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[...] Être depuis des temps infinis à Puteaux ! Puteaux, un drôle de nom, par parenthèse, pour le théâtre de l’amour légitime !
appendre dans ces lieux discrets un tableau de l’amour conjugal (édition honnête) et ne pas m’avoir invité à venir le contempler
une seule fois avec le respect qu’on lui doit, avouez que le Procédé n’est ni aimable ni même intrépide. A mes yeux, la dernière des
fatuités, c’est quand la Vertu (Dieu lui soit en aide ! elle en a toujours besoin) s’imagine pouvoir humilier les pauvres petits saints
du Vice comme nous. Mon Dieu, je comprends parfaitement les solitudes-à-deux où l’on étrangle entre quatre bras passionnés
et bien vite, l’amour qu’on a l’un pour l’autre afin que ce soit plus tôt fini ; je comprends qu’on soit la Taupe de l’Amour dans sa
taupinière, mais vous, vous avez une solitude à trente-six puisque vos amis (excepté moi, indigne) sont invités chez vous tous les
Dimanches, car le bonheur montré est un bonheur doublé pour un Français, même quand il a épousé une Anglaise, n’est-il pas
vrai, mon cher ami ?
[…] Mais un homme marié n’est plus lui-même. On est indulgent quand on sait la vie, et il faut aimer ses amis malgré les
infirmités et l’horrible lèpre (cette lèpre qu’on ne donne pas) du bonheur ». Barbey serait venu rejoindre ses amis dimanche mais a
été entraîné par « ce corrompu de G
ranier de
C
assagnac
 ». Il a « un pied en capilotade » et déjeune chez le duc de R
ovigo
dimanche
prochain, mais il ira le dimanche suivant, « mort ou vif. Si je n’ai plus de pieds, j’irai sur la tête ; si je n’ai plus de tête (je la perds
souvent) j’irai sur le cœur. L’homme et la monture vous appartiennent ».
Barbey reproche à son ami de piller « cette brave fille, Ste Thérèse, cette épouse de Jesus Christ qui vous eût fait pic, repic et
capot en fait d’amour conjugal [...] C’est là une impertinence que je ne vous permets pas, — une impertinence d’Élu qui s’attendrit,
du fond de son Ciel, en pensant à la vie enragée que nous menons, – tout là-bas, – au fond des gouffres, où vous avez tournoyé,
trombe de libertin brisée contre un mariage d’amour, et où nous nous livrons encore aux plus affreux
mesli-meslos
... »
O
n
joint
la fin d’une L.A.S. au même (1 page et demie in-8). [Renée était devenu rédacteur en chef du
Pays
] : Barbey demande
des appointements fixes de 400 fr. « Je serai aussi exact à envoyer mes articles que le journal à les payer. Une fois que j’aurai des
appointements fixes, l’admission et le rejet de mes articles ne seront plus pour moi une horrible question de vie ou de mort »...
Ancienne collection Daniel S
ickles
(IX, 3565).
10.
Jules BARBEY D’AUREVILLY
(1808-1889). M
anuscrit
autographe, signé « J. B. d’A. »,
Introduction
Goethe
et Diderot
, 1880] ; 5 pages et demie in-fol. montées sur onglets (qqs répar.), reliure souple maroquin rouge, titre doré
sur le plat sup., étui (
Alix
).
5.000/6.000
B
eau manuscrit
de
la
P
réface
pour
G
oethe
et
D
iderot
.
C’est en 1880 que Barbey fit publier chez Lemerre les articles, parus dans
Le Constitutionnel
de 1873 à 1877, qu’il avait
consacrés à G
oethe
et à D
iderot
. Barbey explique tout d’abord la nécessité qu’il y avait à faire cette réunion ; Goethe et Diderot
étant « des esprits de nature identique », il établit une filiation directe entre eux avant de présenter plus particulièrement la
personnalité de G
oethe
« qui remplit jusqu’aux bords le XIX
e
siècle & bouche tous les horizons de la pensée moderne de
son insupportable ubiquité. Insupportable ! Si elle l’est en effet, cette ubiquité n’est plus divine »... Barbey se défend de tout
ressentiment français et rappelle le rôle joué par la France dans le développement de la philosophie et de la littérature allemandes
tout au long du XIX
e
siècle : « Oui, la France, la séductible France qui s’éprend de toute chose & de toute personne étrangère,
a
européanisé
la gloire de Goethe. Sans elle, il serait encore dans le fossé de l’Allemagne ». Il rappelle l’intérêt manifesté par
N
apoléon
lui-même, cet esprit « suraigu et à la netteté transcendante », et se demande si V
oltaire
, « le seul homme du XVIII
e
siècle
chez qui l’imbécile philosophie n’avait pas enniaisé l’esprit resté français, Voltaire qui méprisait Diderot », n’aurait pas également
respecté Goethe. Après le succès de
Werther
, Goethe a « patiné pendant quatre vingts ans sur cette glace fragile de l’admiration des
hommes, qui, pour lui, ne s’est jamais rompue et sans accident et sans arrêt, il a glissé et est entré d’un seul trait continu, dans sa
tranquille immortalité ! [...] Goethe ne connut ni les revers ni les dangers. Assurément, il travailla trop pour qu’on puisse l’appeler
le Lazzarone de la célébrité, mais l’opinion dont il fut imperturbablement l’enfant gâté, mit ses rayons sur lui [...] et ne lui retira
jamais. Au lieu d’écrire
Faust
, ce travail de Pénélope de toute sa vie, il aurait ciré des bottes que l’opinion charmée aurait proclamé
qu’il les cirait avec génie et se serait même mirée avec amour dans son cirage »... Selon Barbey, ce phénomène ne s’explique ni par la
décadence littéraire de la France, ni par le besoin de nouveauté enfantine, et pourtant philosophes et écrivains ont suivi les traces
de H
egel
et du Romantisme et se sont fait allemands. Goethe est devenu le Shakespeare du monde moderne, « de personne il a
passé système, d’idée concrète, il a passé idée générale. On l’a invoqué comme la Philosophie même de l’Art ! Il a eu la majesté
de cette abstraction. [...] Goethe est [...] le chef d’une école métaphysico-littéraire. Tout ce qui a de bonnes raisons pour vouloir
que l’art soit sans âme est
goethiste
de fondation. Théophile G
autier
l’a été. B
audelaire
aussi. S
ainte
-B
euve
vieillissant le devint,
car jeune, il écrivait
Joseph Delorme
et il était vivant (malsain, sentant le carabin et l’hôpital, mais vivant !). Présentement sont
goëthistes
[...] M. Leconte de Lisle et M. F
laubert
et tous ces petits soldats en plomb de la littérature qui se sont appelés eux-mêmes
orgueilleusement “les impassibles” »... Barbey s’enflamme alors contre l’exégèse autour de cette œuvre qui « donne la sensation
d’être pères à tous les chapons littéraires qui couvent des œufs qu’ils n’ont pas pondus » et contre cet engouement immobilisé.
Il rappelle comment Sainte-Beuve « haletant, frémissant, ses belles oreilles rouges, violettes de colère » porta autrefois plainte
contre lui, « pour avoir manqué dans l’auguste personne de Goëthe à la littérature française, au Gouvernement français ! »... Barbey
s’attend encore à provoquer des cris, malgré la volonté républicaine de dégermanisation...
Ce manuscrit, à l’encre rouge et noire, et rehaussé par endroits d’encres bleue, jaune, verte, présente des ratures et corrections.
Un premier titre biffé, « Préface », est écrit à l’encre violette et souligné de couleurs.
Ancienne collection Philippe Z
oummeroff
(1995, n° 273).
Reproduction page ci-contre et en 1
ère
de couverture