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songe à tout ce que je croyais il y a seulement quelques mois, je m’ étonne de l’ étroitesse de mes vues d’alors. Ne t’ imagines pas que j’aie perdu la Foi : ma foi n’est que plus grande, plus inébranlable qu’auparavant, et peut-être n’est-il pas insensé de dire qu’elle est moins aveugle et un peu plus humaine. Je ne te parlerai pas de la grande misère des pays dévastés… Je t’avoue… que j’en suis souvent déprimé… » ; il trouve le temps de préparer son examen de Philosophie pour juillet « de sorte que je ne suis pas du tout à plaindre ».

1918. Mars. Toujours cette angoisse du doute religieux : « … Christ a prêché la loi d’amour et de pardon. Or, voici près de dix neuf siècles qui se sont écoulés après sa parole. Et son règne n’est pas établi. Est-ce le fait d’un dieu ?... ce m’est une souffrance aigüe de douter du ‘maître en clémence’… je compte… aller à Rome au mois de mai. Peut-être réussirai-je à raffermir mon catholicisme, que je vois, l’ âme déchirée, se désagréger et s’en aller par débris… tu es le premier à qui j’ai confié cette triste transformation de mon esprit. Tu seras sans doute le seul… » – « … C’est une torture morale dont je ne connais pas l’ équivalent. Rien, pas même la mort de ma sœur survenue en janvier, ne m’a disloqué l’ âme… comme cette période d’ indécision… Il m’a semblé que Jésus me reniait. Et alors, quel vide dans mon cœur, quel immense dégoût de tout… Je suis à présent dans une impasse. Je suis décidé à faire tout ce qui me sera possible pour conserver et fortifier ma foi sans toutefois lui sacrifier les exigences de ma raison. Ce germe de doute qui m’ inquiète tant, a son origine, je crois, dans ce fait que je ne suis pas parvenu à concilier mon catholicisme et cette guerre. La guerre qui est en quelque sorte une reculade de la civilisation dénonce un manque de logique dans le plan de Dieu… Je lis et j’ écris énormément… Je lis exclusivement des auteurs modernes, poètes et prosateurs… qui m’aident à mieux comprendre l’ âme de la société moderne… Je suis entre Venise et Trévise, deux villes que j’ai visitées avec une joie profonde, ainsi que Turin, Milan, Padoue et de nouveau Gênes… » – Avril : longue lettre d’Italie, poignante et prémonitoire, toute relative à ses doutes, au déclin de sa foi et à son avenir : « … Il est trop vrai que le raisonnement est impuissant dans mon cas. L’ âme jaillit vers son Dieu dans un élan que nul ne peut

comprendre. C’est là le secret de la Mystique. Si l’ élan est brisé, s’en est à jamais fini et la froide raison, moins que tout autre chose, ne fera pas naître à nouveau ce généreux et spontané mouvement du cœur… » ; et plus loin : « …je ne vise ni à la gloire ni à la renommée ; ce serait trop ridicule. Seulement je ne veux pas mourir à tout jamais. Je veux qu’après ma mort, mon nom signifie quelque chose à une toute petite élite, qu’ il évoque l’ idée d’une personnalité nette et bien définie. Egoïsme, non, mais devoir. Il s’est fait que je naisse avec un germe d’ intelligence ; il serait à mon avis criminel, hautement immoral que je ne développe pas ce germe et que cette intelligence ne se marque pas en quelque ouvrage… Je ne veux pas avoir été inutile, médiocre, nul. Je veux avoir produit de façon qu’ il y ait pour moi, dans la mémoire d’une infime partie de l’ humanité, une place qui me sauve de cette seconde mort, l’oubli, et justifie mon travail et si j’en aurai eu, mon talent. Mais encore une fois, je veux vivre ignoré, quitte à plus tard survivre, un peu connu. Du reste, viser à être illustre, au cours de notre vie, c’est souvent viser à l’effet… au faux. Qui veut la célébrité écrit presque toujours pour les masses ; or écrire pour la foule, c’est devenir vulgaire… s’ imposer ses idées… Il faut… pour suivre la règle de l’Art pour l’Art, écrire pour soi d’abord et pour un petit nombre d’amis. L’ humanité qui est parfois juste, jugera plus tard des œuvres… », etc. – En juin, il est à Gênes, après trois semaines passées à Rome où il a trouvé « … l’ irréligion la plus complète, la plus blasphématoire et la plus injurieuse pour une majesté divine : je veux parler de ce Catholicisme mondain qui transforme les chapelles en petits salons et St Pierre en un vaste lieu de rendez-vous odieux… ». Sévère critique des églises romaines, dont St Pierre : « … de l’or partout où il est possible d’en fourrer, et toujours une dizaine d’anges joufflus dont le Bernin s’est plu à infester la ville… » ; il a beaucoup admiré, par contre, les églises byzantines et celles de S t Clément et S te Agnès qui lui remémorent Saint-Julien le Pauvre. La lettre se termine par une citation de Léon Bloy, amère, répondant à ses ennemis qui le critiquait violemment à propos de son livre Le Mendiant ingrat : « Je termine en sollicitant avidement votre mépris et s’ il est possible vos injures. Elles me consoleront de quelques éloges » – 7 juillet : Appréhension du baccalauréat tout proche et qui l’oblige à « ingérer tout ce qu’ il est parfaitement inutile de savoir », et

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