Barbès fut de nouveau arrêté et jugé après les émeutes de juin 1848. Condamné, il fut incarcéré à Doullens en 1849, puis à la forteresse de Belle-Île jusqu’en 1854, date à laquelle il fut gracié par Napoléon III. Prison de Nîmes 28 décembre 1845. Des dénonciations ont été faites à propos des visites qu’il reçoit et les autorités ont renforcé les restrictions le concernant. Il est malheureusement « dans l’impuissance de venir d’une manière efficace au secours de votre pauvre organe républicain » ; il ne peut pas prendre plus de quatre actions à cent francs et « je crains fort, que malgré tous vos sacrifices individuels, la Réforme ne soit condamnée à périr ». Une rente extraordinaire serait plus utile que de telles souscriptions : « Pourquoi ne songeriez-vous pas à faire au parti républicain cette demande solennelle d’une rente, comme l’a fait O’Connell en Irlande ? » Cela donnerait à Schoelcher l’avantage de ne dépendre que du peuple « et de pouvoir faire toujours et partout du radicalisme aussi radical que le cœur vous en dit et que le peuple aime à en voir enfin mettre au net ». Il parle de sa santé et de sa vie en prison : « j’étais constitué pour vivre en cellule... excessivement rêveur, pas parleur quoiqu’en ait dit certain docteur et paresseux, comme je m’y mets, comme un créole, ce sont là incontestablement les qualités du genre, et je les ai »... – 10 août 1847. Schoelcher a publié dans La Réforme un texte de lui et il l’en remercie, tout en exposant son regret à propos d’une phrase supprimée où il nommait Martin Bernard et Guignet pour leur prouver son amitié. ...« Mon cœur n’est pas porté à la désaffection [...] et personnellement, Fl [FLOCON] est un homme de qui j’ai toujours dit et pensé du bien. Mais sa partialité pour l’autre [BLANQUI] m’a paru souvent si excessive que j’ai été obligé, malgré moi, d’admettre que les prisonniers de Doullens et moi nous leur avions déplu et avions en lui un ennemi. Tant mieux qu’il n’en soit pas ainsi mais [...] dans l’intérêt du parti, qu’il ne s’obstine pas à grandir un être qui, comme vous l’avez vu dans son procès de Blois, n’a d’autre but que de chercher partout – et toujours au dépens des autres – des occasions de faire poser sa vanité ». S’il a demandé à être transféré à Doullens, c’était notamment pour y rejoindre son ami Martin Bernard. Il rappelle qu’il a promis à Mme Cavaignac de faire sa première œuvre « au nom et par les mérites de son glorieux et bien-aimé fils ». Il demande à Schoelcher de communiquer son manuscrit à Jean Reynaud, et évoque la question des souscriptions pour les Polonais et pour les inondés… [Doullens ] 22 août 1850. À propos d’un éventuel transfert sur Versailles dont lui a parlé le directeur de la prison mais qu’il n’a jamais demandé. Il faudrait que Schoelcher éclaircisse cette affaire « avec l’autorité de ton caractère et de la probité exquise qui transpire dans toutes tes actions ». C’est une machination « pour me placer dans une position analogue à celle où se trouve l’un avec les révélations, et où se trouvera l’autre dont je t’ai aussi parlé quand on saura qu’il a fait une demande en grâce [...] Il est certaines choses si sales qu’un honnête homme ne doit jamais avoir à s’en justifier ». Il expose les arguments que Schoelcher devra présenter au ministre, notamment en ce qui concerne l’attribution des cellules aux détenus politiques, déportés ou condamnés à de longues peines. Il joint la copie de la lettre qu’il a adressée au directeur où il affirme n’avoir jamais demandé à changer de quartier et n’avoir jamais craint autre chose que le malheur de recevoir une faveur quelconque... – 10 juin. Sur le gouvernement à établir après une insurrection. ...« Ce n’est guère qu’aux idées de tous qu’on pourra demander le moyen de passer de notre ordre social si mauvais à celui qui doit réglementer l’avenir [...] j’avais songé à faire fonctionner le pouvoir exécutif provisoire avec une sorte d’assemblée législative provisoire jusqu’au moment où la nation convoquée enverrait de nouveaux représentants ». Mais maintenant que le suffrage universel est mutilé, que le peuple n’a pas défendu par l’insurrection l’intégrité de sa souveraineté, l’avenir est livré au hasard des événements et végète « sous le joug d’un pays légal nouveau ». Il ne désespère pas, mais il sait que l’avènement de la démocratie est retardée de quelques années. Il a définitivement échappé à la déportation et reste seulement prisonnier. Il envoie son bonjour à Jean Reynaud et Eugène SUE dont il a appris l’élection... Prison de Belle-Île 11 janvier 1851. À propos de la promiscuité contre laquelle il a fait publier une protestation dans La Presse. « Le gouvernement de Louis-Philippe lui-même avait reconnu que tout détenu [...] avait le droit à ce qu’on nomme une cellule de nuit, c’est à dire une petite chambre pour lui seul ». Les prisonniers politiques de Belle-Île s’en rapportent à Schoelcher pour intervenir auprès du ministre. Ils ne savent qu’à peine ce qui se passe hors leurs murs mais leurs cœurs s’unissent à cette lutte « de plus en plus acharnée entre la démocratie et les vieux partis qui essayent de la tuer »... – 30 janvier. Il vient d’apprendre que M. BONAPARTE a proposé l’amnistie de quelques condamnés de haute-cour : « j’espère bien n’avoir jamais mérité par aucun acte ni par aucune pensée de ma vie l’abominable avantage de voir figurer mon nom sur cette liste de... proscription morale »... Que Schoelcher proteste pour lui si on voulait le gracier et qu’il s’informe de ce qui trame à l’Élysée, car « l’amnistie fut-elle générale que je n’en éprouverais pas moins un sentiment d’humiliation d’être obligé de sortir de prison par un laissez-passer de mes adversaires politiques ». Ses compagnons de chambre partagent son indignation : « ni grâce, ni merci, c’est notre pensée commune », cependant ils réclament toujours l’attribution de cellules individuelles... – 2 mars. Il explique de quelle façon il serait tout à fait possible de faire aménager les cellules demandées, et proteste contre la punition qui frappe son camarade Vauthier, au cachot depuis quinze jours. Il songe à faire publier une lettre contre Piscatory au sujet du projet d’amnistie. Puis à propos de la politique générale, « ce qui me paraîtrait le plus conforme aux principes, c’est qu’il n’y eut même pas de candidat à la présidence de la république présenté par le parti socialiste, puisque nous ne voulons pas de cette présidence. De plus, la résolution de s’abstenir dans toutes les élections amène comme conséquence inévitable la nécessité d’aller voter en 52 avec le fusil »... – 25 septembre. À propos de la distribution de l’argent envoyé par Schoelcher. Certains se sont moqués et ont parlé « d’un ton burlesque de LEDRU et de Louis BLANC à qui ils ont cru faire beaucoup de mal en les appelant leurs ennemis personnels ». Il a reçu le livre de Schoelcher sur l’abolition de la peine de mort. – 6 octobre. Une instruction judiciaire a été ordonnée à la suite de cette distribution d’argent, et Barbès est résolu si nécessaire « à expliquer en règle au public le rôle que joue à Belle-Île après l’avoir joué ailleurs le sieur B. [BLANQUI]. J’aurais besoin pour cela de quelques pièces de la commission d’enquête », et il charge son ami de les faire copier et de les lui envoyer ainsi que des numéros de la Revue rétrospective dont celui « qui renferme l’arrêt de renvoi du sieur B. devant la police correctionnelle »... [1852]. Barbès parle de l’exil de Schoelcher [proscrit en janvier 1852] et de son combat pour la cause du bon droit et de la justice, puis de la maladie qui frappe le détenu Deville moins cruellement que la haine et l’iniquité des hommes : « il mourra parce quand il a vu qu’on voulait nous arracher la république, il s’est levé comme il l’avait fait trente cinq ans avant à Waterloo, contre ce qu’il a compris être l’ennemi, mais les balles des Anglais ont été moins impitoyables pour lui que la prison »... La dernière lettre, datée du 17 septembre 1857, est écrite de Hollande où il s’est réfugié après avoir été gracié malgré lui, et évoque Eugène SUE dont la mort (le 3 août à Annecy) l’a écrasé et démoralisé : « il était si bon, si doux d’esprit et de cœur, si aimant. [...] C’est à coup sûr l’exil qui l’a tué [...] son âme était blessée à mort par l’état de son pays, par le renversement de toutes les notions du juste »... Son ami CHARRAS a lancé une souscription pour lui élever un monument à Annecy, mais Barbès n’a pas réussi à mobiliser les Hollandais qui « quoique bons lorsqu’on parvient à rompre leur glace, sont peu portés à se mettre en avant [...] j’espère que tes efforts réussiront mieux à Londres. Les Anglais ont le cœur plus dur, mais ils sont nettement plus habitués aux démonstrations politiques »... 3 500 - 4 000 € Provenance Bibliothèque Dominique de VILLEPIN. Feux et flammes, II Les Porteurs de flammes (29 novembre 2013, n° 377). 68

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