Mercredi 8 novembre 2023 58 HISTOIRE — Rabat 25 septembre 1925 : Lyautey, se sachant près d’être limogé, a rédigé sa lettre de démission, encore non officielle. La situation est intenable, en raison de la nouvelle organisation plaquée par l’État-major général : « un défi au bon sens qui sont la négation de tout ce que j’ai toujours professé et pratiqué. […] Pétain s’est embarqué dans toutes les bêtises. Il n’y connaît rien, ne prend l’avis de personne. […] Il joue de tout cela comme un singe avec un rasoir ». Le 12 octobre, Lyautey s’embarquera à Casablanca, quittant définitivement le Maroc où il aura passé plus de dix ans, s’installant par la suite à Thorey en Meurthe-et-Moselle. Pierre Lyautey (1893-1976), après quelques années dans l’armée, mena une carrière de haut fonctionnaire, d’écrivain et de journaliste. Très proche de son oncle, il en fut l’exécuteur testamentaire, s’occupant de son inhumation à Rabat et cherchant à promouvoir sa notoriété posthume, en assurant notamment la publication de sa correspondance. 11 lettres autographes dont 10 signées (une lettre incomplète) et 3 télégrammes à la comtesse Rœderer, 16 juin 1916-28 décembre 1926 ; 75 pages in-8 ou in-4, une enveloppe. Longues et belles lettres à son amie Louise Rœderer, épouse du comte Pierre-Louis Rœderer, et sœur d’Evremond Saint-Alary, un proche de Lyautey qui résida un temps au Maroc. La première d’entre elles, de vingt pages, datée de Meknès, décrit une grande tournée des avant-postes au nord et à l’est du pays. « Jamais je n’ai plus aimé mon Maroc ». Lyautey décrit une vie rude mais moins écœurante qu’en France, la guerre au Maroc étant « constructive » et non destructive comme en Europe, il parle du développement des infrastructures et de la magnificence de Fez où il a établi sa résidence dans un des palais de la ville. Après un bref épisode comme ministre de la Guerre sur le sol français, Lyautey reprend ses fonctions au Maroc à l’été 1917. — Fez 20 août 1918 : il sait que son rôle public est terminé mais il a la certitude qu’en France, cela va au mieux, grâce à l’unité de commandement confié au maréchal Foch et à l’appui américain, « nous tenons le bon bout […] et Clemenceau aura une grande page historique ». En mars 1919, il dit être dégoûté de toute la cuisine politique qu’il doit mener alors qu’il ne pense qu’à s’en aller, mais deux mois plus tard, il décide de rester sur la passerelle, main sur le gouvernail, tout en exprimant une certaine amertume devant le manque de reconnaissance des services qu’il a rendus à la France : « Les problèmes sont énormes, comme partout, mais je les regarde en face. […] J’ai la certitude que j’accomplis ici une œuvre sans égale, historique, jamais je n’ai été plus conscient de ma force et de ma valeur, et cela n’existe pas » (4 janvier 1920). Cette annéelà, il fait un bref séjour en France, logeant au château d’Ormesson [Wladimir d’Ormesson était alors son officier d’ordonnance] ; il charge la comtesse Rœderer de l’aider pour divers aménagements de sa « vieille » maison en Lorraine, lui envoyant un échantillon de papier peint. De retour au Maroc, il se sent complétement désolidarisé d’un gouvernement qui mène le pays à la ruine avec une politique de l’autruche « sans même le bénéfice des œufs lumineux ni des plumes », s’inquiétant à distance de ce que lui dit sa correspondante de la situation en Europe centrale et des relations franco-allemandes. Le 17 janvier 1925, Lyautey avoue être désemparé, déplorant le manque de diplomatie des décisions gouvernementales et se plaignant de sa mauvaise santé. 200 LYAUTEY Louis Hubert Gonzalve [Nancy, 1854 - Thorey, 1934], maréchal de France. Lettre autographe signée. Thorey, le 30 Août 1930 ; 2 pages in-4° avec en-tête Thorey, Vézelise ( Meurthe et Moselle). Lettre de condoléances et de soutien adressée à son neveu Pierre Lyautey. « Je ne puis croire qu’elle n’est plus là - que je ne pourrais plus faire appel à cette... toujours en éveil, à ce « bon conseil » toujours prêt, à ce « garde à vous » ». 1 50 / 200 € 201 LYAUTEY Louis Hubert Gonzalve [Nancy, 1854 - Thorey, 1934], maréchal de France. Importante correspondance adressée à son neveu, Pierre Lyautey, et à la comtesse Rœderer, 1914-1926. Très intéressant ensemble datant des dernières années de Lyautey comme Résident Général au Maroc, pendant la guerre de 14-18 puis pendant la guerre du Rif. — 7 lettres autographes signées et une lettre dictée, signée, à Pierre Lyautey, 12 mai 1914-25 septembre 1925 ; 78 pages in-8. À son neveu, parfois surnommé Peter, fils de son frère Raoul, dont il suit les ambitions et les débuts de sa carrière, heureux de se sentir en communion avec lui. — Souk el Arba de Tissa 12 mai 1914. Au moment des derniers combats de la « pacification » du Maroc, Lyautey annonce la jonction réussie par le général Gouraud qui ouvre ainsi la route de Taza. « Je savoure toutes les joies du haut commandement, combiner, percer, voir les ensembles et décider. Une fois de plus j’ai tout pris sur les épaules ». Il donne des nouvelles de son cercle professionnel, civil et militaire, et amical et commente les relations de Pierre Lyautey dans le milieu politique et littéraire parisien. Dans la lettre datée du 4 janvier 1921 (rédigée d’une autre main), Lyautey assure qu’il peut en deux ans garantir au gouvernement français la pacification totale du Maroc, mais à la condition absolue qu’on ne lui retire aucun moyen financier et qu’on lui fiche la paix. Les lettres datées de 1925 évoquent principalement la guerre du Rif, qui oppose Abd al-krim, chef d’un mouvement de résistance, aux troupes francoespagnoles. « Je regarde chaque jour davantage la question Abd alkrim comme des plus graves et chargée d’avenir menaçant. Je suis très tuyauté sur l’appui moral que lui apporte l’Orient et tout l’islam. Et aussi sur les appuis lui venant de Berlin, de Moscou. Sans compter ceux qu’il reçoit de trop d’organismes anglais, agissant ou non d’accord avec leur gouvernement. […] Ce que je redoute le plus d’Abdelkrim au Maroc, c’est non, pas lui, mais tout ce qu’il y a derrière lui ». En avril, Lyautey décrit la soudaineté et la violence des attaques d’Abd al-krim, qui parvient à s’assurer, au moyen de représailles le plus souvent, l’appui d’autres tribus jusque-là fidèles à la France. Il reporte une partie de la responsabilité de cette situation sur l’Espagne, qui ne bat plus, et sur l’attitude suspecte de l’Angleterre. Le 30 juillet, il parle de son éventuel limogeage, craignant des trahisons et des perfidies, notamment de la part de Philippe Berthelot [secrétaire général du ministère des Affaires étrangères] avec lequel pourtant il a toujours été chic, mais il compte encore sur le maréchal Pétain pour rétablir la vérité à propos de ses négociations avec Abd al-Krim, et annonçant l’envoi d’un duplicata d’une lettre adressée au Quai d’Orsay.
RkJQdWJsaXNoZXIy NjUxNw==