BLANCHET. Paris. LIVRES - AUTOGRAPHES

Mercredi 8 novembre 2023 48 HISTOIRE 161 CHATEAUBRIAND François René, vicomte de [Saint-Malo, 1768 - Paris, 1848], écrivain français. Lettre autographe signée, adressée un comte [le général Bourmont]. Paris, le 17 janvier 1824 ; 4 pages petit in-4 sur deux bifeuillets. Très importante lettre politique, quelques mois après le rétablissement du roi Ferdinand VII sur le trône d’Espagne après l’expédition menée par la France durant l’été 1823. Ministre des Affaires étrangères, Chateaubriand s’adresse au général Louis, comte de Bourmont (1773-1846), commandant en chef des troupes françaises d’occupation en Espagne, et lui expose ce que doit être l’attitude de la France en Espagne après cette expédition qui fut, selon les termes qu’il utilisera lui-même dans les Mémoires d’outre-tombe le grand événement politique de sa vie, mais qui mena l’Espagne à une décennie de despotisme et de brutales répressions contre les libéraux. Après avoir assuré à son correspondant qu’il fera tout ce qu’il pourra pour améliorer le sort de Monsieur Delaroche Saint-André, Chateaubriand l’entretient longuement de la situation en Espagne, exposant quels sont les intérêts de la France qui doit rester ferme et garder son influence sur un roi qu’elle a fait libérer, et enjoignant Bois-le-Comte à s’entendre avec l’ambassadeur de France, le marquis de Talaru, qui a toute sa confiance. « Je suis persuadé, Monsieur le comte, que si nous perdons notre influence en Espagne, ce sera absolument notre faute. Quand on est maître des places-fortes d’un pays, que l’on peut en outre faire fournir à ce pays l’argent qui lui manque, je ne sais pas ce qu’on ne peut pas faire […] Tout ministère qui déplaît à la France doit s’en aller. Tout ministère qui lui plaît doit rester. […] C’est nous qui devons dicter l’amnistie, faire faire les emprunts, licencier et réformer l’armée. Il ne s’agit pas de donner à l’Espagne tel ou tel genre de gouvernement, mais de trouver dans son sein une force avec laquelle on puisse rétablir l’ordre et la justice. Est-ce le clergé qui est cette force ? Il faut s’appuyer sur lui, le maître à la tête de l’État, à condition qu’il fera toutes les choses qu’il est raisonnable de faire pour le salut de la monarchie. Ainsi, il faut qu’il se prête aux arrangements qui pourront encore sauver une partie des colonies, qu’il paye les intérêts d’un emprunt, qu’il signe nos traités particuliers, &c, &c. […] c’est à la France, c’est à notre ambassadeur à nommer les hommes qui doivent être placés à la tête de l’État ». Conscient des intrigues et des jalousies que peut rencontrer Bois-le-Comte, il l’assure que les calomnies répandues par M. Royer [le député Pierre Royer-Collard ?] sont inconcevables, que lui-même écrit à l’ambassadeur trois fois par semaine et que ce n’est pas à lui qu’il faut apprendre à être royaliste. « Je vous engage fort, Monsieur Le Comte, à vous réunir à M. l’Ambassadeur pour frapper un coup vigoureux. Il faut emporter en quinze jours la signature de tous nos traités et l’accomplissement de toutes les choses sur lesquelles M. de Talaru a des instructions. M. de Talaru a carte blanche ; je prends sur ma responsabilité tout ce qu’il fera. Allez droit au roi tous les deux, parlez ; et si l’on refusait à ce que vous croyiez utile au salut de l’Espagne, Monsieur Talaru recevrait immédiatement des ordres. Nous serions-nous forcés d’abandonner le malheureux monarque que nous avons délivré à une destinée dont il ne serait plus en notre pouvoir de changer le cours ». Il ajoute en post-scriptum que deux politiques sont encore possibles : soit convoquer dès à présent les anciennes Cortes, soit attendre qu’une administration forte rétablisse l’ordre dans le pays. « Il y a des affaires telles que celles des colonies (qui est tout pour l’Espagne) qu’un corps politique comme les vieilles Cortes peut seul terminer car je doute que le roi et des ministres osent jamais prendre un parti décisif sur ce point. Mais aussi les vieilles Cortes à présent peuvent ramener des troubles. &c, &c. Il faudrait être comme vous sur les lieux pour juger l’à-propos ». Établi avec son état-major à Madrid, Bourmont était chargé d’organiser la présence française et de seconder la reconstruction de la monarchie espagnole. Ayant développé des liens avec Ferdinand VII, considéré comme « faible » et « irrésolu », sa mésentente avec le marquis de Talaru s’en ressentit et lui valut d’être rappelé à Paris en avril 1824, Talaru ayant toute la confiance de Chateaubriand qui, toujours dans Mémoires d’outretombe, dresse un bref portrait du général de Bourmont : « un officier de mérite, habile à se tirer des pas difficiles ; mais un de ces hommes qui, mis en première ligne, voient les obstacles et ne les peuvent vaincre, faits qu’ils sont pour être conduits, non pour conduire ». Ce même 17 janvier, Chateaubriand s’était adressé dans les mêmes termes au marquis de Talaru : « Mettez-vous bien dans la tête que vous êtes roi d’Espagne, que vous devez régner. Je ne vous demande ni de faire prévaloir telle ou telle théorie ni d’appuyer tel ou tel homme, mais de faire ce que l’état des choses permet. Ne vous embarrassez ni des intrigues de vos collègues ni des jalousies de nos ennemis. Qu’on écrive ici et à la Cour mille calomnies sur moi et sur le gouvernement du roi, peu importe : laissez dire et agissez. Je vous le répète, vous avez carte blanche pour agir. Tout ce que vous aurez fait sera bien fait et approuvé, pourvu qu’il y ait action ». Correspondance générale, tome VI, n°1359. 800 / 1 000 €

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