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LE GOÛT DES CLASSIQUES

De la fin du XV

e

siècle à la fin du XX

e

siècle le livre imprimé suscita la dilection. Toute connaissance aboutissait au livre. Leur collection

aboutit aux bibliothèques.

« Comme les auteurs en effet empruntent beaucoup les uns aux autres, il n’existe rien qu’on puisse trouver quelque part dans une

bibliothèque moyennement pourvue et on n’aurait pas tant besoin de diligence pour tout rassembler que de jugement pour rejeter le

superflu et de science pour suppléer ce qui n’est pas inventé encore » écrit Descartes à Hogelande le 8 février 1640.

La bibliothèque prélude à sa dispersion. En 1726, Martin qui dispersa plus de 100 collections fixa la préséance des principales

rubriques : Théologie, Jurisprudence, Sciences et Arts, Belles Lettres, Histoire.

DE LA BIBLIOTHEQUE AU CABINET DE LIVRES

En 1867, Le Roux De Lincy préface le catalogue de la bibliothèque Yemeniz. Il y distingue pour la première fois bibliothèque et

« cabinet de livres ».

« Une bibliothèque se compose de la réunion toujours incomplète des ouvrages imprimés ou manuscrits sortis de l’esprit humain à

toutes les époques. Un cabinet se compose aussi de livres anciens et modernes en diverses langues. Seulement le nombre en est plus

restreint que dans une bibliothèque, les livres, plus choisis ne doivent jamais être d’une condition médiocre. La majeure partie au

contraire doit se faire remarquer ou par la rareté ou par la beauté de l’impression ou par la reliure, il faut même que plusieurs volumes

possèdent ces trois qualités réunies. Tout livre pourvu qu’il soit beau peut entrer dans un cabinet ».

LES CLASSIQUES : UNE MODE TARDIVE ET RECENTE

Leber, Veinant, Yemeniz, Solar, Cigongne ont le goût des curiosités. Nodier a tout pressenti. Il écrit en 1829 dans les « Mélanges tirés

d’une petite bibliothèque » : « la réunion des éditions originales de nos classiques est un genre de collection encore peu à la mode et qui

fixera tôt ou tard l’attention des amateurs les plus délicats ». Avoir raison trop tôt est un tort. En 1855, est dispersée la bibliothèque de

Bure, Guillaume puis François de Bure de 1760 à 1850 furent les arbitres des élégances en bibliophilie. Les classiques sont absents du

catalogue. Corneille, Molière, Racine sont présents chacun par une unique édition collective. C’est un peu court jeune homme. Armand

Bertin créateur du « Journal des Débats » disperse sa bibliothèque en 1854. Techener rédacteur du catalogue mentionne pour la première

fois le caractère d’édition originale. Il ne devine pas les débats qui animeront entre 1920 et 1930 Escoffier et Vanderem sur sa définition.

En 1855, Charles Giraud ministre de l’instruction publique vend sa bibliothèque cataloguée par Louis Potier. Il ambitionne de réunir les

grandes œuvres de la littérature. Il constitue la première collection notable de grands classiques :

Tout l’œuvre de Corneille (sauf Melite et la Veuve), tout Molière (sauf les Précieuses Ridicules), tout Racine.

Brunet écrit dans « La bibliomanie en 1878 » : « les éditions originales de nos auteurs classiques, trop longtemps dédaignées sont

devenues indispensables à tout cabinet d’élite. Nodier fut un des premiers à s’en occuper »

La mode est lancée : Firmin Didot (1878-1884), Guy-Pellion (1882), Lignerolles (1894), de Ruble (1899), Guyot de Villeneuve (1900-

1901) collectionneurs les classiques.

Des bibliophiles aux bibliographes le passage est naturel.

La collection la plus notable fut celle de Rochebilière et son catalogue par Claudin (1882).

Le Petit dressa une bibliographie d’éditions originales en 1888.

Picot établit en 1876 une bibliographie Cornélienne très sûre et aujourd’hui encore inégalée.

La bibliographie moliéresque de Paul Lacroix (1875) était imprécise aléatoire.

Parurent la bibliographie de La Fontaine par Rochambeau en 1911, de Pascal par Maire en 1925.

Il a fallu attendre des ouvrages de Guilbert pour Molière en 1961 et Racine en 1968.

Au XX

e

siècle Daguin (1907), Lebœuf de Mont Germont (1914), Jules Lemaître (1917), de Backer (1926), Achille Perreau (1946). Jean

Tannery (1954) réunissent de beaux ensemble classiques.

En 1970, Michel Vaucaire collaborateur de Crapouillot et bibliophile écrit : « Il serait impossible de nos jours de réunir toutes les

pièces de Molière, même celles de Corneille en originales. Soyez heureux et fier si vous en avez une ou deux » dans un livre

caractéristique de son époque « le Livre valeur de placement » (p 45).

Les hasards de la vie se jouent des prévisions.

LES ANNEES QUATRE-VINGT

Une floraison de collections de classiques surgit en quelques années Sacha Guitry (1974), Sczaniecki (1975), le Professeur Millot (1975),

Maxime Denesle (1978), Roger Hild (1980), le marquis de la Baume Pluvinel (1981). À chaque année sa collection. À cet ensemble il faut

rajouter Charles Hayoit (1901-1984). Sa collection n’a été aux enchères que dix-sept ans après son décès en 2001. Mais elle fut constituée

après la deuxième guerre mondiale avec le concours de Raoul Simonson puis de Florimond Tulkens. Par les gouts et par son objet la collection

Hayoit appartient à la floraison de mille neuf cents quatre-vingt-cinq. Mais elle rassemble le meilleur, le « nec plus ultra ». Ainsi l’exemplaire

Hayoit de « L’Ecole des Femmes » (n°68) est l’exemplaire Guitry de 1975 (N°48) où le mot amour est remplacé par le mot esprit. Guitry avait

rassemblé une centaine d’ouvrages. Hayoit regroupe sur deux siècles cent cinquante ouvrages. Ils ne recherchent pas l’exhaustivité mais la

qualité. Les classiques seraient-ils le domaine le plus accessible au monde. Que nenni. L’offre de classiques se raréfie depuis quarante ans.

Aucune vente notable d’ensembles complets à l’exception de la vente Hayoit en 2001. Les classiques ne sont pas articles de mode.

Ils sont intemporels.

Puissent-ils encore réserver quelques surprises.

Michel DUBOS