AGUTTES NEUILLY. LETTRES & MANUSCRITS

41 Lettres, manuscrits, autographes, livres & photographies • 10 octobre 2023 LOT DESCRIPTIF ESTIMATION (€) 95 HUGO Charles (1826 - 1871). MANUSCRIT autographe, [vers 1845] ; cahier petit in-4 (19 x 15 cm) de 22 pages plus ff. blancs, cartonnage d’origine de papier gaufré noir à motifs végétaux, dos de basane noire (découpage au premier plat de la couverture, petite découpe en haut du 1er f., quelques ff. arrachés au début du cahier), chemise demi-maroquin bleu nuit, étui. Curieux document inédit, rapportant des propos de Victor Hugo, et une causerie au sujet de Mme de Staël. Charles Hugo, dont l’écriture imite celle de son père, rapporte dans la première partie des propos de Victor Hugo. Le texte (incomplet de son début) passe de la fin d’une histoire de montre volée, au récit d’un crime commis par des brigands basques, dits « traboucaires », le 21 février 1845 : vol de passagers d’une diligence, et enlèvement, séquestration, mutilation et assassinat de l’un d’entre eux. À ce récit émaillé de détails cocasses, s’ajoutent plusieurs anecdotes de voyageurs face aux brigands, recueillies au Pays basque (où Hugo s’était rendu en 1843) ; puis le souvenir du bagne de Brest (que Victor Hugo a visité en 1834), où Hugo rencontre l’homme « qui arrêta à lui tout seul la diligence de Toulouse. Il avait affublé d’habits et de chapeaux des échalas qui bordaient la route. Puis il avait mis d’autres échalas en travers, comme des fusils faisant le mouvement de coucher en joue. […] Il fut condamné aux galères à perpétuité. Je l’ai vu au bagne de Brest. Il avait l’air intelligent et fin. Je m’approchai de lui et je lui dis : “Il y avait de l’esprit dans votre idée.” Il me répondit : “Et de la bêtise aussi puisque c’est ce qui fait que je suis ici.” » La seconde partie, intitulée M. de Lacretelle et Mme de Staël, est en quelque sorte le procès-verbal d’une causerie entre Hugo et LACRETELLE jeune, et leurs épouses au sujet de Mme de STAËL, à qui l’on attribue du charme, des boutons et l’inconvenance de recevoir des personnages haut placés pendant sa toilette : « Victor Hugo. C’est incroyable. Toujours entre deux chemises ? M. de Lacretelle. Toujours. Elle appuya nonchalamment son bras nu sur mon épaule. Je restai interdit. J’avoue qu’en ce moment je fus le garçon plus sot du monde »… Et Lacretelle de multiplier des souvenirs de Corinne, Benjamin Constant, Soumet, M. de ***, M. de Rocca, Mme Tallien… « Victor Hugo – On ne se figure pas une impudence pareille à celle de Mme de Staël. Un jour, l’empereur était au bain ; elle voulut entrer malgré la consigne ; elle entra de force en s’écriant : le génie ne connaît point de sexe ! L’Empereur la reçut comme elle méritait, avec sévérité. J’avoue que je me sentirais pour une telle femme une répugnance inexprimable. Je comprends parfaitement les dédains de M. de Lacretelle. D’ailleurs, elle n’avait aucun talent. C’est un préjugé que Mme de Staël. Elle a écrit des ouvrages empire, et elle a inventé des héros style-pendule »… 1 200 - 1 500 96 HUYSMANS Joris-Karl (1848 - 1907). MANUSCRIT autographe signé « J.K. Huysmans», Les frères Le Nain, [1899] ; 4 pages in-fol., avec ratures et corrections, découpées pour l’impression et remontées. Remarquable article de critique d’art sur les frères LE NAIN, publié dans L’Écho de Paris du 5 juillet 1899, et recueilli dans De tout (Stock, 1902). Huysmans dénonce le chauvinisme qui a présidé à l’accrochage des tableaux au Louvre, les Primitifs de l’école dite française étant mis en valeur dans la Grande Galerie et le Salon carré, ceux de l’école dite flamande étant relégués dans de petites pièces de débarras. C’est d’autant plus bête et injuste que les « Français » sont souvent des pasticheurs ou des élèves des maîtres flamands, voire des Flamands venus en France… Huysmans passe rapidement sur le XVIIIe siècle, où il ne trouve que deux artistes, Watteau et Chardin, pour le consoler, mais il trouve dans la salle réservée au XVIIe, une famille d’artistes qui, par extraordinaire, s’est intéressée aux humbles, les frères Le Nain. Il résume le peu que l’on sait de la vie des trois frères originaires de Laon, puis décrit longuement leur Repos de paysans, voyant dans cette scène un souvenir des Évangiles ; il cite aussi les appréciations de Burger, Saint-Victor et Champfleury. Le plus singulier, c’est que les Le Nain ont témoigné d’un sens religieux dans une œuvre qui ne l’exigeait point, mais se sont révélés dénués de ce même sens dans la Nativité de Saint-Étiennedu-Mont que Huÿsmans juge « prévenante, et un peu lâche, d’une saveur pieuse, nulle ». Il résume l’apport des Le Nain : « l’on peut dire que s’ils ont brossé, ainsi que les maîtres des Flandres, des scènes de mœurs, ils les ont conçues d’une façon autre, ne prenant point, de même que Steen ou Brauwer, que Teniers ou qu’Ostade, le paysan et l’ouvrier, au moment où ils se réjouissent dans les cabarets et se grisent dans les bouges. Eux ne les ont pas connus joyeux ; ils n’ont pas été les peintres des dimanches et des lundis, mais ceux des autres jours, des jours où l’on besogne, à la forge, à la ferme, aux champs, et où l’on trime. En peinture, ils furent les seuls au XVIIe siècle, que la misère du peuple toucha, car Callot et Valentin ne s’occupèrent que de nippes arrangées et d’indigences bouffonnes. Ils ont été, en un mot, les peintres des pauvres gens et ce titre me paraît vraiment noble, car il fallait une certaine audace pour oser représenter de véritables manants à une époque où ils étaient considérés un peu moins que les animaux domestiques, que les chiens surtout qu’il était de bon ton alors de faire portraiturer par les artistes à la mode, par Jean-Baptiste Oudry et par Desportes »… 2 000 - 3 000

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