53 Autographes & Manuscrits • 9 juillet 2025 300 ROUGET DE LISLE Claude-Joseph (1760-1836). L.A.S. « Rouget de Lisle », Choisy-le-Roi 20 décembre 1828, à Alexandre DUVAL, de l’Institut ; 3 pages in-4, adresse (petite déchirure par bris de cachet avec perte d’un mot, et légère fente). Longue et intéressante lettre à propos d’un ouvrage dramatique et de son buste par David d’Angers. Il a terminé son nouvel ouvrage : « Vous pensez bien que je n’ai pas la prétention qu’il soit joué de mon vivant dans aucune hypotèse ; mais à tout le moins veux-je profiter du temps qui me reste pour lui choisir un compositeur qui ne soit pas simplement un croque-notes, comme cela vient de m’arriver par suite d’une bienveillance, d’une condescendance, également et mal-placées, et mal récompensées ». Pour cela, il faut que « mon poëme soit reçu, et comment s’y prendre ? à qui s’adresser ? » Il demande l’aide de Duval pour obtenir une lecture, et va lui « faire passer le manuscrit tout informe qu’en soit la copie, car c’est moi-même qui l’ai transcrit ». Il s’inquiète du sort de BÉRANGER, qui vient d’être condamné à la prison pour ses chansons et ses pamphlets : « Quel triomphe pour Mr de Champonet, pour ces exécrables jésuites, et pour la clique infernale dont ils sont les Rois ! Le sculpteur DAVID [d’ANGERS] « a fait à ma triste figure l’honneur de la modeler » et, pour le remercier, il lui a fait une promesse [une copie de la Marseillaise] qu’il n’a pas encore tenue « parce qu’elle exige une écriture plus supportable que celle-ci. Veuillez le lui dire »... Il a d’autres tracas ; il a presque fini de rembourser les 130 francs qu’on lui avait prêtés : « de quel prix ne faut-il pas payer l’honneur de n’avoir rien eû à se reprocher par les temps que nous avons vus, sans compter celui qui court ?... En attendant, j’ai été, je suis humilié jusqu’au fond de l’âme de cette ridicule incartade ; c’est un des seuls désagrémens qui me restassent encore à dévorer »… 1 000 - 1 500 € 301 SAINT-SAËNS Camille (1835-1921). MANUSCRIT autographe signé « C. Saint-Saëns », avec L.A.S. d’envoi à Henri HEUGEL, 27 septembre 1907 ; 2 pages et demie in-4 au dos de papier à en-tête de l’Hôtel Terminus de Bordeaux (bords effrangés et petites fentes réparées), et 1 page in-8. Réflexions sur la publication des Œuvres en prose de Richard WAGNER. La publication des Œuvres en prose de Richard WAGNER, traduites par J.G. Prod’homme comptera 13 volumes (Delagrave, 1907-1925) ; l’article de Saint-Saëns, envoyé le 27 septembre 1907, a paru dans Le Ménestrel du 5 octobre sous le titre La Clarté. Si la traduction des ouvrages théoriques de Wagner a tant tardé à voir le jour, c’est à cause du « style inextricable de l’auteur » qui en rend la lecture laborieuse. « Loin de s’en effrayer, on s’en réjouit dans certains milieux ; on espère en cette lecture pour combattre le goût de la clarté, de la belle ordonnance qui ont passé longtemps pour des qualités françaises […] Ah ! la clarté ! Il est vrai qu’on l’a un peu trop aimée, un peu trop vantée. La clarté, c’est la santé du style ; il n’est pas besoin d’en parler. Elle tenait lieu de tout, naguères ; pourvu qu’on fût clair, qu’on fût net, il était permis d’être nul, plat, vulgaire même […] Aujourd’hui, c’est le contraire ; l’absence d’idées mélodiques, l’harmonie incohérente et même discordante, le désordre dans la composition, tout passe, tout est admis en musique pourvu qu’on soit obscur et incompréhensible ; je ne parle pas des autres arts, mais ils sont attaqués de la même maladie. J’oubliais le Symbolisme, brochant sur le tout, et qui excuse tout. Soyez insignifiant, ennuyeux à l’excès, cela n’a pas d’importance, pourvu que vous soyez symbolique. Montrez-nous, si vous voulez, une brave femme mettant des carottes dans son pot-au-feu ; ce sera très profond : cela signifiera que la femme doit apporter de la douceur dans son intérieur, mais une douceur tempérée par une certaine fermeté »… Quittant la dérision, SaintSaëns affirme : « l’incohérence, le désordre sont les maladies de l’art : tâchons de nous en préserver. Sachons nous ouvrir à toutes les beautés sans oublier pour cela nos qualités naturelles »… Il met en garde contre la contrefaçon des qualités étrangères… Cependant il faut accueillir la traduction des « œuvres littéraires » de Wagner avec curiosité : « Il est impossible qu’il n’y ait pas de fleurs à cueillir dans ces broussailles, de perles à pêcher dans ces eaux tumultueuses. Une seule chose m’inquiète : l’opinion que l’auteur en avait lui-même. “C’est étrange, disait-il un jour à Frédéric Villot ; quand je relis mes anciens ouvrages théoriques, il m’est impossible de les comprendre”. Après tout, ne pas se comprendre soi-même, n’est-ce pas le dernier terme où doit aboutir le progrès dans l’incompréhensible si fort à la mode en ce commencement du vingtième siècle ? »… 1 000 - 1 200 € 300 301
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